L’Europe et le progrès économique : du positif au négatif

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Par Bernard Landais Modifié le 9 mars 2022 à 12h19

« La plupart des actions européennes sont plutôt tournées vers le déclin économique ». Analyse rude mais réelle de Bernard Landais, Professeur émérite de Sciences Economiques aux Universités. Auteur de « Réagir au déclin ; une économie politique pour la droite française » (VA Éditions), ce spécialiste en macroéconomie et politique économique nous livre sa vision du progrès économique de l’Europe concernant, principalement, le Traité de Rome et la création de la monnaie unique.

Le Traité de Rome de 1956 instituant le Marché Commun pour les six pays fondateurs a inauguré une ère de grande prospérité pour ces pays et pour la plupart de ceux qui ont adhéré tardivement. Les principes économiques sous-jacents sont la valorisation des avantages comparatifs et l’extension des marchés des entreprises, qui leur permettent des gains de productivité liés aux économies d’échelle. Le Marché Unique, lancé par Jacques Delors, allait dans la même direction, au moins en apparence. Mais ce fut un faux semblant.

On observe le changement dès les années 1980. Le volet économique s’étant bien établi et la plupart des avantages associés étant déjà complètement acquis pour les « anciens pays » qui composaient l’Europe d’alors, vint le moment d’une grande bifurcation.

La bifurcation fut idéologique. Les socialistes se convertissaient en masse aux lois du marché tout en pensant qu’il convenait d’imposer ces lois de façon rationnelle à coup d’organisation et de règlements. Conformément à leur ADN, il fallait donc « planifier le marché ». Les commissaires européens se mirent donc à pratiquer un « socialisme de marché » qui perdure encore, appuyé sur les milieux financiers et les instances judiciaires. Les vrais libéraux en furent pour leurs frais, eux qui, tels l’économiste français Pascal Salin, souhaitaient en rester aux mesures générales de libéralisation.

La bifurcation fut aussi géographique. Le Royaume Uni, tout comme l’Irlande, ne jouait pas ce jeu politique, tirant simplement les bénéfices de l’ouverture continentale, tout en rejetant à juste raison le socialisme de marché qui s’installait. De Margaret Thatcher à Boris Johnson, il y a une continuité dans l’attitude de résistance qui aboutit au Brexit. Le Royaume Uni qui n’a jamais dominé l’Europe, considéra d’emblée que l’aventure politique européenne ne pouvait profiter qu’à l’Allemagne. Par son seul poids, le Royaume Uni a servi temporairement de pôle modérateur, freinant la dérive européenne vers le socialisme. Il a épaulé les pays de l’Est et empêché un temps l’acharnement politique contre eux. Puis il s’en est allé …

La bifurcation fut donc le déplacement de l’économie vers le politique. L’arrivée de l’euro fut d’emblée une aventure politique, voulue comme telle dès ces années 1980. La théorie du couronnement, c’est-à-dire l’apparition d’une monnaie unique en fin ultime du processus d’intégration économique, fut abandonnée au profit du passage immédiat vers une zone monétaire. Celle-ci, décidée par les Politiques et pour les Politiques, fut néanmoins vendue aux peuples comme un espoir de croissance économique supplémentaire. « Un Marché-Une Monnaie » fut le slogan employé pour les convaincre. Le traité de Maastricht fut ratifié de peu consacrant la priorité au fédéralisme politique !

Les promesses de croissance ne furent pas tenues, le pire advenant pour quatre pays : Grèce, Portugal, Espagne, Italie. Ils payèrent d’une crise financière gravissime les débordements financiers associés à la mise en œuvre de l’Union monétaire jusqu’en 2008. La France et les autres économies de la zone se portèrent probablement moins bien que si elles avaient gardé une monnaie indépendante. Aucun pays important n’a connu de croissance accrue du fait de l’euro depuis sa création. Les choix politiques ont donc porté des fruits « politiques » diversement appréciés mais pour l’essor économique, rien ou moins que rien !

La plupart des actions européennes sont plutôt tournées vers le déclin économique. Sur le plan énergétique il devient banal de dire que les intérêts allemands et ceux des militants de l’écologie politique sont outrageusement privilégiés. La puissance et l’indépendance énergétique de la France sont menacées et son secteur automobile sinistré. Du point de vue des économistes et sans doute pour la première fois dans l’histoire de la discipline, ils sont amenés à intégrer l’idée de nombreux « progrès techniques » négatifs. Les règles européennes conduisent aussi à accroître les coûts supportés par les particuliers dans leur vie courante à travers les dépenses obligatoires de « sécurité » ou de l’intégration de ces mesures dans les prix d’achat. Presque toujours, ce sont les plus pauvres qui en font les frais sans que l’enjeu ne le justifie.

Ainsi, l’intégration européenne, quittant les principes initiaux de l’ouverture pour ceux de l’action politique, a très tôt épuisé ses effets économiques bénéfiques pour les pays de l’Europe de l’Ouest. La politique des instances européennes s’est retournée vers le déclin.

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Professeur émérite de Sciences Economiques aux Universités

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