Comment se protéger de l’indélicatesse numérique ?

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Par Jacques Bichot Publié le 25 avril 2017 à 5h00
Indelicatesse Numerique Productivite Entreprises France
94 milliards ?Le manque à produire de l'indélicatesse numérique s'élèverait en France à 94 milliards d'euros.

L’informatique donne la possibilité à des acteurs indélicats d’envoyer des messages indésirables en quantité astronomique à des coûts dérisoires. Pour ceux qui reçoivent ces messages, en revanche, le coût (sous forme de pertes de temps et d’énervement) est considérable.

L’usage indélicat du numérique s’est généralisé dans un monde où la délicatesse est une vertu en déshérence. Il figure parmi les causes les plus importantes de la faiblesse de la progression de la productivité dont les pays développés pâtissent depuis près de deux décennies. L’ordre de grandeur de sa contribution à la modestie de la croissance peut être approché par un calcul extrêmement sommaire, que nous livrons tel quel en attendant que quelqu’un apporte à ce problème un traitement plus élaboré :

- L’indélicatesse numérique sera supposée avoir amputé chaque jour d’une demi-heure, en moyenne, le temps de travail productif, demi-heure consacrée à se débarrasser de courriels, de publicités et d’appels téléphoniques intempestifs. Cette demi-heure représente 6,25 % du temps de travail qui aurait pu être productif. Elle inclue la récupération après dérangement (se replonger dans un travail interrompu, qu’il soit manuel ou intellectuel, exige un peu de temps). Bien entendu, cette évaluation au doigt mouillé est discutable, et nous espérons vivement que des investigations approfondies la remplaceront, mais à défaut utilisons-la.

- Pour un PIB français d’environ 2 200 Md€ en 2016, nous considérons que 700 Md€ viennent du capital et 1 500 Md€ du travail, et nous négligeons l’impact de l’indélicatesse numérique sur la première composante.

- Sous ces hypothèses, en France le manque à produire dû à l’indélicatesse numérique pourrait avoir atteint en 2016 environ 6,25 % de 1 500 Md€, soit 94 Md€. Cet ordre de grandeur n’est pas négligeable. Concrètement, cela veut dire par exemple que le cœur régalien de l’État (armée, police, tribunaux, système d’incarcération/réhabilitation des délinquants, traitement de l’immigration), qui est en grande difficulté, pourrait être remis à niveau si la ponction sur le travail était réalisée à son profit plutôt qu’à celui des organismes et des personnes qui utilisent l’informatique et la télématique en produisant massivement des pertes de temps (en jargon économique, des externalités négatives) pour les autres utilisateurs.

Comme les actes de délinquance, les indélicatesses numériques détruisent beaucoup plus de valeur pour l’ensemble de la population qu’elles ne procurent de revenus à ceux qui la commettent. Un voleur obtient en moyenne un butin 3 ou 4 fois inférieur aux pertes qu’il inflige à sa victime (ménage ou entreprise). Il en va de même pour un escroc et plus encore pour un vandale : le plaisir que prend celui-ci en mettant le feu à une voiture représente évidemment beaucoup moins que la valeur du véhicule et que les soucis en cascade qui résultent de son acte.

Ce constat de simple bon sens, confirmé par des études réalisées à la demande de l’Institut pour la justice, indique qu’il serait probablement très "rentable" d’accentuer la lutte contre la délinquance et la criminalité ; il nous paraît probable qu’un accroissement des efforts de protection contre l’indélicatesse numérique le serait également. En tous cas la question mérite d’être posée. Dans ce cadre la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF) a un rôle important à jouer. L’invasion de notre vie par les opérations numériques telles que les appels téléphoniques, les textos (SMS) et courriels indésirables (Spams), ainsi que par la plus grosse partie de la publicité sur internet, constitue une importante nuisance. La création au sein de la DGCCRF, en 2016, de Bloctel, service permettant aux particuliers de s’inscrire sur une liste d’opposition au démarchage téléphonique, est un début.

Ce système est encore terriblement bureaucratique – et fort peu numérisé : l’adhérent mécontent est censé connaître (pour le communiquer à Bloctel) le nom de l’entreprise (et même de la personne !) qui lui téléphone. Il faudra évidemment moderniser ce service, notamment en automatisant la détection des auteurs d’appels intempestifs. Seul le bon numérique peut lutter efficacement contre le mauvais numérique. Il faudra aussi aller plus loin, ne pas se limiter aux appels téléphoniques. L’apprentissage de la politesse numérique ne sera pas plus spontané que ne l’est celui de la politesse classique, responsabilité importante des parents et des enseignants qui est hélas quelque peu laissée à l’abandon. Le travail à réaliser est énorme. Comme le disait à ses enfants le laboureur mis en scène par Jean de La Fontaine : "travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins" !

Article publié initialement sur Magistro

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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