Cher Père Noël…

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Par Steen Jakobsen Modifié le 7 décembre 2012 à 5h39
Cette année, je n’aurai qu’un seul souhait à formuler : que tous les politiciens, économistes et dirigeants de banques centrales prennent des vacances pour, disons, les cinq prochaines années. Si celui-ci se réalise, je vous promets une croissance de 3% en Europe et de 5% aux Etats-Unis, ainsi que des réformes en Asie qui permettront ensuite au continent de reprendre intelligemment sa place dans l’économie mondiale. Oui, c’est aussi simple que cela.

Depuis six mois, j’ai souvent irrité les gouvernements en martelant que leurs politiques macroéconomiques allaient dans la mauvaise direction. Ce qui me soucie le plus, c’est qu’ils réfutent mes idées en rétorquant que leurs interventions ont été couronnées de succès. Franchement, pour paraphraser John McEnroe… « they cannot be serious » !

Le chômage des jeunes : plus élevé dans les pays du Club Med que dans la bande de Gaza ! La politique de l’autruche (on ferme les yeux sur la réalité et on repousse les échéances) semble avoir franchi de nouvelles limites alors que l’on voit les taux d’intérêt s’effondrer dans les pays d’Europe du sud et que nos décideurs politiques s’en félicitent bruyamment. Pendant ce temps, le taux de chômage des jeunes de plusieurs pays européens dépasse celui constaté dans la bande de Gaza (45%) où l’économie, toutes proportions gardées, souffre pourtant d’un contexte politique et financier légèrement plus compliqué.

Des prix sans signification. Le marché des taux souverains manque d’un véritable « mécanisme de détermination des prix ». Nous avons tous été habitués à utiliser la courbe des taux comme un instrument de mesure du risque, mais les politiques macroéconomiques actuelles ont véritablement détruit cette courbe des taux. Les flux de trésorerie, la valorisation des actifs ou tout autre investissement, sont des notions qui ne doivent pas seulement prendre en compte le prix que le marché peut accepter, mais aussi la valeur-temps et le coût de l’argent. Cette dernière variable est restée à peu près équitable et transparente au cours des dernières décennies, même si les banques centrales ont parfois eu la main lourde en manipulant le prix de l’argent à l’extrémité inférieure de la courbe. Le coût de l’argent : voilà ce qui permet aux entreprises et aux investisseurs de calculer le juste prix à allouer à un projet et la valeur réelle des profits potentiels.

A présent, avec une courbe des taux qui fait l’objet de manipulations conséquentes dans son intégralité et une politique macroéconomique implicitement destinée à faire face au moindre soupçon de risque systémique, tout le monde considère la faible volatilité comme la nouvelle panacée. Mes quelques 30 années d’expérience sur les marchés financiers m’incitent à penser qu’une faible volatilité ne suggère pas que les risques se soient envolés, bien au contraire ! J’estime plutôt que la fameuse métaphore du « calme avant la tempête » s’applique parfaitement ici – la volatilité potentielle est drastiquement sous-évaluée et il est probable que nous soyons tout simplement en train d’accumuler de l’énergie pour une explosion à venir. Le fait que nous ayons éloigné les risques systémiques extrêmes en Europe, ce que la Fed de Bernanke pense aussi avoir fait aux Etats-Unis, ne signifie pas que nous ayons trouvé une solution durable. Au contraire, cela continue à encourager un manque de responsabilité politique et trahit le fait que le « business model » des politiques macroéconomiques est un échec.

Voici pourquoi je persiste à penser que nous avons besoin d’une vraie crise qui vienne démystifier les fondements de la politique économique actuelle et nous permette de renverser l’orthodoxie macroéconomique qui prévaut actuellement. C’est en effet le seul moyen de faire place nette à de futurs changements.

Les taux des pays « Club Med » sont à la baisse, mais la fuite des capitaux continue. Les banques des pays « Club Med » s’affairent à acheter des obligations de leur gouvernement, avec le sentiment, probablement exact, que l’élection allemande de septembre 2013 leur offre une « fenêtre de tir ». Pendant ce temps, les ménages de ces mêmes nations continuent de retirer l’argent de leur propre pays. Voilà qui n’offre pas un message très cohérent, mais pour ceux qui vivent au Pays Fantastique du Quantitative Easing, la route de brique jaune du rééchelonnement de la dette semble se dérouler éternellement.

Un consensus au beau fixe : d’après les prévisions du consensus Bloomberg sur le S&P500 à fin 2012, l’environnement actuel, composé de politique monétaire accommodante, de stabilité politique et de valorisations « raisonnables », crée les conditions idéales, non seulement pour un rallye de fin d’année, mais aussi pour une très belle année 2013. N’est-il pas ironique de constater qu’il y a un an, le même consensus s’attendait à une année 2012 plutôt difficile pour les actions (pour les stratégistes, une année difficile signifie une performance de marché comprise entre zéro et quelques pourcents) ? Les experts les plus en vue prédisaient ainsi de faibles gains pour l’indice S&P et quelques voix discordantes s’attendaient même à une baisse. Et pourtant, voici le consensus de retour dans la stratosphère.

Notez bien ceci : pas un seul des experts interrogés dans ce sondage ne pense que le S&P500 puisse baisser l’année prochaine ! Et la moyenne des estimations est à +10% contre +5% à la même époque l’année dernière.

Notons ici que le S&P500 cotait 1277 points l’année dernière à pareille époque, ce qui signifie que certains analystes tablaient bien sur une baisse et que l’estimation moyenne était une hausse de 5% dans l’année. L’optimisme – en relatif – est donc deux fois plus élevé cette année et il n’y a pas un seul stratège pour croire à une baisse du S&P500. Cela devrait nous pousser à nous interroger sur cette vision simpliste du risque dans laquelle nous vivons. L’environnement est totalement binaire : le risque est en position « on » ou « off », sans aucune nuance de gris.

Cette pensée unique qui règne sur les principaux marchés me rappelle mes débuts à la salle des marchés de la Chase Manhattan Bank, à Londres (oui, j’ai déjà évoqué cette histoire auparavant !). Nous avions alors un client – disons qu’il travaillait dans l’industrie du chocolat – qui sondait les dix plus grandes banques mondiales pour obtenir leurs prévisions sur l’évolution des principales devises à un horizon de 12 mois. Ce client agrégeait alors les prévisions et regardait le consensus ainsi obtenu. A chaque fois que 80% des sondés étaient d’accord, il prenait une position diamétralement opposée sur le marché. Et ce client était, de loin, le plus avisé que j’ai eu l’occasion de croiser.

Le graphique établi par mon collègue Peter Garny est mon indicateur préféré. Il mesure la différence d’évolution entre l’indice boursier MSCI World et l’économie réelle, mesurée par l’indice IFO sur le climat des affaires. Le point n’est pas ici de dire que les marchés d’actions vont nécessairement s’effondrer, mais plutôt d’observer deux caractéristiques : soit les conditions économiques s’améliorent rapidement, soit il va falloir une correction boursière pour dissiper le nuage de fumée créé par cette conviction générale que la politique de l’autruche va nous mener sereinement jusqu’à 2015.

Le différentiel entre les marchés et l’économie réelle est actuellement équivalent à ce qu’il était au moment de la bulle internet de 2000. Bien sûr, les actions peuvent encore progresser de 10 à 20%, mais le risque marginal est extrêmement élevé et potentiellement de plus en plus coûteux.

Nous continuons à avoir une position vendeuse sur l’USD/JPY et l’AUD/USD et au contraire nous sommes acheteurs sur l’USD/ZAR. Nous avons pris hier une petite position optionnelle vendeuse sur le S&P 500 (décembre / prix d’exercice : 1.380 points), avec une échéance au 21 décembre à 13h25, mais nous attendons dans l’ensemble des niveaux plus réalistes pour revenir sur le marché.

Pour 2013, nous nous intéressons à des secteurs comme l’agriculture, l’aluminium et l’assurance. Pour l’agriculture, nous étudions surtout le rapport entre l’offre et la demande, avant les préoccupations météorologiques. Concernant l’aluminium, les coûts énergétiques représentent 25% des coûts de production totaux : or, les producteurs américains bénéficient d’un prix du gaz naturel au plus bas depuis 10 ans, ce qui impacte favorablement le coût de leur alimentation en électricité. Enfin, la plupart des compagnies d’assurance, toujours plombées par les craintes d’un « risque AIG », se traitent à moins de 50% de leur valeur d’actif.

Encore une fois, qu’on me permette d’insister sur ce point : je vois 2013 comme une année de transition où des forces positives et négatives vont s’affronter. On pourrait voir apparaître de vives tensions sociales et une certaine radicalisation politique en Europe, avec des jeunes sans travail s’opposant à leurs aînés en place et un secteur privé signifiant au secteur public que « trop, c’est trop ». Ce qui me préoccupe le plus, c’est la migration politique vers les extrêmes. L’histoire nous rappelle que c’est ainsi que les choses vont évoluer mais, pour l’heure, le marché n’a que deux choses en tête : les vacances de Noël et un univers composé de taux bas et de risques évaporés qui semble s’être installé là pour toujours.

Bons trades.

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Economiste en chef chez Saxo Bank

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