Se concerter pour mieux décider !

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Par Christian Morel Publié le 28 juin 2012 à 21h00

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Neuf personnes périrent dans ce crash, dont le lieutenant-colonel Tucker. L’enquête a révélé que l’accident était clairement dû à un excès de hiérarchie dans le cockpit. "Lorsque l’appareil se préparait à amerrir, raconta Ely, il [Ely] avait essayé par deux fois de prendre les commandes, mais Tucker avait résisté." À la seconde tentative, le capitaine Ely avait même frappé sur les mains de son supérieur hiérarchique pour lui faire lâcher prise.

Lawrence, révolté, engagea un combat pour rendre le cockpit stérile à l’égard des interférences hiérarchiques. Avec cette intelligence qui lui faisait aller à l’essentiel, il vit immédiatement que c’était un principe autrement important qui se trouvait remis en jeu. En vol, le commandement devait être confié au pilote et à lui seul, sans tenir compte du grade. Ainsi on ne courrait plus le risque de voir un supérieur, parfois inexpérimenté, se couvrir de l’autorité conférée par ses galons pour prendre le commandement et mener appareil et équipage à une triste fin.

Lawrence utilisa ses relations et sa notoriété pour promouvoir auprès du ministère de l’Air britannique le principe de l’effacement de la hiérarchie devant la compétence. Des réformes prirent en compte officiellement ce principe.

Il est extraordinaire de constater que, dès le début des années 1930, l’effet destructeur de l’autorité formelle dans le pilotage aérien a été mis en évidence et pris en compte — qui plus est par un personnage illustre. Mais il faudra encore bien des années et bien des accidents et incidents pour que le principe du cockpit «collégial» devienne un pilier de la sagesse aéronautique civile et militaire partout dans le monde. Encore récemment, une situation similaire s’est produite dans un appareil militaire. Fort heureusement, le pilote en fonction, junior et peu gradé, a fini par s’opposer à son passager officier général, et la catastrophe a été évitée de justesse.

Mais la fin n’est pas toujours heureuse. Le crash de l’avion présidentiel polonais à Smolensk, le 10 avril 2010, n’a eu pour origine, selon toute vraisemblance, ni l’état de l’avion ni une défaillance du contrôle aérien, mais une pression psychologique exercée par le président Kaczynski et son directeur du protocole diplomatique Mariusz Kazana sur l’équipage pour atterrir en dépit d’une visibilité insuffisante. Cela ressort nettement des conversations dans le cockpit. Le pilote a répondu au contrôle aérien qui l’informait de la mauvaise visibilité: "Si nous n’atterrissons pas ici, je vais avoir des problèmes à cause de lui."

Au moment où l’on annonce au pilote que la visibilité a chuté à 200m et qu’il devrait remettre les gaz, on entend dans le cockpit: "Il va devenir furieux si…" Kaczynski et Kazana, qui le représentait dans le cockpit, n’avaient à l’évidence pas lu "Les Vies secrètes" de Lawrence d’Arabie. Les responsables de Korean Air non plus, comme nous allons le voir.

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Christian Morel est docteur en sciences politiques, diplômé de l'Institut d'Etudes Politiques. Il a accompli toute sa carrière comme cadre dirigeant en entreprise. Il a mené parallèlement une réflexion sociologique sur les processus de décision, qu'il poursuit aujourd'hui. Il a déjà publié aux Editions Gallimard "Les décisions absurdes" (2002) et "L'Enfer de l'information ordinaire" (2007).

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