Gratuité du masque, corollaire de son obligation ?

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Par Fabrice Di Vizio Modifié le 28 juillet 2020 à 8h14
Masque Coronavirus Supermarche
135 EUROSLe non-port du masque est passible d'une amende de 135 euros.

Des voix se sont élevées pour réclamer celle-ci, considérant qu’elle était la conséquence logique de la nouvelle obligation ainsi consacrée par le gouvernement.

Pour les plus précaires bien sûr, mais d’une façon générale pour l’ensemble de la population. La question a pris un tournant politique au travers d’une proposition de loi en ce sens, qui a été rejetée, tandis que des juristes ont cru pouvoir alors en appeler au droit, invoquant des principes universels auxquels contrevenait l’absence de gratuité. C’est là un point tout à fait essentiel : la gratuité du masque relève t’elle du champ politique et donc du possible, ou du droit, et donc de la contrainte ?

Pour le dire autrement, ce qui différencie le politique du juriste est souvent la notion même d’opportunité ! La politique offre des opportunités, là où le droit confère des obligations. Dans ce contexte, nous avons voulu examiner tour à tour les arguments parus ça et là dans la presse, et consacrant une obligation de l’Etat s’assurer la distribution gratuite de masques de protection, et vérifier si la question relevait ainsi du droit.La réponse est sans appel : l’Etat peut mais ne doit pas ! En somme, la question est bel et bien politique et convoquer le droit est inutile car sans issue.

Le premier principe naturel auquel chacun pense est naturellement le droit à la santé. Puisque le masque, en somme, est fait pour protéger notre santé, et que l’Etat a l’obligation d’assurer cette protection, il lui incomberait donc de doter la population de masques. Le droit à la santé figure au 11e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 :

« [La Nation] garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

La jurisprudence du Conseil constitutionnel fluctue quant à la valeur à donner à cette notion, mais en dernier lieu, elle a été qualifiée d’objectif de valeur constitutionnelle (C. constit., 11 mai 2020, n° 2020-800, §16).

Or, les objectifs de valeur constitutionnelle ne sont, comme leur nom l’indique, que des « objectifs », ce qui implique qu’ils ne sont invocables que d’une manière limitée. Le Conseil constitutionnel leur accorde ainsi une valeur moindre que celle accordée aux droits et libertés fondamentales et une portée normative tout aussi réduite.

Pire encore, le conseil constitutionnel dans une décision du 19 janvier 1995 a considéré que si un objectif à valeur constitutionnelle peut justifier des mesures législatives et réglementaires prises pour sa mise en œuvre (C. constit., 19 janv. 1995, n° 94-359, § 8), le législateur n’est pas pour autant tenu de remplir cet objectif.La seule obligation dont l’Etat est débiteur serait de s’assurer que les citoyens puissent tous avoir accès aux masques. Or, dans le contexte actuel où plus aucune pénurie n’est à déplorer, cette obligation semble être satisfaite.

C’est d’ailleurs en creux le raisonnement que semble avoir adopté le Conseil d’Etat lors de la pandémie puisque, saisi de plusieurs recours visant à ce que la distribution de masques à toute la population soit ordonnée, il a systématiquement rejeté ces demandes, en relevant que :

« Le moyen tiré de l’existence d’une carence caractérisée dans la mise à disposition de masques destinés à la population n’est pas assorti de précisions permettant d’en apprécier le bienfondé » (CE, 28 mars 2020, n° 439726 ; 29 mars 2020, n° 439798 ; 18 mai 2020, n° 440358).

On voit que le débat porte autour de la mise à disposition des masques - et uniquement cette mise à disposition - n’a de fondement que si et seulement si existe une carence caractérisée. On pourrait discuter de faire une interprétation extensive de cette obligation constitutionnelle et aller jusqu’à aller soutenir que l’Etat est tenu de distribuer des masques aux personnes les plus fragiles, ce qu’il a fait d’ailleurs. C’est un raisonnement de cet ordre qui a conduit l’Etat à mettre en place un système d’aide juridictionnelle en faveur des plus démunis, système qui permet d’assurer l’accès des personnes aux revenus faibles à la justice. Un autre fondement que l’on entend souvent est celui du droit à la vie : le covid est mortel et s’en protéger requiert un masque. Or, l’Etat étant tenu de garantir un droit à la vie, il lui appartiendrait de mettre à disposition gratuitement les masques pour la population.

Mais là encore, nous allons voir que le droit n’est que d’un modeste secours….Le droit à la vie n’est pas protégé par la Constitution mais par l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.Ce texte énonce, à son premier alinéa :

« Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi »

La Cour Européenne des droits de l’Homme infère de ce texte non seulement des obligations négative à la charge des Etats, à savoir ne pas ôter la vie, mais également des obligations positives, au titre desquelles pourrait figurer la mise à disposition de masques. C’est ainsi que si les arrêts Vo contre France et Calvelli et Ciglio contre Italie précisent bien que le droit à la vie impose aux Etats de prendre des mesures en matière de santé publique, ces mesures sont toutefois limitées :

« Les obligations positives énoncées ci-dessus impliquent donc la mise en place par l'Etat d'un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux, qu'ils soient publics ou privés, l'adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades. Elles impliquent également l'obligation d'instaurer un système judiciaire efficace et indépendant permettant d'établir la cause du décès d'un individu se trouvant sous la responsabilité de professionnels de la santé, tant ceux agissant dans le cadre du secteur public que ceux travaillant dans des structures privées, et le cas échéant d'obliger ceux-ci à répondre de leurs actes » (CEDH, Vo c. France, 8 juil. 2004, rq n° 53924/00, §89 ; Calvelli et Ciglio c. Italie, 17 janv. 2002, rq n° 32967/96, § 49).

De la même manière, la Cour a, à plusieurs reprises, pu affirmer que : « l’article 2 de la Convention ne saurait être interprété comme garantissant à toute personne un niveau absolu de sécurité dans toutes les activités de la vie comportant un risque d’atteinte à l’intégrité physique » (CEDH, Molie c. Roumanie, 1er sept. 2009, rq n° 13754/02, § 44). Pour autant, il semble ressortir de l’étude de la jurisprudence de la Cour que cette dernière impose aux Etats de prendre toutes les mesures raisonnables permettant de soigner les personnes malades.

Ainsi, dans un arrêt Hristozov c. Bulgarie (en anglais), la Cour a-t-elle pu affirmer qu’une violation de l’article peut survenir lorsqu’il est démontré que les autorités ont fait peser un risque sur la vie de l’individu en lui refusant des soins qui étaient disponibles pour le reste de la population (CEDH, Hristozov c. Bulgarie, 13 nov. 2012, rq n° 47039/11 et 358/12, § 106).Néanmoins, il s’agit ici de soins d’un individu atteint d’une maladie qui est susceptible de faire peser un risque sur sa vie.

La Cour européenne des droits de l’Homme ne consacre aucun droit à la prophylaxie.

Or, c’est justement à cela que pourraient servir les masques : à prévenir la contamination. En revanche, l’article 2 impose à l’Etat de faire tout ce qui est en son pouvoir pour soigner les personnes effectivement atteintes de la covid-19 dans la mesure où cette maladie met la vie des patients en danger.

Au surplus, et à supposer même que l’obligation de porter des masques puisse être rattaché à ce droit à la vie, la Cour européenne des droits de l’Homme affirme régulièrement que l’article 2 ne doit pas être interprété d’une manière qui ferait peser sur les Etats une charge excessive (« excessive burden ») (CEDH, R. S. c. Lettonie, 8 mars 2018, rq n° 44154/14, §81). Il est particulièrement difficile d’évaluer le nombre de masques dont la France aurait besoin pour équiper toute sa population. Le chiffre d’un milliard de masques nécessaires pour équiper 30% de la population a été avancé, mais sans que rien en vienne confirmer ou infirmer cette évaluation. Quel que soit le chiffre exact, commander suffisamment de masques pour équiper 66 millions de français pendant plusieurs mois, les stocker et les acheminer sont autant d’opérations d’un prix très important, tant en termes de coût qu’en termes d’utilisation des ressources humaines.Tout porte à croire qu’une telle exigence serait considérée comme une « charge excessive » au sens de l’article 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

On le constate, il est peu probable qu’une juridiction puisse considérer que le droit à la santé d’une part et le droit à la vie permettent de contraindre l’Etat à distribuer gratuitement des masques. Par conséquent, faute de norme supérieure de nature à contraindre le législateur à élaborer une loi dans un sens déterminé, ce dernier retrouve sa pleine liberté d’appréciation sur l’opportunité de la norme, et la décision de distribuer gratuitement des masques à la population relèverait alors d’un choix politique et sociologique et non juridique !

L’Etat peut, mais ne doit pas, pourrions-nous résumer !

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Fabrice Di Vizio est avocat spécialiste des professionnels de santé, plus particulièrement des médecins libéraux. Il a défendu les médecins dans des procès concernant leurs droits à la publicité ou encore dans des affaires médiatisées comme Subutex ou Médiator. Le site de son cabinet : http://www.cabinetdivizio.com/.

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