Non aux droits de douane, oui à une taxation des energies et des transports

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Par Caroline Gans Modifié le 29 novembre 2022 à 9h17

Réindustrialiser une zone géographique en restant dans les règles du commerce international peut se révéler extrêmement complexe.

En effet, la seule solution que semblent avoir trouvés les politiques réside dans l'application de droits de douane à l'entrée du marché que l'on souhaite protéger, hier l'Etat-Nation, aujourd'hui l'Europe ou autre grand agrégat économique.


Mais cette vison, outre le fait qu'elle est aujourd’hui contestable dans le contexte des accords commerciaux supranationaux[1] et peut donc être attaquée devant les instances en charge de leur gestion, apparaît comme risquée et rétrograde.

Le rétablissement des frontières nationales comme outil de préservation de l'emploi et de la croissance : une vision risquée et rétrograde.

Risquée car elle présente la notion de frontière comme une notion protectrice : comment dans ce cadre faire comprendre aux citoyens que l'intégration économique globale est une bonne chose pour la croissance, et la productivité des entreprises locales[2], alors même que l'on supporte pour générer de l'emploi et donc aussi de la croissance (tant il est vrai que l'essor économique de la planète s'est quoiqu'on en dise construit sur l'extraordinaire développement du commerce mondial) une mesure qui va à l'encontre de cette intégration mondiale. Il est clair que les extrêmes de tous bords auront tôt fait de s'emparer de ce qui pourrait être lu comme une certaine schizophrénie.

Rétrograde, car prônant le retour de la Nation comme valeur centrale de l'économie. Or chacun sait que dans un monde aux technologies intégrées, l'autarcie est une chimère : selon l’organisation mondiale du commerce, les échanges internes aux firmes représentent aujourd’hui 33 % des échanges[3]. En d’autres termes, produit-on localement tous les composants pour construire ne serait-ce qu'une voiture ? Bien sûr que non. A-t-on aujourd'hui hui la capacité de produire localement tout ce qui peut être souhaité par les agents économiques ? Ne serait-ce qu'en raison de l'absence de ressources rares ou de capacité à recycler les ressources rares dans notre pays et même en Europe, la réponse et la aussi négative.

Préserver et accroître la création locale de valeur d’un bien – ou d’un service – comme facteur de croissance

Le modèle de Robert Reich[4], même s’il est controversé, montre que la création de valeur locale sur une voiture, ne représente plus, aujourd’hui, qu’un bon tiers de sa valeur totale.

Il s’agit donc de trouver des méthodes pour accroître la création locale de valeur d’un bien – ou d’un service – pour conserver de l’emploi à proximité du marché cible.

Quels outils pour préserver et accroître la part de la création locale de valeur d'un bien ?

A cette fin, il existe un moyen compatible avec les règles du commerce mondial qui – outre cette protection des emplois locaux – pourrait stimuler l'investissement de proximité : utiliser les consommations d’énergies et les coûts annexes liés au transport comme référence à un mesure économique, une taxation certes mais qui ne serait pas un droit de douane car ne s'appliquant pas uniquement à l'entrée sur le marché concerné.

Dans ce cadre, plus le produit viendrait de loin, plus il aurait consommé d’énergie globalement (et non rapporté au tonnage transporté) et plus les coûts de transits étant important, plus la taxation serait forte ; cette méthode ayant l’avantage, par rapport à une assiette assise sur diverses émissions (carbone, dérivés soufrés, oxydes d’azote…), d’être fondée sur des données connues : les consommations par navire, moyen de transports, les coûts des transitaires, etc…

En outre, ce type d’outil présente l’intérêt collatéral de motiver à l’investissement et l’innovation dans les transports, car une réduction des consommations impacterait directement la potentielle taxation.

Des mesures économiques et fiscales assises sur la distance au marché et la complexité du bien concerné plutôt que sur le simple accès indifférencié à celui-ci

Quoiqu’il en soit, ce n’est donc plus l’entrée ou non dans un marché mais la distance au marché et la méthode d’acheminement choisie pour accéder au marché qui serait déterminante. Par ailleurs, cette taxation touchant indifféremment importations et autres marchandises, elle ne créerait pas d’emblée une distorsion de concurrence combattu à juste titre tant par l’Union Européenne que par l’OMC. En revanche, elle constituerait une réponse peut-être adéquate à certaines pratiques de dumping fiscal et social.

Des contradicteurs pourront dire que le transport maritime international génère moins d’émissions carbonées que le transport routier utilisé pour les faibles distances. Certes, mais il existe des alternatives au transport routier sur faible distance, et les navires fonctionnant au BFO (Bunker Fuel Oil), produisent des pollutions néfastes, tels que les dérivés soufrés (SOx), les oxydes d’azote (NOx) et bien sûr le carbone. A titre d’exemple, les émissions de CO du transport maritime étaient estimées à 1 050 millions de tonnes en 2007[5] et en croissance de 30 % par an .

Il est aussi vrai qu’une simple taxation sur l’éloignement du lieu de production ne pourrait suffire car elle impacterait indifféremment les biens mobiles, quelle que soit leur complexité technologique et pourrait donc avoir une action négative sur l’innovation. Par ailleurs, et même si l’on assiste ces dernières années à une hausse constante des coûts logistiques[6], il n’est pas certain que les producteurs choisiraient de relocaliser leur production la plus innovante au plus près de leurs consommateurs[7].

Introduire un arbitrage entre le risque de perdre un marché en raison de prix dissuasifs et la possibilité de repenser sa politique de production, sans pour autant renier la spécialisation internationale

Pour améliorer l’efficacité de la mesure économique envisagée, il conviendrait donc de coupler la taxation « à la distance parcourue » avec la complexité du produit arrivant sur le marché : plus le produit serait complexe, c'est-à-dire intégrant de nombreux composants, et disposant d’un degré de transformation important par rapport au produit brut, plus la taxation pourrait être forte[8].

En effet, ce qui motive une stratégie de production, c’est la création de valeur pour une catégorie donnée, de l’entrepreneur au salarié en passant par l’Etat… Si l’on se penche sur le cas de l’entrepreneur, il n’existe pas aujourd’hui de motivation à produire au plus près des marchés de débouchés. Tant que la valeur en utilisant la spécialisation internationale est plus intéressante que la production locale, l’entrepreneur n’a pas de raison de changer son fusil d’épaule. Maintenant s’il est mis en place des mesures économiques, celui-ci pourra soit choisir de répercuter le coût de la mesure économique sur son prix -on retrouve ce choix, par exemple, dans la stratégie de certains producteurs de matières premières du secteur de l'énergie– mais aussi décider de relocaliser et de nouveau produire au plus près.

L’introduction d’un outil économique ou fiscal aura donc pour effet de proposer à l'entrepreneur d’arbitrer entre le risque de perdre un marché en raison de prix dissuasifs ou la possibilité de repenser sa politique de production, sans pour autant renier quelques éléments de spécialisation internationale. Il y aurait en effet une forte motivation à produire au loin les composants les moins onéreux/complexes, et au plus près les éléments les plus couteux : un arbitrage équilibré entre gains de productivité issus de la spécialisation mondiale et préservation de l’emploi et de la croissance de proximité.

Ce type d’introduction d’instruments dits économiques fait l’objet de nombreuses études tant en France, qu’en Europe ou ailleurs dans le monde. L’OMC s’interroge déjà sur l’impact de ces mesures sur la chaine de valeur mondiale[9]. Il est pourtant clair que privilégier la proximité de certaines productions serait tout aussi bénéfique pour l'environnement et le climat que pour la croissance et l’emploi...

La mise en place de ces outils, un choix et une volonté politique : les politiques seuls responsables de la croissance ou non de demain ?

Il existe de ce fait des moyens accessibles et soutenables de relancer la machine économique, ne manque finalement, que la volonté politique d’agir dans ce sens. Plutôt que de rechercher le blocage aux frontières des biens, et à l’heure où les données permettant de mieux comprendre les chaînes de valeur mondiales voit le jour (WIOD)[10], peut-être est-il temps de trouver en Europe un consensus sur la mise en place d’un outil commun favorisant la production dans les pays de l’Union. Cela aurait aussi le mérite de poser la question de la mise en œuvre d’un socle commun de normes sociales et fiscales des partenaires de l'Union, un chantier toujours remis que bien des pays membres se refusent à aborder alors même qu’il pourrait être leur salut.


[1] Textes juridiques de l'OMC - https://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/legal_f.htm#finalact – accédés le 21 Mai 2012.

[2] New Evidence from Brazil on Trade Liberalization and Productivity Growth - Pedro Cavalcanti Ferreira and José Luiz Rossi - International Economic Review, vol. 44, nº 4, November 2003

[3] Globalization and trade flows: what you see is not what you get! Andreas Maurer and Christophe Degain - WTO - Staff Working Paper ERSD-2010-12 Date: June 2010 - https://www.wto.org/english/res_e/reser_e/ersd201012_e.pdf

[5] Second IMO GHG Study, 2009

[7] Même si les pays en émergence représentent des potentiels non négligeables, les réels débouchés demeurent aujourd’hui – comme le montre l’excellente carte interactive du New York Times - les Etats-Unis et l’Europe au sens large https://www.nytimes.com/interactive/2008/09/04/business/20080907-metrics-graphic.html?th&;emc=th

[8] la complexité pouvant être qualifiée au nombre de composants inclus dans un produit donné.

[9] Shane Baddely and Robert Wolfe - RESEARCH AND ANALYSIS WTO - Private standards as NTBs: the case of carbon labels - https://www.wto.org/french/res_f/publications_f/wtr12_forum_f/article_f.htm?art=2

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Caroline Gans est chef d'entreprise et professeur associé à l'Université de Versailles Saint-Quentin en Yvelines ou elle enseigne la gestion de projet, la finance de projet et la finance durable. Parallèlement à ses activités, Caroline Gans est expert et auditeur pour le compte de la Commission européenne sur l'éthique, la gouvernance, les technologies de l'information, les questions de sécurité des données et les sciences de la vie. 

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