Un monde sans crises économiques est-il possible ? (extrait)

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Par Francis Bismans Publié le 7 avril 2017 à 5h01
La Defense
917 milliards d'eurosEn janvier 2017, les banques françaises prêtaient 917 milliards d'euros aux entreprises.

Éclater la banque universelle

Est-il possible d’éviter un accident bancaire systémique ou dit autrement, les crises bancaires à répétition sont-elles évitables ? Une première réponse consisterait à affirmer la nécessité d’améliorer les régulations existantes en matière de fonds propres des banques ou encore des produits dérivés, etc. Une seconde à séparer banques de détail et banques d’affaire ou d’investissement, comme cela fut fait dans les années trente du siècle précédent. Le succès de l’une ou l’autre solution est rien moins que garanti à en juger par l’expérience passée.

Une réponse, positive celle-ci, à la question posée suppose une réforme en profondeur des institutions existantes. En bref, la réforme proposée – c’est presque une révolution ! – revient à éclater la banque universelle en séparant radicalement fonction de dépôt et fonction de prêt, de telle sorte qu’elle ne puisse plus créer de monnaie.

En pratique, le système bancaire ainsi transformé comporterait deux types d’entités, juridiquement distinctes et totalement séparées :

  1. les caisses courantes recevraient les salaires, traitements, pensions, etc., bref les sommes à vue qui y sont déposées ; elles se limiteraient à la gestion des fonds ou dépôts qui leur sont confiés et il leur serait totalement interdit d’octroyer quelque prêt que ce soit ; elles factureraient, à leur coût exact, les services rendus aux clients, comme c’est d’ailleurs très largement le cas aujourd’hui.
  2. les banques d’affaires ne recevront pas de dépôts à vue ; à cette seule exception, elles pourront réaliser toutes les opérations aujourd’hui possibles, y compris en jouant le rôle de « banques d’investissement », en acquérant donc les actions d’entreprises. Leur grande règle de fonctionnement est d’emprunter sur le marché, pour un terme déterminé, les capitaux qu’elles replacent ensuite à un terme moins long, ce qui est une pratique de saine gestion. Dans cette perspective, l’État leur octroiera des prêts à long terme à une rémunération proche de celle du marché et les astreindra, d’un point de vue régulateur, à se plier ainsi à un équilibre strict dans leurs engagements.

Dans le cadre de cette structure bipolaire, plus aucune garantie par l’État n’est nécessaire et plus aucune banque n’aura besoin d’être recapitalisée. Les déposants sont aussi totalement sécurisés, puisque leurs dépôts ne pourront en aucun cas servir à octroyer des prêts.

La totale séparation entre les activités de dépôt à vue et celles de prêt rend, par ailleurs, impossible la création de monnaie de crédit par le système bancaire. Il revient en conséquence à l’État d’assurer l’augmentation, régulière et sans à coup, de la masse monétaire en appliquant une forme de « règle d’or », à savoir : accroître, chaque trimestre, la monnaie en circulation d’un pourcentage égal au taux d’augmentation réelle (i.e. hors hausse des prix) du Produit Intérieur Brut constaté lors du trimestre précédent tout en y ajoutant un demi pour cent d’inflation. (Au total donc, sur une année, la hausse des prix souhaitée serait de deux pour cent.)

La mise en place d’un tel système – le prix Nobel Maurice Allais a été l’un des premiers à s’en faire un ardent défenseur – nécessiterait certes plusieurs précisions additionnelles quant à la manière de passer de l’ancienne organisation à la nouvelle. Ce ne serait là cependant que détails, comparés à l’essentiel qui tient en cette séparation totale des deux types d’activité bancaire.

Une solution rationnelle, presque de bon sens, existe donc à un problème grave, susceptible de déboucher sur des crises financières de grande ampleur qui risquent d’affecter, durement, chacun d’entre nous, à la fois dans son revenu et dans son bien-être quotidien. Son application se heurte toutefois à de nombreux intérêts particuliers. Lesquels ? Notamment ceux des banques, qui ne pourront plus, comme c’est le cas aujourd’hui, bénéficier de la manne des dépôts, qu’elles ne rémunèrent d’ailleurs pas, et s’en servir pour octroyer de multiples crédits, parfois et même souvent, au-delà du raisonnable.

Pour autant cette solution optimale devrait-elle rester confinée à tout jamais dans le royaume des idées ? Pas nécessairement si l’on veut bien considérer, avec Keynes, « qu’on exagère grandement la force des intérêts constitués, par rapport à l’empire qu’acquièrent progressivement les idées ». Aussi en appellerais-je aux lecteurs de cette pomme. Peut-être s’en trouvera-t-il quelques-uns qui aideront à faire d’une belle et saine idée une réalité « financière ».

C’est en tout cas mon espoir et mon souhait !

Ceci est un extrait du livre « Un monde sans crises économiques est-il possible ? » écrit par Francis Bismans paru aux Éditions Le Pommier. (ISBN: 978-2746511873). Prix : 7,90 euros.

Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Éditions Le Pommier.

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Francis Bismans est professeur de sciences économiques à l’Université de Nancy. Son domaine de recherche est l’économétrie, la branche de la science économique qui a pour objectif d’estimer et de tester les modèles économiques, à partir de données issues de l'observation du fonctionnement réel de l'économie ou provenant d'expériences contrôlées.

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