Le responsable du chômage en France n’est pas la mondialisation mais l’Etat

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Par Sylvain Fontan Publié le 28 octobre 2013 à 8h02

Les français considèrent parfois la mondialisation comme une menace responsable du chômage. Ce sentiment est renforcé par un discours politique lui faisant porter le poids du déclin économique du pays. En réalité, ce n'est pas la mondialisation en soi qui est la source des problèmes de la France, mais les dysfonctionnements propres de ce pays qui l'empêchent de profiter des effets vertueux de la mondialisation.

La défiance des français vis-à-vis de la mondialisation

Les français jugent l'ouverture internationale comme la première cause de chômage. L'idée en creux est qu'ils considèrent que la croissance des grands pays émergents (Chine, Inde, Brésil...) est un élément qui pèse négativement sur les entreprises françaises et sur l'emploi. La croyance selon laquelle les délocalisations (processus conduisant à un transfert d'activité du territoire national vers l'étranger) sont à l'origine de l'essentiel des destructions d'emplois, est symptomatique de ce phénomène de rejet de la mondialisation. En effet, les délocalisations sont en réalité responsables de moins de 10% des destructions d'emplois en France. De plus, au-delà des destructions d'emplois, c'est la capacité (ou l'incapacité) à en créer de nouveaux qui devrait focaliser l'attention et les énergies. Dès lors, c'est probablement davantage la défiance profonde des français vis-à-vis du système capitaliste qui explique le rejet actuel de la mondialisation.

Sans sous-estimer ces éléments de contexte, il existe des raisons économiques objectives à ce rejet. Pour ce faire, il convient tout d'abord de rappeler certaines conventions qui expliquent le mécanisme de l'échange par le besoin réciproque :

  • En soi, l'échange économique trouve sa justification dans la volonté des individus d'obtenir ce qui leur manque. Dans cette conception, chacun désir maximiser sa satisfaction (quantité et qualité des achats) tout en minimisant ses coûts (prix des achats).

  • Ensuite, l'échange est également un moyen de palier au phénomène de la rareté. En effet, la production d'un pays est limitée par la quantité de travail (salariés) et de capital (machines) disponible et par le progrès technique (innovation) existant, autrement dit : les facteurs de production. L'ouverture internationale va donc permettre une meilleure utilisation des facteurs de production au niveau mondial en augmentant le potentiel de ces facteurs, et par conséquent un accroissement de la productivité. En d'autres termes, l'augmentation de l'efficacité des facteurs de production (meilleure utilisation) augmentera la quantité totale de la production.

  • Dans ce cadre, l'échange international devrait générer une baisse des prix des biens échangés et donc une hausse du pouvoir d'achat qui permettra à son tour d'accroître la consommation, et donc la production. Ainsi, l'emploi des secteurs bénéficiant de cette nouvelle demande devrait donc croître, et ainsi de suite.

Alors que ces avantages sont une réalité dans plusieurs pays, ils sont moins évidents en France. En effet, les bénéfices attendus de l'échange sont plus limités en France qu'à l'étranger. Conformément à la théorie, l'ouverture internationale a entraîné une baisse des prix des biens échangés dans la plupart des pays développés depuis le début des années 2000. Or, en France, même si le prix de plusieurs biens a diminué (télévisions, informatique, électrotechnique...), globalement le prix des biens d'équipement, des voitures ou des biens de grande consommation ont continué à croître. Dès lors, malgré une hausse du pouvoir d'achat des français, cette hausse a été moins marquée que dans les autres pays développés.

Dysfonctionnements économiques propres à la France

Les raisons de cette évolution atypique ne sont pas liées à l'Euro mais sont propres à la France. En effet, les autres pays de la zone euro doivent également composer avec la monnaie unique. Ces pays jugent également parfois que la monnaie unique est trop "forte" par rapport à ce qu'ils souhaiteraient, et pourtant ils ne font pas face au même phénomène qu'en France. Dans un contexte où les pays ne peuvent plus dévaluer (c'est-à-dire diminuer volontairement la valeur de leur monnaie pour stimuler les exportations), une monnaie jugée trop forte oblige normalement les pays à faire des efforts en matière de compétitivité. En d'autres termes, quand la monnaie ne peut plus s'adapter à l'économie, c'est à l'économie de s'adapter à la monnaie.

Or, la France n'a pas réalisé ces efforts. De plus, la concurrence (dont une des vertus est de tirer les prix à la baisse) qui pourrait participer à améliorer le pouvoir d'achat des français, n'est pas une des qualités premières de l'économie française. Egalement, la réglementation et les charges (salariales et patronales) qui pèsent sur le secteur de la distribution engendrent des coûts qui se répercutent nécessairement sur les prix de ventes, et donc sur le consommateur final. Dès lors, les populations les moins aisées subissent des effets négatifs car le prix de leur "panier de consommation" (largement formé de produits importés) a crû plus fortement que celui des ménages ayant un revenu plus élevé. Elles sont ainsi les premières victimes d'une ouverture internationale qui provoque une réduction de la demande de travail non-qualifié dans les pays développés.

La France fait face à un réel problème de mobilité professionnelle. En effet, au-delà des effets de l'échange international sur les prix, la mondialisation est souvent rendue coupable du chômage. Toutefois, il convient de distinguer les effets directement liés à l'ouverture internationale des échanges de ceux liés à l'impact du progrès technique. En effet, le progrès technique, autrement dit l'innovation, peut réduire la demande de travailleurs nécessaires pour produire un même bien, et peut donc augmenter le chômage. Dans ce cadre, mondialisation et progrès technique combinés modifient le tissu productif français et la répartition des richesses. Pour que leurs effets soient globalement positifs, il faudrait que les travailleurs puissent facilement changer de poste de travail, d'entreprise, de secteur d'activité ou de région. Or en France, la mobilité est très faible. De plus, lorsqu'elle existe, elle est largement subie, plus qu'elle n'est voulue. En effet, les salariés qui changent d'emploi sont surtout ceux sous CDD (Contrat à Durée Déterminée), aidés ou intérimaires. Dès lors, la France est potentiellement plus fragile que d'autres pays face aux effets néfastes de la mondialisation.

La faible mobilité des travailleurs est liée au manque de formation continue. En effet, la France présente un taux de formation continue (donnant lieu à la délivrance d'un diplôme ou d'un certificat) parmi les plus faibles des pays européens. De plus, la formation dispensée est centrée sur le capital humain spécifique et pas général. Autrement dit, les formations dont bénéficient les travailleurs sont axées sur l'emploi qu'ils occupent et pas sur ceux qu'ils pourraient occuper. Ainsi, alors que la perte d'un emploi dans un autre pays peut représenter une opportunité d'évolution de carrière et de changement de voie, le travailleur français peu qualifié est insuffisamment préparé à cette perspective. Son intégration sur le marché du travail est d'autant plus difficile que ses qualifications sont spécifiquement liées à son ancienne entreprise et que ses aptitudes d'adaptation sont faibles. Ainsi, la capacité des salariés à faire face aux mutations économiques reste limitée. Il convient également de citer les difficultés de logement comme facteur de faible mobilité.

L'immobilité économique de la France a aussi participé à la dégradation de sa position commerciale. La dégradation de la part de marché de la France dans le commerce international résulte principalement des échanges de produits manufacturés et de l'augmentation de la facture énergétique. Le seul secteur manufacturier explique 60% du creusement du déficit commercial de la France. Toutefois, si la hausse du coût du travail peut expliquer l'accroissement du déficit courant de la France, elle n'est pas suffisante pour appréhender la diminution de l'offre industrielle. D'autres éléments viennent expliquer cette dégradation. Parmi ces éléments, et au-delà des aspects liés aux coûts de production, il convient de citer (1) un cadre réglementaire et administratif particulièrement handicapant pour le développement des activités productrices de richesses, (2) une trop grande spécialisation de la production française sur le moyen de gamme, (3) une offre insuffisante de produits innovants, (4) des entreprises en moyenne trop petites, (5) une trop faible présence sur les marchés émergents, et enfin (6) la difficulté des entrepreneurs à profiter de l'évolution de la demande mondiale. Le dernier point concernant la difficulté des entreprises à capter la croissance mondiale est directement lié aux autres points, mais il est également lié à des choix stratégiques parfois malheureux. Typiquement, l'industrie automobile française, dont certains constructeurs n'ont pas su correctement anticiper les modifications du marché et de la demande mondiale.

Conclusion

Le sentiment négatif des français vis-à-vis de la mondialisation peut apparaître légitime. En effet, le cercle vertueux de l'échange n'a pas pu parfaitement s'enclencher. Le commerce extérieur n'a pas induit une baisse suffisante des prix des biens importés, limitant ainsi les gains de pouvoir d'achat et la création d'emplois que cette demande supplémentaire aurait normalement dû entrainer. Les suppressions d'emplois induites par le développement des échanges internationaux n'ont pas été parfaitement compensées par la création d'emplois dans d'autres secteurs.

Cependant, les raisons de ce sentiment répandu dans la population se basent sur un diagnostic erroné. Selon lui, la mondialisation est intrinsèquement mauvaise pour la France. En réalité, le responsable du chômage, du sentiment de perte de pouvoir d'achat et de déclassement social n'est pas lié à l'échange international, mais à l'incapacité de la France à s'y adapter : manque de réformes, de mobilité, de flexibilité, de réactivité et de concurrence de l'économie. A cela il conviendrait également d'ajouter un ensemble d'autres phénomènes bloquants, dont à titre d'exemple : les rentes de situation liées à des statuts professionnels privilégiés (qui n'incitent pas à la performance, ni au changement), un droit contractuel très protecteur (qui limite la capacité d'intégration des personnes exclues du marché du travail -jeunes et peu qualifiés-), ou encore des frictions sociales et idéologiques profondément ancrées dans la vie politique française (défense d'intérêts catégoriels de court terme plutôt que l'intérêt général de long terme).

Toutefois, le potentiel d'adaptation de la France existe. Pour ce faire, (1) il faut libérer les marchés afin qu'ils répercutent correctement la baisse des prix des biens mondialisés sur le consommateur final, (2) inciter les entreprises et les salariés à multiplier les formations professionnelles générales plutôt que spécifiques, afin d'accroître l'autonomie professionnelle, et ce, non pas de façon autoritaire et administrée mais en soulignant l'intérêt de chacun, et enfin (3) améliorer la compétitivité française en facilitant le développement et la diffusion du progrès technique grâce notamment à l'amélioration des marges des entreprises.

Ainsi, la France pourrait se réconcilier avec la mondialisation et enfin en tirer bénéfice. De telles mesures n'engendreraient ni hausse d'impôt, ni augmentation des dépenses publiques. Au contraire, en augmentant le potentiel de croissance de la France, le pays pourrait à moyen terme diminuer les impôts et améliorer l'efficacité de la puissance publique. De plus, cette perspective permettrait aux agents économiques d'être plus confiants dans l'avenir et de ne pas reporter leurs décisions d'investissement s'ils intègrent l'idée que la puissance publique ne va pas continuellement augmenter ses dépenses, ce qui induit nécessairement une perspective d'impôts différés. Toutefois, tous ces éléments sont conditionnés au fait que les dirigeants politiques nationaux intègrent des éléments de pédagogie dans leur discours. En revanche, comme les enjeux électoraux priment traditionnellement sur les enjeux économiques collectifs, il est peu probable que cela puisse être le cas dans un avenir proche, sauf à intégrer des mécanismes au sein de la vie politique française permettant de "lier les mains" des responsables politiques(objectifs économiques chiffrés et réalistes, mandats uniques, intégration d'experts provenant de la société civile...).

Retrouvez d'autres décryptages économiques écrits par Sylvain Fontan sur son site : www.leconomiste.eu

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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