Noter les enseignants : le fantasme et la réalité

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Par Jean-Luc Vayssière Publié le 27 février 2013 à 6h02

Un article du Monde, intitulé « Noter ses enseignants, ce n’est pas pour demain », vient d’attirer mon attention. Dès le titre s’exprime un fantasme : si seulement on pouvait noter les enseignants, ces gens qui passent leur vie à donner des notes ! L’imagination s’anime : comme durant le carnaval des sociétés anciennes, les valeurs se retournent et les élèves notent les professeurs – qui refuseraient l’inversion des rôles. Cette vision caricaturale, dans un sens ou dans l’autre, est malheureusement celle qui est la plus souvent relayée dans les médias, mais parfois par les protagonistes du monde éducatif ; elle empêche de voir les vrais enjeux de cette question très importante.

Tout d’abord, évaluer, ce n’est pas forcément noter, et cette équivalence presque systématique est révélatrice d’une conception de l’évaluation d’une grande pauvreté. Ensuite, il faut savoir ce qu’on évalue. L’article du Monde indique avec ironie qu’on ne va pas évaluer les enseignants, mais seulement les enseignements. Cette ironie trahit une incompréhension profonde du problème. L’évaluation telle que je la conçois n’est pas destinée à stigmatiser individuellement mais à faire progresser la formation, c’est-à-dire la qualité du service rendu à la société par l’université. Or les besoins et les attendus ne sont pas du tout les mêmes en première année de licence et en master recherche. Evaluer un enseignant n’a pas beaucoup de sens ; en revanche, évaluer des enseignements, c’est-à-dire le travail accompli par un enseignant pour mettre en adéquation ses compétences avec celles des étudiants dans le cadre d’un objectif de formation et de transmission précis correspondant à une étape d’un parcours, cela fait pleinement sens.

Soyons clairs : l’évaluation des enseignements est pour moi nécessaire à l’université, malgré les résistances de certains, que je n’ignore pas. L’important est de définir sa fonction. Si c’est une évaluation à visée principalement disciplinaire, c’est contreproductif. Si c’est une évaluation qui sert comme outil de pilotage et d’amélioration des pratiques pédagogiques individuelles et collectives, c’est vital. Le problème n’est donc pas de savoir si les étudiantssont légitimes ou sont compétents pour nous évaluer : ils sont des acteurs à part entière du monde universitaire, et leur donner la parole par l’évaluation, c’est les associer à notre projet de formation, leur y faire une place, nous permettre de le faire évoluer avec eux. Leur refuser la parole, au contraire, c’est, dans le meilleur des cas, les pousser à la passivité, dans le pire, les mépriser ou les craindre. Plus important encore, l’évaluation des enseignements est formatrice pour les étudiants, c’est une manière de développer leurs capacités métacognitives par rapport à leur parcours, leur discipline et ce qui leur est transmis. Si les enquêtes d’évaluation sont bien faites, l’étudiant peut sortir, paradoxalement, de la position de consommateur pour être obligé de réfléchir aux objectifs de la formation, à ses attentes, ses besoins, ses réussites et ses échecs. Dans l’idéal, tout le monde ne peut qu’y gagner !

Encore faut-il parvenir à transformer notre culture de l’évaluation. Les débats récents l’ont montré, l’évaluation est souvent automatiquement traduite en critères quantitatifs – d’où la notation. De ce point de vue, le fantasme répandu dans la société de voir les professeurs notés correspond inversement à l’angoisse des collègues d’être l’objet d’une notation. Cela rappelle la fascination qu’exerce le QI : ce serait si simple de pouvoir noter l’intelligence de chacun sur une même échelle chiffrée… Pourquoi ne pas reconnaître, plutôt, la puérilité de ce rapport à la note, qui est fétichisée, alors que les compétences sont plurielles et que c’est cette pluralité qu’il s’agit de prendre en compte pour progresser ?

Mais il faut, dans ce cas, en tirer les conséquences, d’un bout à l’autre de la chaîne éducative : avouons qu’en France, le système scolaire construit une culture déplorable de la notation, qui explique largement les fantasmes que je dénonce ici. Notés de plus en plus jeunes, les élèves sont formés dans un moule qui rabat sur une ligne unidimensionnelle, de 0 à 20, une multitude de compétences et de connaissances. Une fois à l’université, cette culture de la note, des petits calculs pour obtenir une UE et de la sanction chiffrée continue à faire des dégâts dans l’épanouissement pédagogique et intellectuel, et s’y ajoute souvent un sentiment d’arbitraire, lié à des critères de notation qui ne sont pas toujours bien définis. Prolonger cette conception dans la suite de la carrière des enseignants ne me semblerait pas être un progrès.

En revanche, ces enseignants ont un rôle essentiel à jouer : ils sont largement responsables de cette culture de la notation qu’ils transmettent à leur tour aux étudiants, mais qu’ils ne veulent pas se voir ensuite appliquer. J’ai déjà vu des collègues se montrer intraitables sur la pertinence et la précision de leur notation, même dans des cas litigieux, mais tout à fait critiques quant il s’agissait de leur propre évaluation, en enseignement comme en recherche. Ils ont bien raison de refuser la simplification d’une approche notée de leur travail, mais il faut en assumer toutes les conséquences dans leur pratique pédagogique, en amont : si la note n’est pas bonne pour eux, pourquoi serait-elle le sésame de l’étudiant ? La note ne doit pas être un couperet, mais un indicateur, relativisé par l’enseignant, permettant à un élève, puis à un étudiant de revenir sur son travail et de progresser en repérant, qualitativement, forces et faiblesses. La note n’est pas la traduction de la valeur d’une personne, ni même d’un exercice : elle est un outil au service du projet pédagogique, et doit le rester. Des élèves du primaire jusqu’aux enseignants-chercheurs du supérieur, il y a donc un long chemin à accomplir pour construire une nouvelle culture de l’évaluation, qui permette progression et autonomie individuelle, tout au long de la vie.

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J’ai débuté ma carrière comme assistant au Collège de France avant d’être maître de conférences à l’UVSQ, puis directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Etudes, et enfin professeur de biologie à l’UVSQ. Mes activités de recherche, au sein du laboratoire de génétique et biologie cellulaire (LGBC) où je suis responsable d’une équipe, portent sur les aspects moléculaire et cellulaire du cancer. Mes activités d’enseignement se concentrent aujourd’hui sur la première année des études de médecine (PACES, anciennement PCEM1) et sur le master de biologie dont je fus jusqu’à peu responsable. A partir de 2003, j’ai consacré une part significative de mon temps à la vie de l’université tout d’abord comme chargé de mission pour la mise en place du LMD. A l’automne 2004, je deviens directeur de cabinet de la présidence de l’université. Depuis 2008, je suis vice-président en charge du Conseil d’administration de l’UVSQ, avec notamment des fonctions de pilotage de l’établissement. Ces missions ont été l’opportunité d’approfondir ma connaissance de l’université, de piloter des dossiers importants et de participer activement à son développement. Elles m’ont conduit à travailler avec les acteurs de l’université et nombre de nos partenaires, académiques, institutionnels, culturels, politiques et économiques. Au niveau national, j’ai exercé deux mandats d’élu à la section 65 du conseil national des universités (CNU).

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