Tirer le fil d’une nouvelle…

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Par Hervé Goulletquer Publié le 10 novembre 2020 à 13h34
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90%Le vaccin de Pfizer et BioNTech contre la Covid-19 serait efficace à 90%.

Le « coup de chapeau » sur les marchés européens, à l’annonce faite par Pfizer et BioNTech de vrais progrès dans la recherche d’un vaccin contre le COVID-19, pose beaucoup de questions. Il y a bien sûr le fait de savoir si l’enthousiasme est justifié. Plus fondamentalement, il faut s’interroger sur deux points. A court terme, les implications en matière de politique économique et à un terme sans doute un peu plus éloigné, les modifications sociétales, et donc aussi économiques, en cours.

L’annonce que Pfizer et BioNTech ont réalisé une avancée importante dans la mise au point d’un vaccin contre la COVID-19 a déclenché un mouvement d’euphorie sur les marchés de capitaux. Les taux d’Etat ont augmenté de 10 centimes, voire un peu plus, tant en Allemagne qu’aux Etats-Unis. Du côté des actions, la hausse des indices a été spectaculaire au cours de l’après-midi, avant de se corriger en soirée. Ainsi en Europe l’EuroStoxx 50 a progressé de plus de 6%, tandis qu’aux Etats-Unis le S&P 500 n’augmentait que d’un peu plus de 1%. Le style value, dont le transport, l’automobile, les loisirs et l’hôtellerie, a fait un « bond en avant ». La mobilité ne serait plus entravée ! Dans le sillage, le prix du pétrole et le secteur de l’énergie en bourse enregistrent de nettes hausses, tandis que le secteur bancaire profite de la pentification de la courbe des taux.

Passé le « coup de chapeau », il faut bien en venir aux faits. L’exercice est difficile ; l’information communiquée est parcellaire et la matière, terriblement technique. Il faut évidemment éviter la critique excessive, tout comme l’enthousiasme injustifié. J’ai l’impression que l’« espérance » apparue hier est avant tout liée à deux éléments. D’abord, au taux de succès de 90%, atteint au cours de la phase de test sur laquelle les deux institutions communiquent. On dit habituellement que celui-ci ne dépasse pas 60% dans le cas des premiers vaccins inventés pour faire face à un virus nouveau. Ensuite, le délai court avant la mise à disposition aux patients. Le démarrage se ferait avant la fin de l’année !

Passons aux questions soulevées par l’information reçue hier. L’échantillon à partir duquel les résultats ont été trouvés, puis communiqués, paraît limité : 94 personnes, dont la moitié, comme c’est d’usage, traitée avec un placebo. La taille de celui-ci devrait être vite augmentée. Sans doute, les nouveaux résultats seront communiqués au public. Par ailleurs, la capacité de production évoquée à l’horizon de l’année prochaine, tout en étant importante, n’apparaît en mesure que de couvrir une partie des besoins. 650 millions de personnes pourraient être vaccinées. Le chiffre est énorme, mais ne représente que moins de 10% de la population mondiale.

La recherche avance et, semble-t-il, très vite. Il s’agit assurément d’une bonne nouvelle. Il n’empêche que tout n’est pas encore opératoire le long de la chaîne du vaccin, qui va de la mise au point à l’inoculation, en passant par la production et la livraison. La patience reste de mise, même si une « lumière apparait » au bout de ce tunnel d’incertitude dont la longueur n’est pas encore bien définie.

Si le propos fait sens, une première conclusion s’impose. Il n’y a guère de raisons sur les marchés de capitaux à se mettre à considérer des réglages de politique économique moins volontaristes que ceux anticipés il y a encore peu. L’incertitude demeure et les policymakers devraient normalement rester sur la ligne que l’incertitude traversée justifie d’en faire plutôt plus que moins en la matière. Le bémol introduit est en référence aux élus républicains du Sénat américain. Vont-ils prendre prétexte de l’information en provenance de Pfizer et BioNTech pour revoir à la baisse leur estimation du besoin de soutien/relance à fournir à l’économie de leur pays ?

Une deuxième piste doit être explorée, même si elle débouche davantage sur un questionnement que sur une conclusion. La réaction des marchés hier a paru envoyer le message d’un espoir de retour au statu quo ante. Est-ce raisonnable de partir dans cette direction ? Les historiens aiment à considérer que les guerres et les épidémies sont parmi les initiateurs les plus marquants de changements ou d’inflexions des Sociétés ? On ne sait évidemment pas encore si la « loi » sera respectée cette fois-ci avec la COVID. Il n’empêche que le point doit être suivi de près. Il faut être attentif aux signaux, même faibles, des évolutions qui se mettent en place. En sachant que leurs effets peuvent augmenter au contact d’autres changements déjà en cours. C’est ainsi qu’on a un « coup d’avance », afin d’en tirer profit ou pour ne pas commettre une bêtise ! Les points d’attention sont déjà nombreux. Mentionnons-en quelques-uns, même si c’est d’une façon par top désordonnée :

  • la généralisation des façons différentes de travailler (dont le télétravail, mais pas seulement), avec des implications sur l’organisation de la « production » dans les activités de services (moins dans l’industrie ?) ;
  • une mobilité différente, peut-être moins élevée, avec des conséquences sur l’aménagement du territoire ;
  • le retour sur le devant de la scène des contingences par rapport aux tendances, c’est-à-dire d’une meilleurs prise en compte de l’inattendu ; le just in case l’emporterait alors sur le just in time et les valeurs collectives regagneraient de l’importance par rapport à la recherche de satisfactions plus immédiates et plus individuelles.

La liste est à prolonger ; à chacun sa part …

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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