Philippines : sommes-nous à la hauteur ?

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Par Alain Boinet Modifié le 26 novembre 2013 à 20h55

Nous avons découvert, le 8 novembre aux Philippines, qu'un typhon pouvait provoquer des vents de plus de 300 km/h ravageant tout sur leur passage. Face à de telles destructions, on imagine les besoins vitaux quotidiens des populations et les priorités des acteurs humanitaires sur place. Nous avons très vite compris que les difficultés d'accès aux zones sinistrées constituaient le premier obstacle aux secours et que la logistique serait déterminante. Mais n'y a-t-il pas d'autres freins à l'action humanitaire aux Philippines ?

Je ne reviendrai pas ici sur les conséquences de cette catastrophe que l'on connait et que l'on peut suivre quotidiennement par diverses sources d'information. Je voudrai plutôt ici soulever quelques questions concernant la communauté humanitaire en lien avec le communiqué de presse (ci-dessous) de 11 ONG françaises appelant le 19 novembre à une mobilisation financière internationale accrue. En effet, j'ai comme le sentiment étrange qu'il y aurait comme une retenue financière de la part de diverses institutions. Je ne parle pas de la méthode habituelle qui consiste à aller crescendo dans l'annonce des engagements financiers, logique que l'on peut comprendre. Je veux parler d'autre chose qui ressemble à une retenue qui pourrait constituer un véritable frein au déploiement des secours. Que l'on en juge !

En France, le Centre de Crise du Quai d'Orsay, qui dispose déjà d'un budget annuel très insuffisant, est quasiment à sec puisqu'il ne disposait plus que d'un million d'euros au lendemain du cyclone Haiyan. Pourtant, la France ne peut pas limiter son aide à ce million d'euros. La solution immédiate consisterait donc à ce que le Premier Ministre abonde le Fonds d'Urgence Humanitaire pour pouvoir faire face aux opérations engagées rapidement par le Centre de Crise, avec la sécurité civile, sur place. Mais également pour financer les projets présentés par les ONG humanitaires françaises et d'ores et déjà mis en œuvre sur le terrain. Et puis, n'oublions qu'il y a d'autres crises comme la RCA !

De son côté, la Commission Européenne a débloqué au tout début 3 millions d'euros... ce qui laisse véritablement pantois face à l'ampleur des destructions constatées dès le premier jour. Le 16 novembre, après une visite de la commissaire Kristalina Georgiéva sur les lieux de cyclone, un engagement complémentaire a été pris pour un montant total de 20 millions d'euros, ce qui est déjà mieux. Ces 20 ME incluant les 3 millions, soit 10 millions pour l'urgence et 10 millions pour la reconstruction. Si l'on ne peut que se réjouir de la décision du commissaire au développement, Andris Piebalgs, d'engager dès l'urgence des fonds de reconstruction, nous savons que ceux-ci vont être rapidement absorbés tant la reconstruction peut déjà commencer et qu'elle va nécessiter des ressources supérieures à celles de l'urgence. Mais 20 millions d'euros pour la commission européenne, est-ce à la hauteur des besoins et de l'Europe ?

Alors pourquoi, se hâte t'on si lentement alors que c'est au tout début d'une catastrophe comme celle-là que les fonds doivent être disponibles pour permettre une montée en puissance rapide de la réponse d'urgence. De même que pour la reconstruction, puisque celle-ci peut débuter quasi immédiatement dans les situations de catastrophe, à la différence des situations de conflit.

On peut bien sur considérer que l'on est en fin d'année budgétaire et que les acteurs humanitaires, les ONG, doivent disposer de leurs propres ressources. Et cela est vrai. Mais si la collecte de fonds pour les philippines finance immédiatement les secours, les montants de celle-ci ne seront probablement pas à la hauteur de la générosité que l'on a connu lors du tremblement de terre en Haïti ou lors du Tsunami. En revanche, nous constatons que ce sont des collectivités locales et des entreprises qui ont été les plus rapides à réagir et à s'associer à l'action des organisations humanitaires. Au final, l'action humanitaire parviendra t'-elle à être à la hauteur des besoins d'urgence et des nécessités de la reconstruction. Ou bien prendrons-nous un retard préjudiciable aux victimes du cyclone par manque de ressources financières ? Je n'ai pas la réponse à priori, mais je pose la question.

Rappelons que, le 19 novembre, les conséquences du cyclone Haiyan/Yolanda (sources : autorités philippines et ONU) sont estimées à plus de 4000 tués, 18 000 blessés, 1500 disparus. Le nombre de personnes affectées est de 13,2 millions avec 4,4 millions de déplacés. Il y a un million de maisons endommagées, 1,071,0505 plus précisément, dont 527,283 ont été complètement détruites. 80 à 90 % des écoles et des structures de santé ont été endommagées le long du parcours du typhon, mais aussi les lignes électriques, le téléphone, les routes et aéroports et les infrastructures publiques.

Pour conclure, il serait judicieux de réaliser un retour d'expérience collectif pour les Philippines, de s'interroger sur les ressources financières mobilisées et sur le calendrier de déboursement , à Paris et Bruxelles, mais aussi à l'ONU qui a lancé un appel de 301 millions de dollars qui peine à être financé puisque les engagements des Etats au 20 novembre correspondaient seulement à 42,9% du montant de cet appel.

Enfin, au-delà des montants, nous pourrions aussi nous interroger sur l'efficacité des mécanismes institutionnels existant dans les situations d'extrême urgence comme celle-ci et, à nouveau, sur l'articulation entre urgence-reconstruction-développement, sans oublier la prévention préalable induisant la résilience des populations les plus vulnérables face à un tel Cyclone.

Retrouvez plus de tribunes d'Alain Boinet sur son blog : https://www.alainboinet.com/

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Alain Boinet est engagé depuis 31 ans dans l’action humanitaire. Il est le fondateur et le directeur général de Solidarités International, association humanitaire active dans une vingtaine de pays avec environ 2000 membres mettant en œuvre 160 programmes destinés à 3,7 millions de personnes en danger en  répondant à leurs besoins vitaux en matière d’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène, dans le domaine de  sécurité alimentaire. Il a reçu à Barcelone en 1988 le Prix de l’action humanitaire du Festival Européen de la Solidarité. En 2004 et 2005, il a été président du Conseil d’Orientation à l’Action Humanitaire d’Urgence (COAHU) auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes. Membre du comité exécutif du Partenariat Français sur l’Eau et du Conseil National préparant le 6ème Forum Mondial de l’Eau à Marseille en mars 2012. Il est également membre du Comité de prospective scientifique de la Fondation maison des sciences de l’homme à l’EHESS.  

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