Indicateurs de richesse : le PIB ne suffit pas

Par Bertrand de Kermel Publié le 10 avril 2015 à 5h00
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2,06 milliards ?Le PIB de la France en 2014 était de 2,06 milliards d'euros

L’utilisation du seul PIB, pour gérer la France et l’Europe, comme on le fait depuis des décennies, est une très grande anomalie. Cet indicateur est certes très utile, mais il est totalement insuffisant pour mesurer la santé d’un pays, et donc pour le piloter.

Si, collectivement, nous ne donnons aucune valeur dans nos comptes à la qualité du service public, si nous restons enfermés dans un indice de progrès économique qui ne comptabilise que ce qui est créé et pas ce qui est détruit, si nous ne regardons que la production intérieure brute qui augmente quand il y a eu un tremblement de terre, un incendie ou une catastrophe écologique, si nous ne déduisons pas de ce que nous produisons ce que nous consommons pour produire, si nous ne comptons pas les traites que nous tirons sur l'avenir, si nous ne prenons pas en compte la dépréciation du capital accélérée par l'innovation, comment pouvons-nous prendre des décisions en toute connaissance de cause ? Comment notre gouvernement peut-il gouverner avec quelques chances de réussite ?

Il faut compléter le PIB par d'autres indicateurs

La réponse est claire : il faut compléter le PIB par d’autres indicateurs, et faire ainsi passer notre pays de la culture du PIB à la culture du tableau de bord (dont fait partie le PIB). Tel était l’objet du rapport Stiglitz, de septembre 2009, resté malheureusement sans suite. Utilisant judicieusement sa «niche parlementaire», une députée, Madame Eva Sas, vient de donner une première suite à ce rapport, en obtenant le 2 avril, après une longue bataille, le vote d’une courte Loi, qui rend inéluctable ce passage de la culture du PIB à celle du tableau de bord.

Le texte de cette Loi est la suivant : « Le Gouvernement remet annuellement au Parlement, le premier mardi d’octobre, un rapport présentant l’évolution, sur les années passées, de nouveaux indicateurs de richesse, tels que des indicateurs d’inégalités, de qualité de vie et de développement durable, ainsi qu’une évaluation qualitative ou quantitative de l’impact des principales réformes engagées l’année précédente et l’année en cours et de celles envisagées pour l’année suivante, notamment dans le cadre des lois de finances, au regard de ces indicateurs et de l’évolution du produit intérieur brut. Ce rapport peut faire l’objet d’un débat devant le Parlement ».

Une loi encore peu médiatisée

Cette Loi impose donc la publication d’un rapport annuel à une date très précise, présentant :
- L’évolution d’indicateurs de richesse en complément du PIB pour mieux cerner la santé du pays,
- L’évaluation qualitative ou quantitative des principales réformes engagées l’année précédente, l’année en cours, et l’année suivante, sur la base de ces indicateurs et de l’évolution du PIB.

Encore peu médiatisée, cette Loi est en fait une révolution dans nos esprits, si l’exécutif veut bien l’appliquer dans sa lettre et dans son esprit, et si les Parlementaires exigent systématiquement un débat sur le rapport annuel désormais obligatoire. Quelles sont les prochaines étapes ?

Définir les meilleurs indicateurs de richesse

Il faut tout d’abord définir les indicateurs les mieux à mêmes de mesurer l’état de santé du pays et ensuite choisir parmi tous ces indicateurs ceux qui sont les plus significatifs et les plus pertinents. Si le rapport contient trop d’indicateurs, de courbes et de tableaux, assortis de commentaires longs et fastidieux, il ne sera pas lu et tombera très vite en désuétude. Le tableau de bord devra donc être simple, compréhensible par tous, ce qui rend sa conception très difficile mais en même temps passionnante.

Ce travail ne peut pas être fait dans le secret d’un bureau de l’Administration. Il faut y associer les élus nationaux et régionaux, et la société civile. Chacun a quelque chose à dire sur ce sujet, notamment sur le nombre d’indices. Les premières consultations doivent être mises en place dans les semaines à venir. Il n’y a aucune raison pour attendre.

Donner une impulsion au niveau européen

C’est sur la base de ces indicateurs complémentaires qu’il sera ensuite possible de présenter dans le rapport, l’évaluation qualitative ou quantitative des principales réformes engagées l’année précédente, l’année en cours, et l’année suivante. Grâce à cette Loi, toutes les réformes, seront à l’avenir jugées sur leurs capacités faire progresser les trois piliers du développement durable (économie, sociétal, environnement). Il est évident que certaines Loi ne pourront pas être jugées en un an ou deux. Ce n’est pas grave. Lors de son débat, le Parlement décidera de revoir l’analyse de ces Lois deux, trois ou quatre ans plus tard, et ainsi de suite.

Il faut maintenant laisser cette nouvelle Loi s’appliquer pendant quelques années, pour la porter ensuite au niveau européen au vu de l’expérience acquise. Car c’est bien au niveau européen que l’impulsion du développement durable doit être donnée. L’article 3 du traité sur l’Union Européenne précise bien que l’Union Européenne « œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique ». Cette Loi française est cohérente à 100% avec le traité fondateur de l’Union Européenne. Merci Madame SAS. Merci Mesdames et Messieurs les Parlementaires.

Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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