Faire des profits… Mais à quel prix ?

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Par Charles Sannat Modifié le 20 décembre 2012 à 20h29

Je déjeunais ce midi avec un camarade très contrarié. Entre la poire et le fromage, il me glisse que la société Carmignac Patrimoine a été condamnée par l’AMF… Non, pas possible… Si, si ! Alors forcément, il fallait que je me jette une fois devant mon écran d’ordinateur sur mon ami Google afin d’en savoir un peu plus.

Effectivement, la société Carmignac a bien été retoquée par l’AMF. (Vous apprécierez l’utilisation du terme « retoqué » qui ne signifie pas être condamné, ni non plus être innocent. Si je fais attention, c’est que je ne veux pas de procès, je n’ai pas les moyens de payer 500 000 euros d’amendes, donc il faut ruser avec le vocabulaire utilisé.)

Non, la société Carmignac, avec ses 52 milliards d’euros sous gestion, est sans doute « too big too jail »… (un nouveau concept anglo-saxon signifiant « trop gros pour être mis en prison » !!). Alors que s’est-il passé, car il s’est bien passé quelque chose de « significatif » (là aussi vous apprécierez mes circonvolutions verbales).

Vous et moi, si on fait une bêtise, nous sommes condamnés, emprisonnés, embastillés, mis à l’amende, on nous remplit le « casier » (judiciaire), on nous rend inéligible ou ce genre de joyeuseté fortement dissuasive pour le commun des mortels. Dans le monde des Bisounours de la finances française, lorsque vous commencez à « compter », entendez par-là lorsque vous pesez quelques milliards, vous avez droit à un « accord de composition administrative ». Que c’est beau le français. Une telle richesse dans le choix des mots juxtaposés permettant la créativité débridée de nouveaux concepts… Proprement merveilleux.

Donc tenez-vous-le pour dit braves épargnants, la Société Carmignac n’a pas été condamnée. Non, bien sûr que non. La société Carmignac a bénéficié (le mot « bénéficier » est positif en soi, c’est une bonne nouvelle en général que de bénéficier de quelque chose) d’un accord de composition administrative.

Vous pourrez lire le communiqué officiel de l’AMF ci-dessous et admirer l’élégance de la Novlangue administrative de notre Autorité des Marchés Financiers.

Nous avions avec mon camarade de déjeuner un débat sur les rendements actuels proposés par les produits financiers aux épargnants de France et de Navarre. Enfin débat est un bien grand mot dans la mesure où nous sommes globalement d’accord sur tout ou presque. L’idée c’est de dire qu’il n’y a pas de miracle. Il est très difficile de faire certaines performances et encore moins de rattraper certaines mauvaises performances.

Il y a donc un point important à surveiller qui est l’évolution des performances. Un fonds qui fait moins quelques pour cent au mois 10 et qui au mois 11 passe de – x à + y % de performance, c’est généralement difficilement explicable. Comme me l’a enseigné lorsque j’étais jeune un vieux briscard de commissaire aux comptes, Charles, regarde toujours, toujours les variations. Ce sont dans les variations que se cachent les problèmes

C’est un peu ce qui est arrivé à Carmignac et qui a sans doute attiré les regards des fins limiers de l’AMF.

En clair, pour compenser des pertes, Carmignac a pris des positions particulièrement risquées sur des produits dérivés qui n’étaient pas forcément éligibles dans les fonds concernés avec des clients épargnants encore moins prévenus ou avisés des risques potentiels encourus par ces positions.

Heureusement, pour les épargnants ayant investi chez Carmignac, tout s’est bien passé. Cela a même été générateur d’excellentes performances… mais au prix d’un risque très fort. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que tout cela finalement peut être ramené à une histoire de chance. N’importe quel boursicoteur ayant un tant soit peu d’expérience sait que la chance en bourse va et vient.

Plus vous faites d’opérations, plus un jour ou l’autre vous aurez à subir une perte plus ou moins importante, aussi brillant que vous soyez. Personne ne gagne à tous les coups. Même les meilleurs.

Ce qu’il faut retenir de cette affaire : l’AMF, à qui j’ai récemment consacré un papier sur une mise en garde sur les placements alternatifs et les taux alléchants de rendement proposés par certains, a oublié d’étendre cette mise en garde y compris aux fonds communs de placement les meilleurs, et qui pour certains comme Carmignac gèrent 52 milliards d’euros… Ce n’est pas rien, et cela concerne beaucoup de monde !!

Alors ne soyez pas naïfs, lorsqu’une maison, même si elle est très connue et très renommée sur la place de Paris, offre des performances alléchantes, bien souvent elle est obligée de prendre des risques que vous ne souhaiteriez pas la voir prendre. Or, et c’est là où les choses deviennent un peu hypocrites, c’est que les épargnants veulent gagner le maximum… et sont bien contents lorsque c’est le cas, et que c’est pour ça qu’ils vont aller chez Carmignac… pour ses performances !!

Nous sommes dans une période économique d’une extrême complexité et d’une grande dangerosité pour le patrimoine des gens. Dans ce moment où l’essentiel des cartes financières risque d’être rebattu dans les mois ou années qui viennent, l’épargnant raisonnable ne doit avoir qu’un seul souci en tête, une seule stratégie : PRÉSERVER SON PATRIMOINE.

Or préserver votre patrimoine n’est en aucun cas compatible avec une recherche à court terme de rendement. Ce que vous ne gagnerez pas aujourd’hui ou demain, vous le retrouverez certainement après-demain, sous la forme du maintien de votre pouvoir d’achat, et c’est cela que vient de vous montrer cet accord entre Carmignac et l’AMF. Le rendement, aujourd’hui, c’est un risque très, très fort.

Vous pouvez continuer à courir après quelques pour cent. Ce n’est pas ma vision. Vous pouvez courir après les réductions d’impôts… mais hélas souvent dans ce cas on oublie de savoir si le placement va être bon en soi alléché uniquement par une carotte fiscale. Alors encore un fois, ne vous trompez pas de combat. Le monde va changer et votre objectif doit être uniquement la pérennité de votre capital.

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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