Pourquoi l’or est-il une relique barbare ?

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Par Simon Virely Publié le 15 septembre 2016 à 5h00
Monnaies Devises Internationales Or Conversion
@shutter - © Economie Matin
1976L'abandon du rôle légal international de l'or sur les marchés a eu lieu en 1976.

La monnaie est habituellement définie à la suite d’Aristote à travers trois fonctions. Ces fonctions sont celles d’unité de compte, de moyen de paiement (intermédiaire des échanges) et de réserve de valeur.

Mais, pour être acceptée comme moyen de paiement et à plus forte raison pour conserver la valeur, il est nécessaire que la monnaie nous permette de compter les choses, en un mot d’en établir numériquement la valeur. C’est donc logiquement la fonction d’unité de compte qui est première. C’est à la lumière de cette fonction première que l’or doit être interrogé: Est-il une monnaie et peut-il être utilisé comme telle ?

À cette aune, une difficulté apparaît rapidement : Comment pourrait-on compter en poids d’or ce qui est dénué de masse ou ce qui ne s’y laisse réduire? En effet, Il est rigoureusement impossible de compter en or les services, et il en est de même des objets utiles qui, s’ils ne sont pas dénués de masse, ne sont ni utiles ni précieux à mesure qu’ils sont plus ou moins lourds.

L’or « nu » serait une monnaie si et seulement si l’économique était une classe de phénomènes analogues aux phénomènes physiques. Nous savons qu’il n’en est rien. L’économie n’est pas un fait de nature, elle est un fait politique. C’est bien cette confusion que Keynes pointe lorsqu’il désigne l’étalon or comme étant « une relique barbare », et ce dès 1923 en préfiguration de ce qui deviendra, au lendemain de la seconde guerre mondiale, le plan britannique en alternative au plan américain porté par White et reposant sur l’étalon-or.

Dans la lignée du fétichisme métallique, on prétend bien souvent que la monnaie a existé sous sa forme la plus pure, l’or, et sous les formes plus variées de métaux et d’alliages plus ou moins nobles comme l’argent, le bronze ou le billon. En se séparant de sa gangue métallique, la monnaie se serait dégradée au rythme de sa « virtualisation » progressive, pour ne plus être à notre époque qu’un duplicata, un faux légal en simples écritures à la discrétion des institutions monétaires. Singulière pente rétrograde, étonnante hallucination collective si contraire au déploiement de la raison au fil des siècles.

Ne peut-on pas plutôt prendre les choses à rebours? N’est-il pas plus raisonnable de garder à l’esprit que la monnaie n’est pas le support (lingot, pièce ou billet) mais la marque, le chiffre qui y est apposé? De sorte que nous puissions alors comprendre les conclusions des historiens, tels David Graeber dans Dette : 5000 ans d’histoire, qui rapportent que les écritures en comptes, sous la forme des dettes mais également des créances qui en sont le pendant positif, sont la condition même de l’existence de relations économiques étendues. Il apparaît alors que l’économie est partout et toujours monétaire, qu’elle existe dans les livres de compte, et qu’il n’y a partant aucun lieu de distinguer entre une vraie monnaie (matérielle) et une fausse monnaie (numérique), attendu que le métal n’est jamais que le support de la monnaie, et non la monnaie elle-même.

Par conséquent, en faisant retour à nos économies modernes, nous constatons que les mouvements de l’offre et de la demande sur le marché de l’or n’indiquent aucune fuite hors d’un système bancaire qui n’est pas autre chose qu’un vaste système généralisé d’écritures en comptes. En effet, l’or n’est pas une alternative à la monnaie puisqu’elle ne peut en assumer la fonction essentielle d’unité de compte. L’idée d’une fuite vers l’or en situation de défiance vis-à-vis du système bancaire est invalide. En revanche, il est tout à fait juste de dire de l’or qu’il est une marchandise qui peut jouer le rôle de réserve de valeur, comme du reste n’importe quelle autre marchandise, mais ce uniquement parce que, préalablement, l’or est mesuré en unités de compte, soit, dans nos économies, en monnaie bancaire.

Preuve en est, pour trouver « refuge » du côté de l’or, je dois nécessairement procéder à un paiement car je dois m’acquitter du prix de l’or mesuré en monnaie. En obtenant une certaine quantité d’or, je suis alors en possession d’une marchandise, et non d’une monnaie. En effet, je ne serai finalement payé qu’à constitution à mon avantage d’un dépôt bancaire au moment de la vente de mon or. Ainsi, les mouvements sur le marché de l’or n’affectent en rien le volume global du bilan des banques. La course à l’or ne vide pas les comptes, les débits (achat d’or) et les crédits (vente d’or) se compensant exactement puisque, et c’est élémentaire de le noter, toute vente suppose un achat, et par voie de conséquence, tout crédit de X euros suppose au plan macroéconomique un débit de X euros.

La monnaie bancaire est donc à l’entrée et à la sortie des opérations, si bien que l’on n’échappe pas au système d’écritures en compte, et ce quelles que soient les considérations d’usage et quelles que soient les pratiques à travers les âges. L’or est une marchandise que quelque atavisme barbare fait tenir pour une monnaie.

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Simon Virely, né le 30/04/1987, docteur en économie et titulaire d’un Master recherche en philosophie de l’Université de Bourgogne. Mes domaines de prédilection sont l’histoire de la pensée économique, la macroéconomie moderne, les théories monétaires, la philosophie politique et la philosophie des sciences. Enseignant de 2010 à 2016 dans le secondaire et le supérieur.

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