Le pouvoir d’achat, une fausse bonne excuse

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Par Stéphanie Villers Modifié le 8 octobre 2018 à 18h53
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0,2%En 2018, le pouvoir d'achat devrait rester à peu près stable à 0,2% en moyenne sur l'ensemble de l'année.

Le pouvoir d’achat est-il un réel frein pour les ménages français ? Il semblerait que la perception de l’évolution de leur niveau de vie soit biaisée. Alors qu’expriment-ils en invoquant la baisse de leur pouvoir d’achat ?

Le pouvoir d'achat, première préoccupation des ménages français

Le pouvoir d’achat n’est pas un problème en France. Pourtant, selon les derniers sondages, cette thématique reste la première préoccupation des ménages. Alors comment expliquer ce décalage entre la réalité des données et le ressenti des Français ? Regardons en premier lieu les chiffres. Selon l’INSEE, le pouvoir d’achat en France progresse depuis 2014 à un rythme régulier (en moyenne de 1,5% par an) alors qu’il avait reculé en 2012 et en 2013 respectivement de 1,5% et de 2,5 %. En 2018, le pouvoir d’achat devrait rester à peu près stable à 0,2% en moyenne sur l’ensemble de l’année.

Il n’y a donc pas d’inquiétude à avoir sur l’évolution du niveau de vie des français. La variation des prix explique en partie cette relative stabilité du pouvoir d’achat. Le taux d’inflation en août a enregistré une hausse de 2,3%. Ce dernier est calculé à partir d’un panier de biens et de services qui compose les dépenses courantes des ménages. Ainsi, alors que les prix du carburant (+20%) et du tabac (+16,8%) ont fortement augmenté en un an, les prix de l’alimentation ont progressé modérément (2,2%) et les produits manufacturés (habillement, produits de santé, etc.) ont même globalement baissé (-0,1%). D’après une étude Deloitte, les salaires ont, pour leur part, progressé de 2,5% sur un an en 2018 pour les cadres et de 2,2% pour les non-cadres.

Le ressenti prend le dessus

Pourtant, selon l’institut de sondage Odoxa, 86% des Français pensent que leur pouvoir d’achat s’est dégradé ces douze derniers mois. Il est vrai que 7,5 millions de retraités ont été pénalisés par l’augmentation de la CSG de 1,7%. Même si pour certains, cette hausse pourra en partie être compensée par le recul de la taxe d’habitation, reste que les pensions de retraite en net ont, de facto, diminué. De même, la hausse du prix du carburant et des cigarettes a pénalisé les fumeurs et les Français utilisant régulièrement leur voiture. Pour le reste des ménages, il demeure une réelle contradiction entre leur ressenti et leur réalité. Il faut sans doute interpréter ces résultats comme étant davantage l’expression d’une frustration liée à la faible progression de leur niveau de vie, plutôt que le constat d’un réel recul de leur pouvoir d’achat.

Pour autant, cette perception globale aussi fausse soit-elle, a fini par alarmer le gouvernement. Le pouvoir d’achat a été mis à l’honneur dans le nouveau budget 2019. Selon le Ministre du budget, 6 milliards d’euros supplémentaires vont être accordés aux ménages. Les coups de pouce fiscaux vont concerner à la fois les actifs et les inactifs. Ainsi, 300 000 retraités n’auront plus à payer la hausse de la CSG à partir du 1er janvier 2019, ce qui représente 300 millions d’euros redistribués. En revanche, 7,2 millions de retraités continueront de s’acquitter de la hausse de la CSG. Par ailleurs, la deuxième tranche de la baisse de la taxe d’habitation de 3,8 milliards d’euros sera appliquée pour 80% des ménages. En outre, la suppression des cotisations salariales offrira 4,1 milliards d’euros supplémentaires pour les actifs du privé. De même, les heures supplémentaires seront exonérées de cotisations rapportant ainsi 600 000 d’euros à la fois dans le secteur privé et le secteur public. Enfin, la poursuite de la flat tax permettra une économie pour les contribuables de 300 millions d’euros.

Rappelons qu’en même temps Emmanuel Macron s’est engagé à ramener le solde budgétaire à l’équilibre. Ainsi, faute de disposer de marges de manœuvre nécessaires pour alléger drastiquement la fiscalité, le budget n’a pas les moyens d’être ambitieux. En clair, ce qui est distribué aux uns, devra être retiré aux autres. Il n’y a donc pas de miracle à attendre des mesures annoncées pour relancer le pouvoir d’achat en 2019.

Le manque de clarté dans la conduite de la politique économique

Seules des réformes structurelles visant à réduire les dépenses publiques pourraient permettre de débattre sur la capacité de l’action publique à agir sur le pouvoir d’achat. Une croissance dynamique et pérenne reste le meilleur remède pour améliorer le niveau de vie des français en permettant aux chômeurs en particulier de retrouver un emploi. La France a un problème de chômage et de dette publique. La crainte que les Français expriment en évoquant l’évolution de leur niveau de vie, révèle sans doute aussi la défiance vis-à-vis de la politique menée par Emmanuel Macron.

Le bien-fondé des mesures annoncées sème le trouble dans l’opinion publique. L’orientation prise par le gouvernement manque de clarté et laisse les contribuables perplexes. Tant qu’Emmanuel Macron ne réussira pas à redonner confiance dans la politique menée, il n’y aura pas d’effet positif à attendre sur la croissance. Il faut une meilleure communication avec une ligne directrice plus évidente et peut-être moins de suffisance pour que les Français soutiennent les actions menées par le gouvernement. Laisser croire que le pouvoir d’achat est un problème en France et mener la communication du budget autour de cette thématique fait preuve d’un manque de clairvoyance et d’amateurisme dans la conduite de la politique économique.

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Stéphanie Villers est économiste.

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