Prévoir l’avenir est compliqué et incertain ; ce n’est pas une raison pour faire l’impasse

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Par Hervé Goulletquer Publié le 4 juin 2020 à 13h11
Chine Etats Unis
80%L'activité en Chine n'a repris qu'à 80%.

Les marchés continuent de se reprendre, portés par des informations montrant que le pire en termes de croissance est derrière. Le constat est très certainement exact. Pour autant on continue de buter sur le point de connaître le rythme de la reprise économique que les investisseurs appellent de leurs vœux. Soulagement, espoir et « coup de chapeau » ne forment pas une anticipation étayée.
En Europe, après le gouvernement allemand, cela devrait être à la BCE d'apporter aujourd'hui son écot à cette reprise aussi nécessaire qu'attendue.

Le marché des actions paraît ne vouloir que monter. En l'espace de deux mois et demi, l'indice américain S&P 500 a progressé de près de 40% (après -34% sur peu ou prou le mois précédent) et son homologue européen, l'Euro Stoxx 600, de pas loin de 30% (après -35%). Et, dans les deux cas, de manière presque ininterrompue. Le message est donc très fort : le choc subi par le système économique mondial est en train de se dissiper et une reprise un tant soit peu convaincante est en train de se mettre en place. Avant de s'interroger sur la concordance entre ces mouvements et le diagnostic qu'on peut porter sur la dynamique en cours de l'économie mondiale, arrêtons-nous sur les messages envoyés par les autres compartiments du marché des capitaux et plus précisément la courbe des taux et le dollar.

Disons que si le monde est bien en train de sortir du choc économique induit par la crise épidémique, alors on doit observer une pentification de la courbe des taux et l'apparition de pressions baissières sur le dollar. Est-ce le cas ?

Commençons par la courbe des taux et intéressons-nous au cas américain. On observe bien une pentification de la courbe (synthétisée par le mouvement de l'écart entre les taux à 30 et 5 ans ; en prenant des références 10 et 2 ans, le profil serait le même, mais moins accentué). Ce qui sous-entend par ailleurs que la Fed, à partir du moment où la situation s'améliore sur le front de l'économie et où la stabilité financière n'apparaît plus remise en cause, est moins dans une position de contrôle des rendements sur la partie longue de la courbe.

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Passons au taux de change du dollar contre toutes devises. Il s'est stabilisé de la dernière décade de mars à celle de mai et depuis il recule. Au point de casser à la baisse la moyenne mobile sur 200 jours. Si on s'en tient au message envoyé par les expériences passées, de fait le « billet vert » devrait arrêter de s'apprécier, voire se déprécier.

On le constate donc ; les messages envoyés par les différents compartiments du marché des capitaux sont cohérents entre eux : la reprise est « au coin de la rue ». Alors qu'en-est-il ? Chaque jour apporte un élément de preuve d'une activité économique meilleure en mai qu'en avril. C'est heureux et en fait attendu, dans le sillage d'une épidémie en train de passer son pic. Remarquons toutefois que pour le moment le rebond est modeste. Le PMI manufacturier mondial a atteint le niveau de 42,4 en mai, après 39,6 en avril ; mais rappelons qu'il était de 48,2 en T1 et de 50,1 en T4 de l'an passé. Bien sûr, la progression devrait se poursuivre ; ne serait-ce qu'en raison des stimuli de politique économique injectés. Mais avec quelle force et jusqu'à quel niveau ? On ne le sait pas. Je reconnais que je suis insistant sur ce sujet. Mais n'est-il pas de la première importance ? Pour acheter complètement l' « histoire » vendue par le marché, il faudrait être capable de répondre de façon assez catégorique que tout va se passer « haut et fort ». Le peut-on ? Je ne crois pas ; simplement parce que, une fois encore, on l'ignore. Le niveau d'incertitude reste élevé. C'est pour cela que je crois qu'il est important de s'arrêter aussi sur les points moins favorables. Ils font aussi partie des éléments à intégrer à la construction du scénario de marché. J'en ai repéré deux, dans l'actualité récente, qui font sens ou qui forcent à regarder plus loin.

Il y a d'abord tous ces indicateurs qui ambitionnent de synthétiser de façon instantanée les évolutions des différents pans de l'économie chinoise. Suivre la Chine est spécialement intéressant dans la mesure où elle est en avance sur nombre d'autre pays en matière de sortie de l'épidémie. C'est au tour de Bloomberg de proposer un indice de reprise de l'activité. Eh bien, depuis la fin avril il plafonne entre 80 et 85% du niveau d'avant l'entrée dans la crise de santé publique. Comment ne pas être tenté de considérer que le choc de la maladie modifie, au moins pour un temps, le comportement des ménages et des entreprises ? La propension à dépenser serait devenu moins forte.


Il y a ensuite ce travail proposé par le Congress Budget Office aux Etats-Unis. L'objectif est de proposer une vue sur les implications économiques de moyen terme du COVID-19. L'étude concerne la seule économie américaine. La réponse, pour ce qu'elle vaut évidemment, est qu'il faudra beaucoup de temps pour retrouver les trajectoires de croissance et d'inflation envisagées en janvier dernier.

Quittons cette vue à prétention globalisante et saluons le plan de soutien à la demande, que vient d'annoncer le gouvernement allemand. Il pèse 130 milliards d'euros, soit 3,8 points de PIB. Parmi les principaux aspects du programme, notons 1,4 point sous forme d'investissement public (surtout environnement et digitalisation), 0,7 point à destination des PMEs et 1 point en faveur des ménages (dont une baisse des taux de TVA sur la période allant de juillet à décembre). La double dimension d'amorçage de la reprise et de préparation de l'avenir est appropriée ; tout comme le calendrier.

Rappelons que le Conseil des gouverneurs de la BCE se réunit aujourd'hui. On en parlait lundi ; le marché croit « dur comme fer » que l'enveloppe des programmes d'achat de titres va être revue à la hausse. L'annonce serait faite dans le communiqué publié au sortir de la réunion et commentée lors de la conférence de presse. Elle est avant tout justifiée par des perspectives économiques plus dégradées (dont l'inflation) que ce n'était anticipé il-y-a trois mois.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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