Corruption : Encore une loi inutile pour moraliser la vie politique

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Par Bruno Salgues Modifié le 14 avril 2013 à 7h45

Dès le 8 avril 2013, notre pouvoir exécutif a promis pour le 24 avril un texte sur la moralisation de la vie politique. Mais le 10 du même mois, notre Président a annoncé la couleur...

Disons-le autrement, six jours après les aveux dévastateurs de Jérôme Cahuzac, le contenu des mesures « choc » annoncées n'a pas été dévoilé par Matignon mais par l'Élysée. Cahuzac ou pas, l'affaire est entendue. Selon un sondage BVA-Orange pour L'Express-France Inter et la presse régionale, 63 % des Français (contre 54 % en juillet 2010) pensent que la révélation de scandales est le signe que les personnalités politiques sont le plus souvent corrompues.

La solution : la transparence, laquelle, selon le Chef du gouvernement, est « de nature à recréer de la confiance ». Pour le Chef de l'État, « La première de ces orientations, c'est d'assurer la transparence de la vie publique ».
Ce mercredi 10 avril, le Chef de l'État s'est comporté en porte-parole du gouvernement, ce qui est tout de même une innovation républicaine à signaler positivement.

Revenons tout d'abord sur ce mythe de la transparence. Il fait partie du triplet que j'emprunte au psychologue Hervé Bokobza, lequel a ouvert mon esprit à la règle des 3 P en ces termes : « La maîtrise est au cœur même de la transmission d'un savoir jetable : idéal de la technique au service d'une idéologie qui convoque la majorité des hommes à l'abrasion de la pensée. Dans les pires moments de ma réflexion, à l'apogée de la noirceur, j'ai pu imaginer que nous entrerions bientôt dans une époque formidable, celle des trois P :
P comme peur ;
P comme prévention ;
P comme preuve ».

Tel est encore le fonctionnement de notre système politique. La transparence apporterait soi disant la preuve, ce serait un acte de prévention de la corruption. Et voilà, cela ferait peur « aux mauvais ». Que nenni, cela ne fonctionne pas ainsi, c'est l'histoire qui le dit !
Dès l'avènement de la gauche au pouvoir, et suite à quelques scandales, l'idée de nouvelles règles à mettre en place avait germé, mais c'est Jacques Chirac qui sera à l'origine des textes dans la célèbre cohabitation.

La Commission pour la transparence financière de la vie politique a été instituée par la loi n° 88-227 du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique. Cette loi fondatrice a été modifiée à plusieurs reprises depuis, notamment par la loi organique n° 95-63 du 19 janvier 1995, par la loi n° 95-126 du 8 février 1995, par la loi n° 96-5 du 4 janvier 1996 et, dernière évolution en date, par la loi n° 2011-412 du 14 avril 2011. Ouf ! Chaque fois, on a droit à une amélioration !

« La Commission pour la transparence financière de la vie politique est chargée du contrôle des déclarations de patrimoine de plus de 6 000 personnalités (ministres, députés, sénateurs, députés européens, principaux élus locaux et dirigeants d'organismes publics), afin de vérifier que les personnes assujetties n'ont pas bénéficié d'un enrichissement anormal du fait de leurs fonctions » (extrait du site de ladite commission).

Rappelons que Pierre Bérégovoy avait créé un service dans cette intention. Il est nommé Premier Ministre en avril 1992. Le 8 avril 1992, juste après la formation de son gouvernement, il prononce devant l'Assemblée Nationale son discours de Politique générale. Dans cette session, il se présente comme le champion de la lutte contre la corruption affairiste et politique. Les phrases sont claires : « Urgence, enfin, dans la lutte contre la corruption ! ».

Face à des députés surpris, il s'exprime en ces termes : « J'ai ici une liste de personnalités dont je pourrais éventuellement vous parler ». Il mettra rapidement en vigueur les textes concernés. Le Service central de prévention de la corruption (S.C.P.C.) est un service à composition interministérielle placé auprès du garde des Sceaux, Ministre de la Justice ; il a été créé par la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, dont les modalités d'application ont été fixées par le décret n° 93-232 du 22 février 1993.

À quoi cet organisme a-t-il servi pour l'affaire Cahuzac ?
Récemment, des magistrats s'étaient intéressés au sujet et avaient publié une note que j'analyse de cette façon dans mon livre intitulé Avenir d'un redressement. Un cri d'alarme a été signé par 82 magistrats, il a été relayé par de nombreuses associations :
« La décennie qui s'achève a vu se déliter les dispositifs de prévention, de détection, d'alerte et de répression de la corruption mis en place dans la période précédente, comme si les exigences de probité et d'égalité de tous devant la loi s'étaient dissoutes dans la crise, comme si le pacte républicain ne passait pas d'abord par la confiance des citoyens dans leurs représentants et les agents publics ».

Tout est dit ! Ces magistrats ne réclament ni de nouvelle interdiction (ouf !) ni de nouvelles lois, excepté sur un point : pour eux, les outils existent et il suffit de les utiliser :
« Le premier consiste à se doter de véritables outils de prévention et de détection des atteintes à la probité. En particulier, l'indépendance du Service central de prévention de la corruption (SCPC) devra être renforcée ».

Sur ce point, je ne saurais être d'accord sur l'importance de cet organisme mis en place en 1993 par Pierre Bérégovoy. Les magistrats tombent dans le panneau de la société néolibérale en ce sens qu'ils désirent que ce service devienne :
« une autorité en charge notamment de l'évaluation des dispositifs anticorruption mis en place au sein des institutions de l'État, des collectivités territoriales et des structures hospitalières. Un organe indépendant de contrôle des marchés publics les plus importants doit aussi impérativement voir le jour ».

Il suffit d'évaluer le niveau de corruption pour que la corruption existe, nous connaîtrons seulement son niveau. Quel progrès !
Que nous propose le Chef de l'État ? « Une Haute Autorité sera créée. Totalement indépendante, elle contrôlera les déclarations de patrimoine, mais aussi les déclarations d'intérêts des membres du gouvernement, des parlementaires, des responsables des grands exécutifs locaux et des dirigeants de grandes administrations ». Tiens, quelle est la différence avec la commission ? Je pense que nous en saurons davantage bientôt.

Revenons sur les propos du Chef de l'État, « La transparence ! Il ne s'agit pas d'exhiber, il ne s'agit pas de mettre en cause, il s'agit pour les Français d'être certains que ceux qui les gouvernent, ceux qu'ils ont élus, ceux qui sont responsables des deniers publics puissent, pendant la durée des mandats qui leur ont été confiés, ne pas connaître d'enrichissement ».

Et il pense que cela peut être vrai ! J'en doute. Imaginons deux parlementaires ayant des revenus occultes. Le premier, nommons-le Cahu, part en vacances dans les îles malaisiennes, fait bombance et dépense beaucoup d'argent pour se payer l'aimable compagnie de jeunes filles, fait un séjour en Amérique Latine agrémenté de soirées fastueuses aussi fréquentes que mondaines, dans les hôtels quatre étoiles des plages les plus prestigieuses.

Disons qu'il a ainsi dépensé X millions de francs. Le second, nommons-le Huzac, profite de cette même somme de X millions de francs, pour acheter un beau bien immobilier. Lequel d'entre les deux est le plus vertueux ? Vous ne pouvez me rétorquer que ce sont des problèmes de robinet, ou bien encore pour faire savant, des problèmes de flux et de stock ! Je conseille à tous les parlementaires et les ministres dont je rappelle que les salaires avaient été augmentés par Jospin en 2002 dans le but d'améliorer la transparence, de jouer à Cahu plutôt que de se comporter comme Huzac !

Et si nous changions nos hommes politiques pour n'accepter que ceux qui ont pour objectif : Pulsion, Plaisir, Puissance ? Ces derniers seraient capables de se faire plaisir et de ne pas avoir de patrimoine (des Cahu, donc), et par conséquent de faire plaisir à terme à leurs concitoyens. Ils pourraient redonner de la liberté aux hommes et aux femmes.

Cette liberté devra être celle qui permet de libérer les pulsions, pas seulement celles d'un ancien ministre socialiste et patron du FMI. Il s'agira alors de donner du pouvoir, pas uniquement pour interdire, mais pour faire évoluer la France vers des patrimoines intellectuels et industriels, et non des patrimoines financiers. Le renouveau de notre industrie et de celui de la connaissance créée par les universités et nos grandes écoles pourraient en être la source.

Rêvons un peu et soyons utopique. Proposons au principal initiateur de ces échanges médiatiques d'investir la moitié de la somme dans des start ups technologiques et l'autre moitié dans une école d'ingénieurs. Proposons aussi à tous les maires, président d'agglomération qui investissent 600 000 euros dans un rond-point de faire de même (un rond point urbain coûte à peu près la même somme). Peut-être sortirions-nous ainsi plus rapidement de la crise ?

Ce texte est conçu à partir des extraits de mon livre : Avenir d'un redressement, Éditions du Net, 2013.

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Enseignant chercheur, directeur d'etudes, Chef du projet TIC et Santé Montpellier de Evry, (Ile-de-France).

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