Le climato-scepticisme : décryptage des arguments à travers les dynamiques climatiques

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Par Alain Desert Publié le 10 février 2016 à 5h00
Rechauffement Climatiques Theorie Climato Sceptique
@shutter - © Economie Matin
7 %La taille de la banquise a diminué de 7 % depuis 1900.

Le réchauffement climatique se pose comme une problématique complexe, qui conduit et conduira encore et toujours à de nombreux débats, polémiques, articles, controverses.

Depuis quelques années, des scientifiques surnommés communément « climato-sceptiques », remettent en cause la théorie officielle portée par le GIEC, organisme de l’ONU, affirmant avec un haut niveau de confiance que le réchauffement est largement imputable aux activités humaines, du fait de l’émission dans l’atmosphère de grandes quantités de gaz à effet de serre. La question essentielle est toujours la même, les hommes sont-ils responsables de ce changement ou bien est-ce tout simplement la nature (soleil compris) qui brouille le jeu de nos pensées ?

Je vais dans cet article parler du cadre dans lequel devrait s’inscrire l’opposition aux thèses officielles, de la fragilité des arguments avancés, de quelques phénomènes qui méritent un développement tout particulier (notamment certaines dynamiques).

Je précise qu’il est essentiel et bénéfique que des scientifiques dissèquent les rapports du GIEC espérant y trouver des failles, des contradictions, des trucages, des erreurs de procédés, de constructions, de méthodes, de relevés, des modèles imparfaits, etc. en vue de réfuter une théorie trop largement admise à leurs yeux. Encore faut-il qu’il y ait une solidité, une robustesse dans l’argumentaire proposé, que la démarche reste scientifique, et que cela soit fait en toute indépendance, honnêteté et sincérité. Comme on le verra, c’est loin d’être toujours le cas.

FAIBLESSE ET FRAGILITE DES ARGUMENTS

Privilégions la science

La science du climat s’appuie sur les sciences de la physique et de la chimie (thermodynamique, électromagnétisme, optique, …) celles qu’on appelle « sciences dures », implacables, également sur les sciences naturelles (par exemple, le vivant pour analyser les puits de carbone), tout en s'inscrivant dans des processus et des dynamiques complexes, où là les « vérités » peuvent se discuter (l’interdisciplinarité par excellence !). Pour être recevables, les arguments contre les théories du GIEC doivent s'inscrire dans cet espace là. Or parfois, on constate facilement que certains arguments visant à détruire ses conclusions flirtent avec la dimension politique (mission orientée, complot, …), qui en aucun cas constitueraient une preuve implacable établissant qu’une théorie est fausse. Certes, le plan politique ne peut-être complètement écarté, car tout peut devenir politique dans notre monde où la représentation marchande est forte, où les influences (lobbies) sont sans cesse croissantes, où tout peut s’acheter y compris les théories et les idées. Mais l’aspect politique me paraît assez secondaire, au regard des contributions qui visent à éclairer le monde et les décideurs politiques de l’état des connaissances actuelles.

Le CO2 ne serait pas responsable !

Les études du GIEC établissent que le CO2 est le principal gaz à effet de serre responsable du réchauffement, de par sa contribution à ce qu’on appelle le forçage radiatif (plus de 50% de l’effet additionnel). Pour mettre en défaut ces propositions, il faut soit démontrer que le CO2 n'est pas un gaz à effet de serre, donc neutre dans la dynamique climatique, ou bien admettre que le CO2 est un gaz à effet de serre en soutenant que l'augmentation de sa concentration dans l'atmosphère de 40% par rapport à l’ère préindustrielle n'a pas (ou très peu) d'effet sur le bilan radiatif global. Or, les démonstrations qui vont dans ce sens paraissent assez peu convaincantes. Le bilan radiatif de la planète est assez bien connu, ainsi que les effets du CO2 et autres gaz à effet serre sur la température (sensibilité climatique qui est une fonction logarithmique). Bien sûr, les différentes méthodes de calcul aboutissent à des résultats différents, à cause des interactions et rétroactions différemment analysées et pondérées, mais globalement ils montrent qu’un doublement de la teneur en CO2 (prévu à la fin du siècle) provoque un forçage radiatif non négligeable, intégrant les rétroactions positives qui viendraient amplifier le seul « effet CO2 » (comme la plus grande quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère) ou les rétroactions négatives qui au contraire pourraient en atténuer les effets. C’est pour cela que les scientifiques du GIEC proposent d’agir vite, même très vite, d’autant plus que des phénomènes d’emballement sont déjà à l’œuvre.

La fragilité des arguments

Certains arguments contre les théories du GIEC sont assez fragiles, comme l’idée du décalage entre température et CO2 dans les climats du passé, censé démolir tout un édifice, idée sur laquelle je reviendrai en pointant les fréquentes confusions entre corrélation et causalité. Certains opposants n’hésitent pas à glisser leurs « vérités » comme des évidences, par exemple en interprétant les graphiques selon des angles qui les arrangent (interprétation rapide de la relative stagnation des températures de 1998 à nos jours, période trop courte pour en tirer des conclusions). On peut admettre qu’ils sont souvent de brillants scientifiques, mais il est bien connu que certains sont payés par des firmes, des industries, notamment pétrolières, pour développer des théories « agréées » par ces lobbies ayant tout intérêt à faire perdurer notre monde carboné.

Rappelons que le climat s'inscrit dans des dynamiques, or, vous remarquerez qu’il est rarement prononcé dans leurs discours les mots ou expressions suivantes : interaction, rétroaction positive, rétroaction négative, délai, inertie, équilibre, déséquilibre, point de rupture, transition de phase, bifurcation, amplification, sensibilité aux conditions initiales, divergence, effecteur, ... Très curieux lorsque l'on parle des systèmes complexes, où cette terminologie ne peut être ignorée.

DEUXIEME PARTIE : QUELQUES POINTS IMPORTANTS SUR LES DYNAMIQUES

Il faut raisonner à la fois en globalité et en dynamique

L’embellie de l’an mil au Groenland (terre verte presque accueillante !), souvent citée pour attester que dans des périodes relativement récentes il y a bien eu des phases de réchauffement naturel, devient vite une évidence chez les négateurs : l’homme est bien hors de cause puisque un réchauffement s’est bien produit dans un passé pas si lointain. Or, le problème est de savoir si seule cette région était concernée ou bien la planète entière, et quelles en étaient les causes. Le raisonnement global exige quelques précautions vis-à-vis des analyses réductrices de contextes, qui ne s’inscriraient pas dans un schéma général (exemple : les courants marins influencent beaucoup les régimes de températures sur une zone géographique, un phénomène purement localisé). Quand la terre se réchauffait au début du 2ème millénaire, il y avait toute chance que l'arrivée de facteurs contraires ralentirait et inverserait la tendance (facteurs inversés, ou rétroactions négatives versus rétroactions positives ou emballements en œuvre actuellement).

Tout cela pour illustrer le fait que les auteurs qui récusent la thèse officielle du GIEC proposent rarement des analyses sur les dynamiques futures qui viendraient mettre en défaut les processus décrits. J'en reviens toujours aux dynamiques car c'est le plus important à mon sens. Il ne faut pas focaliser sur des instantanés. Aujourd'hui on est à 400 ppm en concentration de CO2 (parties par million), demain on sera à 500 ppm ou plus, c'est à dire le double de la moyenne des 800000 ans passés. Pour imager, on peut dire que ce n'est pas avec des analyses de sang que l’on comprendra la régulation de la glycémie.

Attention aux confusions corrélations / causalités (retard CO2 sur la température)

Je reviens sur l’idée souvent avancée par les climato-sceptiques concernant la corrélation ou la causalité entre la température et la concentration de CO2. L’histoire du climat, révélée avec l’étude des carottes glaciaires, des sédiments marins, nous apporte des éléments précieux, mais parfois remis en question à cause des incertitudes sur les datations et de la complexité des analyses. Je n’irai pas plus loin. Je pose simplement la question cruciale suivante :

Quand 2 variables varient (quasi) simultanément à la hausse ou à la baisse, comme c’est un peu le cas de la courbe des températures et du CO2 sur 800000 ans (recul que l’on a aujourd’hui avec l’analyse des glaces en Antarctique), en supposant que l’évolution du CO2 ait un retard sur l’évolution de la température (ce qui reste à prouver), que peut-on en déduire ?

  • Il y a causalité linéaire entre les deux variables. Première causalité: l'augmentation du CO2 est la conséquence de l'augmentation de la température. Deuxième causalité: l'augmentation de la température est la conséquence de l'augmentation du CO2. Pas très logique pour nos petits esprits vu que le décalage nous fait pencher en faveur de la 1ère hypothèse!
  • Les variables sont juste corrélées, il n’y a donc pas de liaison de cause à effet. C'est un facteur exogène qui fait varier les 2 variables en même temps (ou des facteurs). L'une n'influence pas l'autre et inversement.
  • On a affaire à une causalité circulaire: la température fait augmenter le CO2 et le CO2 fait augmenter la température. En supposant qu'une première impulsion (même de longue durée) est exogène au phénomène circulaire. A noter que beaucoup de phénomènes dans la nature évoluent selon ce type de causalité. Le phénomène « A » influence le phénomène « B », et « B » en retour influence « A ».
  • On ne pas conclure, car on oublie le contexte ou on ignore trop de choses sur le système étudié.

Réponse : si on analyse uniquement les courbes en question, on ne peut rien conclure. Il faut faire intervenir d’autres éléments pour édifier une hypothèse sérieuse. Des scientifiques commettent volontairement ou non cette négligence. Soit ils tombent eux-mêmes dans le piège de la confusion corrélation/causalité, ce qui est peu probable, soit ils profitent de l’ignorance pour tordre une réalité. De toute manière, là n’est pas le problème, car dans le passé lointain, l’Homme n’ayant pas encore sévi, les grandes variations climatiques se sont réalisées sur plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’années, accompagnant les cycles astronomiques. Il est peu probable que le CO2, en tant que phénomène impulsif, ait été à l’origine de l’augmentation ou de la diminution des températures dans le passé. Il a peut-être seulement joué le rôle d’amplificateur, par des variations de concentration non négligeables évoluant entre 180 et 300 ppm maximum.

La problématique actuelle est totalement différente

Aujourd’hui, le problème est tout autre. Il faut oublier les grands cycles astronomiques. Les facteurs agissant globalement sur la planète et sur le long terme, en dehors du compliqué périple de notre planète, sont à chercher du côté du soleil, des gaz à effets de serre, ou bien de l’activité volcanique (produisant des aérosols). Au regard des évolutions de l’irradiance solaire, le soleil ne semble pas être en cause. Le CO2 a augmenté depuis l’ère préindustrielle de 120 ppm (parties par million), la même ampleur de variation constatée sur les grands cycles des 800000 ans passés. Le forçage radiatif est important (et ce n’est pos fini!) et nous n’avons pas de précédent qui nous permettrait de connaître la réelle contribution du CO2 au réchauffement, pour une telle impulsion et sur une durée aussi courte. On ne peut s’appuyer que sur des modèles. J'ai envie de prendre le phénomène CO2 comme un point de départ, une forme d'impulsion, qui au-delà se son propre effet appelé à perdurer (certainement non négligeable) va provoquer d'autres phénomènes venant en renforcement par le biais des boucles de rétroaction.

Points de rupture liés aux phénomènes de transition de phase.

Les phénomènes naturels, les évolutions, dépendent non seulement des variations et des amplitudes des facteurs qui les gouvernent, mais également des niveaux. Quand les températures moyennes dans une région passent de -20°C à -17°C, il ne se passe rien sinon pas grand chose. Quand elles passent de -2°C à +1°C, « il se passe tout ». On est sur une transition de phase, l'eau passant de l'état solide à l'état liquide, provoquant des ruptures, des bifurcations. C'est ce qui se passe avec la fonte de la banquise et de l'inlandsis et de tous les autres glaciers sur la planète. L'albédo diminue en arctique, car il y a moins de surface de glace pour réfléchir les rayons solaires, et de fait une plus grande absorption de la chaleur rayonnante par les eaux qui vont donc être réchauffées accentuant le phénomène de fonte. Un exemple intéressant de boucle de rétroaction !

Beaucoup de régions voient leurs températures en été approcher les 0°C et le moindre réchauffement subi provoque des ruptures (+1°C suffit!). Donc il faut définitivement effacer les schémas linéaires, les extrapolations, etc.

Pour glisser une petite note d’humour, prenons un exemple de rupture chez l’être humain lié à la température … Si on peut en première approximation considérer qu'en état de maladie, la température du corps varie proportionnellement à l'intensité de l'infection, au delà de 42 ou 43°C, il y a un vrai point de rupture qui nous conduit droit vers la mort. Une belle transition de phase et définitive ! Quand je dis que la nature n'est pas linéaire .... !

La rapidité du phénomène

Il y a un point important sur lequel il faut insister qui est la rapidité du réchauffement, la dimension temporelle. On voit sur les graphiques que les évolutions climatiques significatives au niveau planétaire (et non pour une zone géographique) se produisent sur au moins 10000 ans, le temps par exemple de passer d'une période glaciaire à une période plus chaude. Pour nous, les humains de passage, pas très à l’aise avec les dimensions temporelles, face à un univers (ou une Terre) qui compte en milliers, millions ou en milliards d’années, l’évolution s’est produite sur quelques décennies seulement, une toute petite différence d'échelle, et comme par hasard au moment où les émissions de GES se sont accélérées ! Oublions un instant notre anthropocentrisme, et pensons à une nature à qui on impose des ultimatums d’adaptation (par exemple la désynchronisent des interdépendances). La nature a besoin de temps, il a fallu 4 milliards d'années pour passer de la 1ère cellule à l'homme. La marche vers la complexité et l'intelligence est longue et laborieuse. La marche vers la destruction est immédiate!

Et même en supposant que le GIEC ait tort

Supposant que le CO2 en surplus dans l'atmosphère n'influence pas le climat et que par conséquent l'homme est dégagé de toute responsabilité en la matière, peut-il au moins endosser la responsabilité d’autres problématiques comme l'acidification des océans et de tous les déséquilibres et désordres qui en résultent? Auquel cas, n'est-il pas urgent de stopper nos émissions au nom de tous ces écosystèmes qui n'ont pas la possibilité d'organiser leur propre COP21 et faire entendre leurs doléances ? Je crois que la question se pose.

Conclusion

Difficile de conclure sur un tel sujet, aux facettes multiples. La meilleure conclusion sera celle du lecteur. Cependant j’insiste pour terminer sur les 2 points suivantes :

Les dangers tiennent dans les boucles de rétroaction qu'on a enclenchées nous les hommes inconséquents, et les fortes inerties des systèmes écologiques et climatiques. Le retour arrière semble impossible, sauf sur des milliers d'années.

Pour analyser correctement les phénomènes terrestres donc climatiques, il faut absolument intégrer le temps, l'espace, les systèmes ouverts, et la complexité. Il faut introduire dans le raisonnement les causalités circulaires, tout simplement parce que les systèmes complexes transforment les causalités simples (linéaires) par le jeu des interactions et des rétroactions. Toute négligence sur ces aspects provoque l'écroulement des théories.

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Ingénieur en informatique, Alain Desert a longtemps travaillé sur des plates-formes grands systèmes IBM où il a eu l'occasion de faire de nombreuses études de performances. Il est un adepte de l'approche systémique.

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