Retour sur le périple grec et une faillite à rebondissements (2/3)

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Par Louis Rouanet Publié le 6 juillet 2017 à 5h00
Grece Faillite Etat Union Europeenne
177,4 %En 2015, la dette de la Grèce représentait 177,4 % de son PIB.

Nous vous revenons sur le périple de la faillite de la Grèce toujours d’actualité malgré 7 Mds€ fournis par l’Internationale européenne des contribuables pour passer l’été.

Dans la première partie, nous avons vu la période 1981-2009 durant laquelle l’économie se délabrait. Aujourd’hui nous allons revisiter la période faste qui vit la disparition de la drachme et l’instauration de l’euro.

La Grèce : la grande gagnante de l’euro, 2002 – 2009

La création monétaire n’est pas neutre, elle implique une modification de la distribution des revenus et du patrimoine. C’est au début du 18ème siècle que l’économiste franco-irlandais Richard Cantillon remarqua que les premiers à recevoir de l’argent nouvellement créé gagnent à la création monétaire car les prix nominaux n’ont pas encore changé quand ils dépensent leur monnaie. Les derniers à recevoir l’argent nouvellement créé, inversement, s’appauvrissent avec la création monétaire puisque ceteris paribus leurs revenus nominaux augmentent moins vite que les prix. Cet effet Cantillon – c’est-à-dire la redistribution instaurée par la création monétaire – a provoqué les déséquilibres de la Zone euro avant la crise de 2009.

Contrairement à ce qui est souvent dit, l’Allemagne fut la grande perdante de l’euro et les gouvernements des pays périphériques les grands gagnants. Alors qu’au départ, la BCE devait limiter la croissance de la masse monétaire totale à 4,5% par an, elle devint rapidement supérieure pour atteindre 12% en 2007. Mais cet argent nouvellement créé par la BCE ne fut pas uniformément distribué dans la Zone euro. Comme l’écrit Philip Bagus dans La Tragédie de l’Euro :

« La nouvelle monnaie continuait à affluer plus rapidement dans les Etats méditerranéens, desquels elle passa aux consommateurs et gouvernements du Sud, empêchant les prix de baisser (prix qui étaient relativement plus chers par rapport aux prix en Allemagne). L’afflux de biens de l’Allemagne vers les pays du sud continuait. Le déficit de la balance courante se maintenait et les pays du sud restaient relativement moins productifs alors qu’ils s’habituaient à un niveau de consommation qui n’aurait pas été possible sans création monétaire en leur faveur. L’inflation du sud fut exportée en Allemagne alors que la stabilité monétaire fut importée. Les prix dans le sud n’augmentèrent pas autant qu’ils ne l’auraient fait sans les importations en provenance d’Allemagne. Les prix en Allemagne augmentèrent davantage qu’ils ne l’auraient fait sans les exportations vers le Sud de l’Europe  ».

En Grèce, la croissance de la masse monétaire (pièces, billets et dépôts à vue) fut constamment supérieure à celle de l’Allemagne avant la crise, dépassant 20% en 2007.

Le mythe tenace selon lequel l’Allemagne a bénéficié de l’euro car il lui a permis d’augmenter ses exportations vers les pays périphériques est sans fondement. L’augmentation des exportations n’était pas la preuve du succès allemand mais la preuve des dommages occasionnés par la monnaie commune. Les Allemands exportaient certes plus mais au lieu d’importer d’autres biens, ils importaient l’inflation venant des pays du sud. En d’autres termes, l’Allemagne bénéficiait de moins de biens de consommation et de salaires réels plus faibles à mesure qu’elle importait le papier monnaie des Grecs !

Les pays de la périphérie de la Zone euro d’un autre côté – et surtout la Grèce – pouvaient bénéficier de niveaux de consommation sans rapport avec leur productivité réelle. Etant les premiers bénéficiaires de la création monétaire de la BCE, les prix à la consommation de ces pays augmentèrent bien plus rapidement que pour l’Allemagne et accentuèrent les problèmes de compétitivité de leurs industries. Les déficits de la balance courante des pays du sud n’étaient autre que l’effet Cantillon en pleine action.

Mais pourquoi la masse monétaire grecque augmenta-t-elle si rapidement par rapport au reste de la Zone euro ? La réponse se trouve dans le fonctionnement du système moderne de banque centrale qui transforme une partie importante de la dette publique en cash. Les dettes publiques profitant de très bonnes notes données par les agences de notation et de pondérations très favorables pour les exigences de fonds propres des banques, jouent un rôle crucial dans le processus de création monétaire. Avec la création de l’euro, les taux d’intérêt sur la dette des pays de la Zone euro convergèrent grâce à la garantie implicite de l’Allemagne. La tarification de la différence de risque de défaut entre les différents Etats membres avait disparu. Le gouvernement grec pouvait emprunter impunément à des taux ultra-favorables et en faire payer le prix à ses voisins. Comme l’écrit Bagus :

« La tragédie de l’euro se situe dans les incitations à contracter des déficits budgétaires plus élevés, à émettre des obligations d’Etat, et à faire supporter à l’ensemble du groupe utilisant l’euro la charge – sous la forme de la diminution du pouvoir d’achat de l’euro – des politiques irresponsables. Avec de telles incitations, le personnel politique tend à laisser filer les déficits. Pourquoi payer pour davantage de dépenses en augmentant les impôts impopulaires ? Pourquoi ne pas simplement émettre des obligations qui seront achetées par la création monétaire, même si, au final, les prix devront augmenter dans l’ensemble de l’UEM ? Pourquoi ne pas externaliser ce faisant les coûts des dépenses publiques ? »

La question qui se pose immédiatement est comment des « petits » pays périphériques ont pu imposer leur volonté à des pays plus gros comme l’Allemagne. Pourquoi l’Allemagne elle-même n’a pas essayé d’utiliser la création monétaire de la BCE à son avantage ? La taille intervient. La Grèce peut financer ses déficits par la création monétaire tout en ayant un effet relativement modéré sur l’augmentation des prix dans la Zone euro, mais cela n’est pas le cas pour un pays majeur comme l’Allemagne dont l’irresponsabilité budgétaire aurait des conséquences bien plus dramatiques pour l’euro. Les Grecs ont exploité les Allemands. La BCE siège certes à Francfort, mais l’argent qu’elle créait allait à Athènes.

A l’endettement du gouvernement grec doit s’ajouter l’endettement des ménages grecs. Dans le système bancaire actuel, les prêts ne sont pas nécessairement adossés à de l’épargne existante. L’expansion du crédit est donc généralement inflationniste. L’euro permit aux secteurs privés des PIIGS (Portugal, Italie, Irlande, Grèce et Espagne) de faire l’expérience d’une expansion importante du crédit bancaire. Cette expansion créa un boom du secteur financier en Irlande et une bulle immobilière en Espagne ; les Grecs quant à eux profitèrent des taux d’intérêts plus faibles pour consommer plutôt que d’investir. 70,4% de l’augmentation de l’endettement du secteur privé entre 2002 et 2008 était dû à une expansion du crédit pour les ménages grecs ! A titre de comparaison, ce nombre était seulement de 42,4% pour l’Espagne pendant la même période.

La période allant de la création de l’euro à la grande récession a entrainé en Grèce une augmentation de la consommation sans investissements. La réduction du niveau de vie des Grecs depuis la crise correspond principalement à la disparition de cet excès de consommation. Comme l’écrivait déjà Jean Baptiste Say dans son Traité d’économie politique (1803), les gens « croient à la prospérité dès l’instant où ils voient de la dépense. Qu’ils ne s’y trompent pas : un pays qui décline offre pendant quelque temps l’image de l’opulence ; ainsi fait la maison d’un dissipateur qui se ruine. Mais cet éclat factice n’est pas durable ; et comme il tarit les sources de la reproduction, il est infailliblement suivi d’un état de gêne, de marasme politique, dont on ne se guérit que par degrés et par des moyens contraires à ceux qui ont amené le dépérissement. »

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Louis Rouanet est diplômé de Sciences Po et étudiant doctorant à George Mason University aux Etats-Unis. Il est également PhD Fellow et F.A. Hayek Fellow au Mercatus Center. Il écrit régulièrement pour le Ludwig von Mises Institute aux Etats-Unis. Ses intérêts portent principalement sur la politique monétaire.

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