Mes chères impertinentes, mes chers impertinents,
Je ne sais pas si vous avez la même femme que moi, mais régulièrement, ma tendre épouse se met en tête de m’extirper de mon antre entre mes livres, mes ordinateurs et mes piles de papiers. Généralement, c’est pour me rappeler fort amoureusement qu’en dehors de mes concepts philosophico-économiques, il y a une vraie vie... et dans la vraie vie, on manque toujours de place.
On manque tellement de place, que « Chéri, tu descendras ranger la cave, ça te fera du bien de sortir de ton bureau… prends les garçons avec toi (ça ça fera du bien à maman) ». C’est ainsi que je me suis retrouvé de mon bureau, que je dois objectivement qualifier de joyeux bazar, à la cave où c’est carrément... un empilage savant allant des boîtes de raviolis à tout plein de trésors que l’on avait oubliés.
C’est ça qui est bien avec les caves (remarquez que cela fonctionne aussi avec les greniers, ou les malles que l’on peut retrouver dans une vieille maison de famille), c’est que cela regorge de surprises et de souvenir presque enterrés. Archivés.
Et j’ai fait quelques belles trouvailles, que je vais m’empresser de partager avec vous sous l’œil gentiment courroucé de ma moitié qui pensait me faire ranger la cave et prendre l’air et qui retrouve son mari définitivement incurable avec quelques vieux opus de magazine papier qu’il avait réussi à planquer des griffes acérées de madame qui adore jeter « mes » affaires !
« L’état du monde en 2009 » !
Eh oui, voyez-vous, même un banal rangement de cave peut se transformer en sujet passionnant. Enfin, moi, ça m’a passionné de retomber sur ce vieux Capital (mais j’ai une super collection de dossiers spéciaux et de hors-séries de tout genre), et de me remettre en tête ce qui se disait il y a exactement 10 ans et de voir où nous en sommes aujourd’hui et ce qu’il s’est passé.
Voici donc trois tableaux que nous allons mettre en perspective ensemble.
Ci-dessous le premier donne les chiffres des dettes sur PIB il y a 10 ans.
Celui ci-dessous donne le niveau des dépenses publiques en pourcentage du PIB. En France nous sommes à presque 60% désormais. Pourtant nous vivons moins bien aujourd’hui qu’il y a 10 ans. La question qui dérange ? Où passe l’argent ?
Avez-vous remarqué le taux d’endettement de la Grèce à l’époque ? 90 % de dettes sur PIB. Il n’y a pas à dire, plus d’Europe, plus de libéralisme et plus de mondialisation, cela permet d’améliorer grandement les choses puisqu’en Grèce, nous en sommes à plus de 183 % de dettes sur PIB avec une crise sociale d’anthologie.
Vous allez me dire, Charles, c’est la Grèce blablabla, la faute aux Grecs, blablablabla, vilains Grecs, blablablabla, toussa, toussa.
Alors, regardons les États-Unis, dettes sur PIB 61 % en 2009, aujourd’hui, en 2019, nous en sommes à 137 % du PIB. Brillante réussite des politiques menées. Je pense qu’il faudrait penser à accélérer encore histoire d’aller encore plus vite… dans le mur ! Vous allez me dire, oui, mais les États-Unis c’est pas pareil, il y a Trump, raciste, fasciste, « phobe » en tout, machin toussa, toussa… Certes.
Bon, alors, je vous propose de parler de la France, c’est vrai quoi, nous, nous sommes dirigés par le « leader » du monde libre, le grand timonier du totalitarisme marchand au bilan globalement positif, comme aurait dit Georges Marchais à propos du communisme soviétique avec son timbre de voix inénarrable… Sa « saigneurie » du Palais, Mamamouchi 1er alias Macron, le petit père du grand peuple des milliardaires de tous poils !
Du sérieux donc. Alors en 2009, la France avait 64 % de dettes sur PIB et aujourd’hui, d’après l’OCDE, vous avez le lien en dessous, nous sommes à 121 %… Oui, mes amis, en disant, pardon en 10 ans (c’est un jeu de « maux »), nous avons doublé la mise ! Quand on joue au poker, faut savoir miser, demandez à Castaner, il en sait quelque chose !
Vous allez me dire, oui, mais tout n’est pas la « faute à Macron », pauvre choupinou, il n’est pas là depuis très longtemps, blablablabla, machin toussa, toussa…
Bon, d’accord, je suis sympa. Allez, prenons le bilan du premier de la classe, la très sainte Allemagne, le pays qui rafle la mise, le meilleur élève de tous les temps… Sa dette passe de 63 % en 2009, soit presque comme la France, à 79 %, et c’est évidemment la hausse la plus faible qui soit !
Quelles leçons tirer de cela ?
Si l’on regarde l’envolée de la dette américaine, ou même celle japonaise dont je n’ai pas parlé, avoir sa propre monnaie ne protège pas forcément d’une augmentation de l’endettement. D’un autre côté, ce sont les pays européens, hors Allemagne, qui voient leur dette augmenter le plus, ce qui permet de conclure que les pays qui, en Europe, n’ont pas leur propre monnaie, sont ceux qui souffrent le plus à part l’Allemagne qui est le pays au monde qui souffre le moins… Et pour cause, l’euro est une monnaie taillée pour l’Allemagne et sur mesure. C’est plus un « mark » qu’un euro !
Mais ce n’est pas tout.
On peut également dire que jusqu’à la crise de 2008/2009, les pays européens sont bien en convergence et que c’est la crise qui va révéler les faiblesses de l’euro. L’euro, par petit temps, est encore supportable. Pas lors des tempêtes.
Pourquoi ?
Parce que vous avez deux leviers pour ajuster les économies : le levier budgétaire et le levier monétaire. Supprimez l’un des deux, et vous vous retrouvez unijambiste… Et généralement, cela marche moins bien sur une jambe que sur deux.
Pour autant, encore une fois, retrouver notre politique monétaire ne serait pas une solution miracle, même si cela nous redonnerait évidemment des marges de manœuvre et de la souveraineté.
Le problème de fond de Macron ?
Au fond, Macron (et donc accessoirement nous avec) a un énorme problème. Il n’a aucune marge de manœuvre, et n’a pu se reconstituer aucune marge de manœuvre, budgétaire, économique, et évidemment sociale.
Ses postulats de départ le contraignent à mener une politique à la « grecque » et ce n’est pas étonnant qu’il pédale dans le yaourt (yaourt grec, c’est un jeu de mots aussi), et il va pédaler jusqu’à la fin de son mandat de cette façon-là.
Mon analyse de la situation est toujours la même. L’heure des comptes, 10 ans, après a sonné. Elle a sonné, car sans notre souveraineté monétaire (et donc les marges de manœuvre qui vont avec), nous n’avons pas d’autre solution que d’utiliser la politique budgétaire pour assurer la solvabilité de notre pays.
Assurer la solvabilité de notre pays c’est éviter une situation à l’argentine en 2001, à la russe dans les années 90, ou à la vénézuélienne aujourd’hui. On devrait donc tous être pour et comprendre la politique du grand cacatoès élyséen…
Le petit hic c’est que cette politique de la solvabilité est vouée à l’échec pour la simple raison qu’elle implique de réduire les dépenses (et tous ceux qui dépendent de la dépense publique sortiront avec un gilet d’une couleur que l’on ne connaît pas encore) et d’augmenter les recettes et donc les impôts (et tous ceux qui n’en peuvent plus de payer sortent avec leur gilet jaune).
Le blocage est donc total.
Le blocage est structurel.
Il n’y a aucune solution politique pour le gouvernement, que l’on aime Macron et sa clique ou pas n’y changera rien (et ne m’accusez pas de « macronphilie » hein).
La seule solution, et l’on voit bien tout cela se mettre en place depuis 10 ans, c’est évidemment de se redonner des marges de manœuvre, et cela devrait être l’obsession de notre président, plutôt que d’aller se perdre dans des considérations complotistes, où les gilets jaunes seraient la résultante de la main de Moscou ou des réseaux de je ne sais quelle autre puissance. Évidemment que l’extérieur et certains partenaires sont bien contents de savonner la planche de notre pays, bien évidemment que certains pays utilisent leurs médias à des fins de soft influence, mais c’est une donnée de base des relations internationales.
Le Qatar fait la même chose quand il achète le PSG (et pas que le PSG, même si je ne citerai aucun nom), ou même au hasard notre pays, en ayant une chaîne comme France 24 qui est en charge de porter partout à l’étranger la bonne parole de notre pays et donc de son gouvernement…
Tout cela c’est donc des fadaises indignes d’un président décidément bien trop jeune.
Je suis pour l’Europe, mais cette Europe-là ne fonctionne pas et elle est techniquement vouée à l’échec. Notre pays, profondément fracturé, et de multiples façons, à savoir économique, ethnique, religieuse, territorialement parlant, etc., ne peut aller que vers des successions d’affrontements de plus en plus violents. Aucune de nos composantes ne pourra supporter ce que les Grecs endurent depuis 10 ans.
La question qu’il faut se poser est la suivante : l’Union européenne et l’euro valent-ils le coup pour notre pays de prendre le risque de la guerre de tous contre tous ?
En ce qui me concerne, la réponse est claire : c’est non.
Nous pouvons guérir notre pays. Certainement pas dans le cadre politique et monétaire actuel.
Faire la différence entre tout cela, reposer l’Europe et l’euro en sujet politique et non en religion, c’est la différence entre le pragmatisme et l’idéologie. L’idéologie mène toujours aux massacres, et l’idéologie européiste, malgré ses contours séduisants, est comme toute idéologie… mortifère.
C’est la seule et unique solution pour se redonner des marges de manœuvre. Sans marges de manœuvre, toute solution politique est, je le crains, illusoire.
Voilà donc comment un simple rangement de cave permet de trouver des choses à dire ! Quant aux garçons, ils se sont arrêtés de ranger ladite cave à partir du moment où ils ont retrouvé un vieux tas de cassettes audio (oui, un truc vraiment ancien) et de vinyles… En fait, en 4 heures, nous n’avons rien rangé, mais nous nous sommes bien amusés ! Il va falloir y retourner le week-end prochain. Avec un peu de chance, il y aura foot, et j’aurai une bonne excuse pour échapper une fois de plus à ces corvées bassement matérielles comme le rangement.
Il est déjà trop tard, mais tout n’est pas perdu. Préparez-vous !
Article écrit par Charles Sannat pour Insolentiae