La répartition des richesses européennes

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Par Sylvain Fontan Modifié le 13 novembre 2013 à 6h34

La Banque Centrale Européenne a publié en avril 2013 une étude portant sur le patrimoine des ménages européens. L'étude en question s'intitule : " The Eurosystem household finance and consumption survey ". Malgré une portée limitée (notamment car liée aux patrimoines déclarés et portant uniquement sur les ménages), cette étude a le mérite de présenter un état des lieux révélateur quant aux différences de richesses au sein et entre les pays de la zone euro.

Caractéristiques de l'étude

L'étude porte sur le patrimoine des ménages. Dans ce cadre, il convient de préciser que cette étude ne saurait être un reflet parfait de la richesse totale, même si elle s'en approche. En effet, même si le patrimoine des ménages compte pour une large part de la totalité des richesses d'un pays, il n'en demeure pas moins qu'il ne représente pas la totalité des richesses. Les autres richesses que n'intègre pas cette étude sont par exemple celles liées aux entreprises, les actifs placés à l'étranger ou encore les infrastructures publiques qui sont également un actif.

Le patrimoine des ménages renvoie dans cette étude au "patrimoine net". Le patrimoine net est défini comme la différence entre le total de l'actif et du passif des ménages. En d'autres termes, cela renvoie en substance à la différence entre la valeur de l'ensemble des biens (actif) moins l'ensemble des dettes (passif).

L'étude différencie les patrimoines moyens et médians. La différence entre ces deux notions est importante :

  • La moyenne consiste à établir un patrimoine égal pour tous les ménages. Pour ce faire, il suffit de diviser le patrimoine total de l'ensemble des ménages par le nombre de ménages.

  • La médiane consiste à établir un patrimoine pour lequel 50% des ménages ont un patrimoine supérieur, et 50% des ménages ont un patrimoine inférieur. Pour ce faire, la totalité des ménages sont repartis entre 9 déciles. En effet, chaque décile correspond à un seuil : le 1er décile correspond au seuil séparant les 10% les moins riches des autres, alors que le 9ème décile correspond au seuil qui sépare les 10% des ménages les plus riches des autres.

La distinction entre patrimoines moyens et médians permet notamment d'établir qu'il existe une forte disparité de patrimoine entre les ménages de la zone euro. En effet, au niveau des ménages, la valeur médiane se situe à 110'000 euros dans la zone euro, tandis que la valeur moyenne est bien plus élevée, en l'occurrence 230'000 euros. En d'autres termes, la différence entre la médiane et la moyenne indique que la distribution du patrimoine entre les ménages de la zone euro est relativement inégalitaire :

  • les 10% des ménages les moins riches détiennent un patrimoine proche de 0 euros, alors que les 10% des ménages les plus riches possèdent un patrimoine d'environ 500'000 euros.

  • Ainsi, si la moyenne est de 230'000 euros, seuls 20% des ménages de la zone euro ont un patrimoine supérieur.

  • Enfin, si la médiane est à 110'000 euros, les ménages au-dessus de ce seuil (50% des ménages) détiennent 90% de la richesse totale.

Comparaison des patrimoines selon les groupes observés

Les patrimoines sont très hétérogènes selon les caractéristiques démographiques. Le patrimoine est plus faible chez les ménages comportant un seul membre, ne serait-ce que parce qu'il n'y a qu'un seul salaire. Pour autant, le patrimoine n'augmente pas nécessairement avec la taille du ménage. En effet, les ménages avec plus de quatre membres disposent de seulement 7,5% du patrimoine total des ménages. Enfin, les ménages composés de deux membres disposent de la part la plus importante du patrimoine total (presque 40%). Cependant, toutes ces différences reflètent davantage la fréquence de chaque catégorie dans la population totale qu'une relation de cause à effet.

La propriété du logement est un facteur déterminant du patrimoine. Parmi les propriétaires, la résidence principale est de loin l'actif qui a le plus de valeur. Dès lors, les ménages propriétaires de leur résidence principale (non hypothéquée) ont un patrimoine médian de 240'000 euros alors que la médiane des locataires n'est que de 9'000 euros.

Le patrimoine est également corrélé avec le revenu. L'explication est que les personnes ayant des revenus importants tendent à épargner plus et, en conséquence, à accumuler davantage. Toutefois, la corrélation entre le revenu du ménage et son patrimoine n'est pas parfaite. En effet, il est possible de bénéficier de revenus du travail ou du capital élevés sans pour autant être propriétaire de son logement. De même, un ménage à haut revenus, qui vient d'acquérir un logement, doit supporter pendant un certain nombre d'années une dette élevée liée au remboursement du prêt contracté au titre de l'acquisition de son logement.

L'âge des ménages joue également un rôle très important. En effet, le profil du patrimoine à une forme dite "en cloche" : le patrimoine augmente avec l'âge et atteint un point haut pour les ménages dont l'âge de la personne de référence se trouve entre 55 et 64 ans, et décline ensuite.

Cette observation confirme pour partie la théorie de base du cycle de vie. Tout d'abord, (1) les jeunes adultes accroissent leur patrimoine, mais cet accroissement a tendance à être lissé essentiellement du fait de l'épargne destinée au remboursement d'un prêt correspondant à l'achat d'une maison et à la constitution d'une épargne de précaution. Puis, (2) vers 60 ans, le patrimoine des ménages est le plus élevé car il correspond à un grand nombre d'années passées à accumuler de l'épargne pour avoir un logement. Enfin, (3) plus tard dans la vie, les ménages tendent à dépenser une partie de leur patrimoine car, après la retraite, ils dépensent leurs économies (frais de santé, loisirs, transferts intergénérationnels vers leurs descendants...) et prennent parfois un logement plus petit.

Le patrimoine est très mal réparti selon les générations. Les jeunes ménages n'ont qu'une très faible part du patrimoine, alors que les générations liées au baby-boom détiennent une très large part des richesses :

  • moins 35 ans = 5 %

  • plus de 55 ans = 56 %

La répartition du patrimoine varie selon la catégorie socio-professionnelle. Les ménages où la personne de référence est un entrepreneur individuel sont ceux dont le patrimoine est le plus élevé (23 % du patrimoine total alors qu'ils ne représentent que 10% des ménages). Leur patrimoine est important car ils ont généralement un revenu élevé, mais aussi et surtout car leur patrimoine bénéficie des actifs liés à leur activité professionnelle (terrains, locaux, machines...). Suivent ensuite les ménages où la personne de référence est retraitée (35 % du patrimoine total pour 31 % des effectifs). Inversement, la catégorie qui possède le patrimoine le plus faible correspond aux ménages où la personne de référence rentre dans la catégorie "autres inactifs", autrement dit les inactifs ou les chômeurs.

L'importance du patrimoine augmente avec le diplôme. En effet, cette dynamique est déterminée par un revenu plus élevé, mais probablement aussi par le fait que leur niveau d'éducation leur permet d'appréhender plus facilement l'accès aux marchés financiers (entre autres), et ainsi prendre de meilleures décisions d'investissements.

Comparaison des patrimoines entre les pays

La taille moyenne des ménages impacte la disparité entre les pays. En effet, toutes choses égales par ailleurs, les ménages comportant un plus grand nombre de membres, notamment adultes (Chypre, Malte ou Slovaquie) ont tendance à accumuler davantage de patrimoine, généralement en lien avec la propriété immobilière, que les ménages de plus petite taille (prédominant en Allemagne, Pays-Bas, Autriche et Finlande).

Même si son importance relative varie au sein de chaque pays, le principal composant du patrimoine des ménages est le logement. Un facteur explicatif important de la valeur de la propriété immobilière est constitué par l'évolution des prix de l'immobilier qui ont connu d'importantes fluctuations au cours des deux dernières décennies. Lorsque les prix des maisons et les loyers augmentent (ou baissent), il y a un déplacement des niveaux relatifs de richesse à l'intérieur du pays, entre propriétaires et non propriétaires, et généralement, de la génération plus jeune (qui épargne encore pour acheter un logement), vers les générations les plus âgées. Les pays où les prix des maisons ont augmenté plus rapidement (notamment Belgique, Chypre, Espagne, France et Luxembourg) enregistrent de fortes baisses de la valeur du patrimoine médian et moyen; tandis que le contraire est observé dans des pays où les prix des maisons ont progressé de façon modérée (Allemagne, Pays-Bas, Autriche ou Portugal).

D'autres facteurs jouent un rôle dans l'explication et la distribution des patrimoines. Parmi les principaux il convient de citer la qualité et la quantité des transferts entre les générations, les différences culturelles et la disparité fiscale, mais aussi :

  • Allocation de logements sociaux : en France et en Allemagne, elles sont très importantes, ce qui contribue à faire baisser le pourcentage de propriétaires dans ces deux pays.

  • Fiscalité : la taxe frappant le logement occupé par le propriétaire comme en France, et l'absence de déduction fiscale sur les intérêts d'emprunt découragent l'accès à la propriété.

  • Pensions de retraites versées par l'Etat : les différences dans le montant des pensions de retraites prévues sont de natures à provoquer d'importantes différences d'accumulation de richesses, car des pensions élevées réduisent le besoin de constituer une épargne de précaution pour la vieillesse. De même, différents systèmes de sécurité sociale et la perception de risques divers peuvent aussi inciter à la constitution d'une épargne de précaution. Dès lors, le patrimoine des ménages dans les pays où le système de protection sociale est généreux tend à être moins élevé. Ainsi, des pays où les pensions de retraites sont généreuses et garanties dans le temps diminuent le niveau du patrimoine comme en Allemagne. La France fait figure d'exception car malgré des prestations sociales et des pensions de retraites les plus généreuses de la zone euro, le niveau d'épargne est également le plus élevé : ce qui souligne bien le fait que les populations ont internalisé (consciemment ou inconsciemment) le fait que le système n'est pas soutenable et qu'il leur faut prévoir en épargnant.

Retrouvez d'autres décryptages économiques écrits par Sylvain Fontan sur son site : www.leconomiste.eu

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Sylvain Fontan, économiste et créateur du site www.leconomiste.eu   Parcours Professionnel   - Analyste-Investissement (Unigestion - Société de gestion d’actifs) - Analyste-Risque (RWE - Société de trading en énergie) - Analyste-Hedge Fund (BPER - Banque Privée Edmond de Rothschild) - Macroéconomiste (TAC - Laboratoire de recherche privé en économie et finance) - Chargé d’études économiques (OMC - Organisation Mondiale du Commerce) - Chargé d’études économiques (ONU - Organisation des Nations Unies)  

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