Macron, petit lobbyiste de la technostructure

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 10 décembre 2015 à 11h02
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1,4 MILLION €Emmanuel Macron a gagné 1,4 million d'euros en 2011.

Emmanuel Macron, qui s’est enrichi lorsqu’il était salarié d’une banque d’affaires et qui n’a jamais travaillé à son compte, défend une idée toute sociale-démocrate de l’entreprise. Dans son esprit, l’entreprise, ce sont d’un côté des capitalistes héritiers qui possèdent une structure juridique et la rentabilisent, de l’autre des salariés qui lui prêtent leur force de travail à des coûts plus ou moins élevés. Mais de la prise de risque et de la création de valeur par un travail indépendant, ce que nous appelons historiquement l’entreprise, cette idée-là, il l’ignore superbement et n’en soupçonne peut-être pas l’existence.

On ne peut évidemment entendre autrement les propos qu’il a tenus sur le RSI dont il faut ici décoder le sens.

Le RSI, ce hold-up du siècle

Peu de Français comprennent le RSI. Il faut donc bien commencer par en rappeler succinctement le sens et l’origine.

Dans les années 30, la France avait développé une protection sociale obligatoire pour les plus bas salaires, et une liberté de couverture et d’affiliation pour les autres, notamment pour les artisans. En pleines séquelles de la crise de 1929, ce choix comportait une certaine dose de courage malgré les « trous dans la raquette » qu’il maintenait.

En 1945, Alexandre Parodi et Pierre Laroque, conseillers d’Etat, mirent en place la sécurité sociale qu’ils avaient, en vain, proposée à Vichy durant les premiers mois du régime de Pétain dont ils furent (ils l’ont dissimulé par la suite) de zélés collaborateurs. Ce système bureaucratique rendait obligatoire l’affiliation de tous les personnes actives à un régime unique de protection sociale. Vichy en avait repoussé l’idée à l’époque par crainte d’un « collectivisation » de l’économie. Les technocrates du gouvernement provisoire profitèrent des circonstances de la Libération pour la mettre en pratique.

Contrairement à la légende forgée de toutes pièces depuis cette époque par les idéologues du solidarisme bureaucratique, la mise en place d’un régime unique de sécurité sociale suscita dès 1945 des réactions et des résistances très virulentes au sein de la société française. Les premières marques d’hostilité vinrent d’ailleurs de la CGT: celle-ci refusa catégoriquement la suppression de ce qui fut appelé par la suite les régimes spéciaux, beaucoup plus favorables que le régime général.

Dès 1947, les cadres créèrent l’AGIRC et l’ARRCO et, surtout, les indépendants refusèrent d’être absorbés par le régime général, pour des raisons qui sont, mot pour mot, celles qui nourrissent la haine des indépendants contre le RSI aujourd’hui. Egrenons-en quelques-unes: obligation d’affiliation à une couverture unique qui ne correspond pas aux choix libres des individus, taux de cotisations usuraires destinés à financer l’assistanat, rigidité d’un système qui épouse mal les fluctuations d’activité de l’entreprise, subordination à une caste de bureaucrates appelés « inspecteurs URSSAF » qui ne sont rien d’autres que des fonctionnaires rentiers de la solidarité, faibles performances sociales d’un système qui coûte cher et qui indemnise mal.

Bref, le régime unique de sécurité sociale pour les indépendants est une idée aussi idiote et mortifère pour l’entreprise que l’engagement dans la Légion Etrangère pour un artiste, ou la pratique quotidienne de la boxe pour un pianiste.

Le RSI, la revanche haineuse de la technostructure sur les indépendants

En 1947, les indépendants remportèrent une grande victoire en échappant à leur intégration dans le régime général de la sécurité sociale. La France de l’époque avait du bon: malgré l’émotion de la Libération, les forces sociales étaient encore en position de résister aux logiques hégémoniques de la technocratie. Certes, à cette époque, les présidents de la République en tartinaient moins sur le dialogue social, sur la démocratie sociale, sur les grandes conférences sociales et autres balivernes qui dissimulent tant bien que mal la rupture profonde entre le pouvoir politique et la société. En revanche, ils évitaient de violer le corps social en imposant sans mollir des réformes inventées dans les couloirs hors sol des ministères dont le premier résultat est de braquer ceux qui créent de la valeur.

Depuis 1947, la technostructure n’a jamais pardonné aux indépendants cette espèce de victoire aux Camp des Eperons d’Or remportée sur l’idéologie solidariste. Il fallait bien que cette humiliation historique fût, tôt ou tard, payée amèrement.

C’est à cette oeuvre de vengeance que deux conseillers d’Etat devenus ministres se sont employés en 2005. L’ordonnance de Philippe Bas et Renaud Dutreil, sous l’autorité de Jean-Pierre Raffarin, constitua une première réparation du dommage de guerre. En fusionnant les trois caisses existantes pour les indépendants en une entité unique, ces technocrates revanchards ont créé les conditions d’une future fusion avec le régime général.

Pour y parvenir, la logique était double. D’une part, le gouvernement créait une unité dans un système disparate, ce qui était une étape préparatoire à une future absorption par la sécurité sociale. D’autre part, il dégradait délibérément les conditions de gestion du régime en sous-dimensionnant la structure de portage, pour rendre sa survie impossible à long terme.

De façon très logique, Emmanuel Macron se propose aujourd’hui de « finir » le travail en réalisant l’étape ultime d’un projet quasi-séculaire: l’intégration des indépendants dans une sécurité sociale de salariés.

Détruire le travail indépendant, une obsession de la technostructure

Pour bien comprendre les motivations de la technostructure dans ce projet à long terme, il faut reprendre quelques statistiques économiques.

En 1970, la France comptait encore 4,5 millions de travailleurs indépendants contre 17 millions de salariés. Le travail indépendant, il y a près de cinquante ans, représentait 20% de l’économie française. En 2015, la France ne compte plus que 2,5 millions d’indépendants pour 23 millions de salariés. Le travailleur salarié s’est donc, proportionnellement et en valeur absolue réduit de moitié dans la société française.

Pareil mouvement démographique ne tient ni du hasard ni de l’échec. Il répond à une tendance longue justifiée par une logique économique, dont les formes historiques sont évidentes.

La tendance longue est celle d’une caporalisation grandissante de la société par la technostructure d’Etat, d’une instrumentalisation politique du salariat au service d’une vision bureaucratique hégémonique. Contrairement aux grotesques idées reçues sur un prétendu triomphe du néo-libéralisme dans nos sociétés, l’histoire de la société française depuis cinquante ans est celle d’une lutte sans merci de l’appareil d’Etat contre l’esprit d’entreprise.

Les formes historiques de cette lutte sont d’ailleurs bien connues.

La première est celle de l’instabilité et de l’inflation réglementaire qui rendent impossibles l’exercice normal du métier de chef d’entreprise. On oublie trop souvent de dire que le changement permanent des lois et des règlements est la première restriction apportée à la libre concurrence: elle pénalise lourdement les petites structures pour lesquelles les coûts d’acquisition des connaissances réglementaires sont très élevés.

La deuxième forme de lutte contre l’esprit d’entreprise est la pénalisation grandissante des décisions de gestion. L’ubuesque réglementation sur les abus de biens sociaux, sur le harcèlement moral, sur le délit d’entrave syndical, la complexité des règles applicables dans ce domaine, transforment le chef d’entreprise en délinquant permanent qu’il est facile de « coincer » quand il n’obéit pas assez.

Une troisième forme historique de la lutte contre l’esprit d’entreprise est fiscale: le chef d’entreprise est soumis à une véritable confiscation de son chiffre d’affaires par les pouvoirs publics. Pour dégager 25.000 euros de revenus, il faut 100.000 euros d’excédent brut d’exploitation. C’est évidemment intenable.

Bas, Dutreil, et bientôt Macron, ont ajouté à cet impressionnant arsenal la lutte sociale. Elle s’appelle aussi la quadrature du cercle ou le RSI. Son objet est de bureaucratiser la vie privée du chef d’entreprise en l’obligeant à adhérer à un système de sécurité sociale qui l’assomme de prélèvements souvent indus (parfois plusieurs dizaines de milliers d’euros sans raison) et de taux de cotisations prohibitifs pour un résultat médiocre.

Le projet politique de la technostructure

Derrière ces éléments tactiques se cache bien entendu une stratégie. La technostructure entend bien mener à terme son projet de domination sociale.

D’un côté, la technostructure souhaite tout savoir de tout le monde, de tous les Français. Dans ce dessein, la sécurité sociale tient une place essentielle, puisqu’elle permet de donner un visage positif, « solidaire » à un grand système de collecte très intrusif de données sur les individus. Certes, vous n’avez rien demandé, mais comme on vous aime, on va vous soigner, prévoir votre retraite, et en contrepartie vous allez tout nous dévoiler sur vos petits secrets.

D’un autre côté, la technostructure entend bien s’exonérer, pour ce qui la concerne, des obligations « universelles » qu’elle impose aux Français. La technostructure conserve son propre régime de retraites, dont le déficit est financé à guichets ouverts par l’impôt, avec ses règles de calcul hyper-favorables et ses taux de remplacement hallucinants quand on connaît la réalité du secteur privé.

Un projet de domination globale par les hauts fonctionnaires: c’est cela qu’il faut entendre dans la bouche d’Emmanuel Macron. La question qui reste est de savoir si la technostructure agit pour son propre compte, ou si elle agit pour le compte d’autrui. Une chose est sûre: elle oeuvre à la servitude de la société française comme un tanneur travaille son cuir. Avec patience mais détermination.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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