Déficit de l’assurance maladie et taxes sur les tabacs : une hypocrisie ?

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Par Didier Castiel Modifié le 23 mars 2023 à 9h57

Question politiquement incorrecte : les taxes levées sur les tabacs financent-elles l'assurance maladie ? Une réponse sans nuances... et sans concessions.

Les années passent et le déficit de l'assurance maladie ne cesse de croître. Les fumeurs le savent : ils sont de plus en plus sanctionnés face à leur addiction en payant des taxes de plus en plus élevées sur le paquet de cigarettes. Objectif affiché : limiter le déficit de l'assurance maladie, tout comme les taxes perçues sur les alcools sont sensées le faire. Qu'en est-il ?

Le déficit de l'assurance maladie : un yo-yo

Il joue souvent avec nos nerfs en faisant chaque année le yo-yo. De 4,4 milliards d'euros en 2008, en passant par 11,6 milliards en 2010, pour atteindre enfin 7,9 milliards en 2013, c'est un cabotin qui s'amuse en se jouant de nous.
Le politique l'annonce chaque année sans vergogne et c'est l'occasion de culpabiliser les consommateurs de soins : patients vous dépensez trop, vous abusez (« la sécu, c'est bien, en abuser ça craint »!)... Et professionnels, vous prescrivez trop et trop mal. Rien de bien nouveau finalement d'une année sur l'autre. Les solutions : dé rembourser ou augmenter les prélèvements, y compris les taxes sur les tabacs et alcools.

Des taxes sur les tabacs qui rapportent... mais à qui ?

Les droits levés sur les tabacs représentent des sommes importantes représentées dans le tableau ci-dessous. Pour simplifier, nous ne reproduisons pas les chiffres pour les alcools, qui rapportent un peu moins.

Droits de consommation sur les tabacs (milliards d'euros)

2010 2011 2012 2013
Droits levés 10.5 11.0 11.1 11.4
Versés régime général maladie 4,1 6,0 6,2 7,8
Versés régime agricole maladie 2,1 1,7 1,8 1,3
Versés branche famille 0 1,4 1,4 1,0
Total versé 6,2 9,1 9,4 10,1
Écart 4,3 1,9 1,7 1,3
Taux de reversement 59,0 % 82,7 % 84,7 % 88,6 %

Source : d'après les données de la Direction de la Sécurité sociale (DSS)

Le constat est sans appel : le montant des sommes effectivement levées et reversées à la sécurité sociale fluctue d'une année à l'autre. Qu'on se le dise, la situation s'améliore : on passe d'un taux de reversement de 59 % à 88,6 % en 4 ans. En 1993 et 1994, ce taux était même tombé à ... 0 %. Quant aux taxes sur les alcools, le taux de reversement aux divers organismes de sécurité sociale est proche de 0 %. Ce sont donc chaque année des milliards d'euros qui sont prélevés et non reversés à l'assurance maladie. Et cela en toute légalité. Il s'agit bien d'un impôt. La règle en la matière, est qu'il n'y a pas de pré affectation de l'impôt.

Pire, maintenant que les cotisations sociales ne sont plus des prélèvements sociaux, mais une CSG (contribution sociale généralisée), c'est-à-dire un impôt, il n'y a aucune obligation à ce que la totalité de la CSG santé soit effectivement reversée à la branche santé. Ce sont encore quelques milliards d'euros chaque année qui ne sont pas affectés au financement de la santé.

Dans ces conditions, il serait miraculeux que la branche santé ne soit pas déficitaire. Il s'agit d'un déficit artificiellement construit par le politique.

En 2010, les droits sur les tabacs perçus sont allés à hauteur de 2,92 % au budget de l'État, de 13,80 % à l'apurement des dettes de l'État. Et si le déficit de la santé n'existe pas, par contre, le déficit public existe bien et on cherche à le combler en jouant sur la corde la plus sensible pour les Français : leur santé. Ils y sont très attachés et les culpabiliser pour leur consommation médicale permet de légitimer des actions qui ne visent qu'à taxer plus lourdement les consommateurs de santé, mais aussi de tabac et d'alcool.

Loin de nous l'idée d'une banalisation de l'alcoolisme et du tabagisme (nous ne somme pas même fumeur), mais il faut arrêter de chercher des boucs émissaires tout trouvés plutôt que de solutionner durablement la question du déficit de la dette publique. Solution qui passe nécessairement par une politique différente, comme agir sur les politiques de l'emploi par exemple. Mais c'est déjà un autre débat.

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Didier Castiel est enseignant-chercheur en économie de la santé à l'Université Paris-Nord 13 (UFR Santé, Médecine et Biologie Humaine). Il s'intéresse plus particulièrement aux questions de solidarité et d'inégalités dans le système de santé. Ses derniers travaux de recherche portent sur l'allocation des ressources en faveur des plus défavorisés, dans une démarche de préservation de la solidarité. Site internet : www.castiel.eu

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