Pourquoi le shutdown américain n’est pas encore résolu ?

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Par Charles Sannat Modifié le 10 octobre 2013 à 12h26

Mes chères contrariées, mes chers contrariens !

Lorsque j’étais enfant, j’avais le don d’occuper mes parents en les bombardant de mes questions, commençant invariablement par « maman pourquoi-ci ou pourquoi ça ? ». Résultat : à la fin du CP (je savais enfin lire), mes parents ont eu l’excellente idée de m’offrir le livre « Dis pourquoi ? ». Je l’ai toujours dans ma bibliothèque, souvenir précieux d’enfance, et ce livre et ses illustrations ma foi ont réussi à répondre à pas mal de questions mais pas toutes !!

Avec les années, je suis tout de même resté un grand enfant (demandez à ma femme qui, au bout de quelques années de mariage, finit par se faire une raison et accepter le fait qu’un homme cherche forcément une femme qui lui rappelle sa maman.), bref, je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi. Pourquoi ? Ce simple mot est généralement suffisant pour déstabiliser les plus grands esprits (enfin grands je ne sais pas, mais en tout cas pour ceux qui reprennent en boucle la pensée dominante).

La liste des « pourquoi » sans réponses.

Vous remarquerez également que l’on pose rarement la question « pourquoi » publiquement ? Moi j’aime bien me la poser car tout processus de compréhension commence forcément par un processus de questionnement.

Pourquoi donc, alors que l’année dernière républicains et démocrates étaient parvenus à un accord dans la douleur certes, mais à un accord quand même avant de devoir fermer l’État fédéral il n’en fut pas de même cette année ?

Pourquoi donc alors que le déficit budgétaire américain est en baisse sensible (il est encore très élevé) et que les coupes budgétaires portent leurs fruits, les républicains deviendraient subitement « extrémistes » alors que la tendance à la réduction des dépenses est fondamentalement lancée ? Ils pourraient pousser leur avantage et communiquer sur ces succès de réduction des déficits et expliquer que cela renforce les États-Unis pour demain et permet au dollar de garder sa valeur. Pourquoi ne le font-ils pas ?

Pourquoi l’année dernière le Dow Jones a-t-il perdu 1 000 points lors du psychodrame annuel sur la négociation budgétaire et cette année à peine 1 000 points également alors que contrairement à l’année passée, nous sommes bel et bien dans une impasse (pour le moment) et que le shutdown a bien eu lieu… cela ne se reflète pas dans les cours.

Pourquoi les régulateurs financiers américains ont-ils tenu mardi 8 octobre 2013 une réunion d’urgence pour évaluer les risques que poserait un échec du Congrès à relever le plafond de la dette des États-Unis qui seraient ainsi menacés d’un défaut de paiement selon le communiqué du Trésor ?
En effet, pourquoi organiser une telle réunion si ce risque est tout simplement impossible ? Pas envisageable, impossible comme le dit si bien la plus grosse banque allemande dans son analyse en créditant ce scénario d’un 0 % de chance que cela arrive.

Pourquoi un haut responsable du Trésor US à l’issue de cette réunion déclare-t-il qu’un « défaut de paiement pour la première fois de notre histoire représente un risque sérieux pour notre rang mondial » ? Le risques est-il aussi sérieux qu’il y paraît ? Les États-Unis n’ont-ils pas intérêt à montrer « officiellement » qu’ils y perdraient alors que la réalité est tout autre. Encore faut-il rendre cela « acceptable » ?

Pourquoi les pétromonarchies ne détiennent-elles presque plus de bons du Trésor américain ? Pourquoi les laisse-t-on procéder à des rachats massifs d’actifs et d’entreprises occidentales ?

Pourquoi alors que Ben Bernanke annonce depuis un an qu’il va réduire les injections de liquidités renonce-t-il au dernier moment à le faire… moins de 10 jours avant que l’impasse budgétaire n’apparaisse ? Il y a un lien évident à faire sur ce point précis et c’est un lien de toute première importance pour comprendre ce qu’il se passe.

La politique prime l’économique dans l’histoire du monde.

Bien souvent, nous pensons à tort que l’économie prime sur le pouvoir politique. En réalité, c’est l’inverse. Un pouvoir politique peut abdiquer sur des périodes de temps plus ou moins longues sa primauté régalienne, néanmoins celle-ci subsiste toujours et s’exprime lorsque les intérêts supérieurs, c’est-à-dire vitaux, d’une nation sont en jeu. Dans de tels cas, peu de choses sont en mesure de résister à la « raison d’État ».

Quels sont les éléments structurants pour comprendre la situation américaine ?

Le monde vit un basculement. Après la chute du mur de Berlin en 1989 et l’effondrement de l’empire soviétique s’est ouverte une période d’hyperpuissance américaine. L’URSS n’existait plus. La Chine pas encore. Il ne restait que les USA qui dominaient le monde sans partage. Le monde était unipolaire.

Aujourd’hui, certains parlent de monde multipolaire ou apolaire. Tout le monde comprendra le multipolaire avec plusieurs grands pôles que sont la Chine, le Brésil, la Russie, l’Europe et évidemment les USA.

Pour l’idée d’apolaire, l’idée est un peu différente car elle sous-entend qu’aucun pays désormais n’est en mesure d’assurer un leadership réel, prenant acte ainsi du déclin des USA soumis à la montée en puissance de la Chine et autres pays émergents définitivement émergés. Avec ce terme, plus personne ne domine quoi que soit.

Pour autant, l’histoire des États-Unis, histoire jeune au demeurant, nous enseigne que ce pays ne raisonne que par sa suprématie totale et sans partage. Tel est dans l’esprit américain « l’intérêt vital ». Un leadership mondial sans contestation basé sur la certitude d’être les « meilleurs » pour le monde et d’avoir une mission quasi-civilisatrice. Cela a d’ailleurs particulièrement bien été dit par Vladimir lors des derniers événements en Syrie. Voici ce que Poutine a déclaré dans une tribune publiée par le New York Times à l’attention du peuple américain :

« Le Président Obama a affirmé que « ce qui rend l’Amérique différente. C’est ce qui nous rend exceptionnel ! ».

Il est extrêmement dangereux d’encourager les gens à se considérer comme exceptionnels, quelle que soit la motivation. Il y a de grands pays et des petits pays, des riches et des pauvres, ceux qui ont de longues traditions démocratiques et ceux qui en sont encore à chercher leur chemin vers la démocratie. Leurs politiques diffèrent, aussi.

Nous sommes tous différents, mais quand nous demanderont la bénédiction du Seigneur, nous ne devons pas oublier que Dieu nous a créés égaux. »

Comprendre l’âme américaine, c’est entendre, comme l’a si bien compris et entendu le président russe, cette supériorité à laquelle le peuple américain croit très naïvement, ce qui entraîne quelques incompréhensions lorsque par exemple le peuple irakien ne souhaite pas pour eux-mêmes « l’american way of life ». Comment un tel don peut-il être refusé ?

Comprendre la stratégie américaine depuis deux siècles, c’est appréhender cette idée que les Américains se font d’eux-mêmes et de leur façon de vivre, une façon supérieure à tout autre civilisation, une façon de vivre qui doit être imposée avec en objectif ultime : la domination d’un peuple « exceptionnel » sur tous les autres.

Vladimir Poutine exprime avec une grande justesse le danger d’une telle croyance et les dérives auxquelles nous assistons depuis les événements du 11 septembre. Si la sagesse c’est d’être fort et la force d’être sage, les Américains ont oublié toute sagesse pour ne se concentrer que sur l’utilisation systématique de la force pour maintenir une domination sans partage. Telle est la stratégie américaine, tels sont les faits tels que nous les voyons depuis 10 ans.

Un leadership menacé de toute part

Il est évident que les Américains sont désormais acculés, pieds au mur. La Chine est en réalité devenu la première puissance économique mondiale si l’on pense, ce qui est du bon sens, à retraiter le PIB chinois et le PIB américain de l’endettement associé. En « net », le PIB chinois est désormais supérieur au PIB américain. Pour un leadership mondial sans partage, vous repasserez.

Mais ce n’est pas tout. La Chine est devenue l’usine du monde y compris l’usine américaine, et l’on voit très bien à travers la bataille sans merci entre Apple et Samsung sur les brevets à quel point les USA sont menacés à court terme par leur partenaire chinois qui a, en 10 ans, pillé toutes les technologies utiles, monté en gamme, réussi sa transition vers l’économie socialiste de marché, su associer dictature, parti unique et pourtant relative liberté d’entreprendre. L’économie chinoise est d’une efficacité redoutable. L’Amérique est condamnée à la défaite dans les deux ans sans réaction de sa part. Rien ne peut arrêter la Chine. Rien ou presque rien.

Enfin, la retraite américaine en rase campagne sur la Syrie sous l’amicale pression sino-russe a créé un électrochoc au sein des élites américaines qui ont pu ressentir à quel point la perte d’influence de leur pays était grande.

Il va donc falloir rétablir la domination des États-Unis d’Amérique et vite de préférence.

Le dollar ? Notre monnaie et votre problème !

C’est comme cela qu’un secrétaire d’État américain avait résumé de manière fort laconique la position américaine sur les problèmes monétaires liés à la fin des accords de Bretton Woods dans les années 70.

Il en va exactement de même de la dette américaine pour laquelle les Américains peuvent parfaitement dire : notre dette, mais votre problème.

Soyons clair : dans la position actuelle des USA, celui qui a un problème n’est pas l’endetté… mais le prêteur, surtout lorsqu’il est chinois avec presque 1 300 milliards de dollars de bons du Trésor US.

La stratégie du déraillement

La Chine est aujourd’hui la première économie mondiale (en net et hors dette), mais la Chine est très fragile.

Bulle immobilière massive, économie à 70 % exportatrice vers deux grandes zones économiques que sont l’Amérique du Nord et l’Europe, croissance importante de la population, mouvements sociaux maîtrisés uniquement grâce à une économie qui avance, tensions régionales, ethniques et politiques, corruption endémique, endettement important des villes et des entreprises, bref, si la Chine perd ses réserves de change investies en bons du Trésor américain et si la Chine perd ses deux principaux clients, la Chine devrait en toute logique dérailler et connaître une période extrêmement difficile.

Il en va de même pour la Russie qui détient pour plus de 250 milliards de dollars de dette US mais qui surtout tire ses revenus de l’exportation de gaz et de pétrole.

Or la stratégie américaine, avec la mise en route de l’exploitation des gaz de schiste sur son propre sol, vise l’indépendance nationale. Cela ne va pas durer longtemps et la production d’un puits de gaz de schiste décline très rapidement, bien plus vite qu’un puits de pétrole conventionnel. Mais pour quelques années, les USA sont et seront indépendants de tout fournisseur extérieur.

Une conjonction rare de facteurs favorables à une conflagration géopolitique

Si l’on met tout bout à bout, nous devons nous rendre compte qu’il y a actuellement une conjonction rare de facteurs qui pourraient pousser les États-Unis à utiliser l’arme économique à travers un défaut de paiement ordonné et sélectif afin de faire dérailler la Chine et la Russie, en s’appuyant sur sa toute nouvelle indépendance énergétique rendant momentanément l’importance du dollar moins prégnante, en pouvant compter sur le soutien de ses alliés de l’OTAN et d’une Europe docile et aux ordres prête à fusionner dans une Union Transatlantique. La Chine et la Russie seraient ruinées, l’Europe et les USA affectées certes, mais nous sommes tous condamnés à une lente agonie si nous ne faisons rien avec à la fin une perte de confiance généralisée.

À l’issue de cette crise, les dettes seraient apurées. Les dernières lois sociales supprimées. Sous la pression d’émeutes inévitables dans les cas de grandes misères, on peut imaginer la nécessité de pouvoirs forts et coercitifs. Le chômage explosera, la pauvreté aussi, mais à la fin… les États-Unis auront préservé leur leadership, fait dérailler la Chine et changé les règles du jeu en cours de partie… car les Américains sont en train de perdre le match. Or les Américains sont historiquement de très mauvais joueurs… ils ne jouent que pour gagner… pas pour participer. L’esprit de Coubertin, c’est bon pour des Européens !

Alors voilà, nous sommes dans une impasse semble-t-il politique qui pourrait cacher en réalité un plan de communication de haut niveau pour « vendre » et « marketer » le défaut américain qui répondrait à une logique globale, favorable aux intérêts à long termes des États-Unis et masque en réalité une guerre économique sans pitié.

Si tout ce que je viens de vous exposer ne reste qu’une analyse, cette théorie a le mérite de faire coller et de relier entre eux la totalité des éléments.

Nous sommes à un moment clef. Le défaut sera d’ailleurs probablement décalé de quelques jours, le Trésor américain nous indiquant qu’il peut poursuivre ses opérations encore quelques jours de plus pour laisser un peu de temps aux politiques pour se mettre d’accord…

Ha oui, il y avait une dernière question que je voulais vous poser… quel est le niveau d’activité de Goldman Sachs en Chine pays communiste ?

Un indice : cet été, la banque américaine a achevé la vente de sa participation dans une banque chinoise.

Voilà pourquoi, paradoxalement, alors que personne ne s’y attend vraiment les États-Unis d’Amérique pourraient avoir intérêt à un défaut de paiement. Mais tout ceci n’est qu’une théorie, et cela ne se produira jamais. C’est impossible.

À demain… si vous le voulez-bien !!

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Charles SANNAT est diplômé de l'Ecole Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d'Etudes Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information-(secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Economique d'AuCoffre.com en 2011. Il rédige quotidiennement Insolentiae, son nouveau blog disponible à l'adresse http://insolentiae.com Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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