D’où viennent les inégalités sociales de santé ?

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Par Florence Jusot Modifié le 16 novembre 2013 à 13h21

La « réduction des inégalités de santé » se trouve au cœur de la Stratégie Nationale de Santé présentée par la ministre de la santé Marisol Touraine le 23 septembre 2013.

Par l’annonce de cet objectif, la France rejoint ainsi, assez tardivement derrière la Grande Bretagne ou les Pays du Nord de l’Europe, le rang des pays ayant choisi de suivre l’appel lancé par l’Organisation Mondiale de la Santé à mettre en place des politiques pour éliminer ces « différences systématiques d’état de santé » jugées « injustes ».

Il s’agit d’un tournant notable car les politiques de santé publique ont longtemps seulement cherché à améliorer la santé des populations en moyenne sans s’intéresser à sa distribution. Tournant notable aussi car la poursuite d’un idéal de justice sociale n’est jamais apparu aussi clairement, au côté d’objectifs médicaux, parmi les éléments à prendre en compte dans la définition des politiques de santé. Tournant notable enfin car jamais le constat des inégalités de santé n’a été aussi officiellement admis, montrant ainsi, dans le cas français, les limites du pacte de 1945, qui a présidé à la mise en place de la Sécurité sociale, et qui devait garantir des soins « à chacun selon ses besoins », selon un financement « de chacun selon ses moyens».

Le gradient social de santé s’aggrave en France

On constate en effet en France d’importantes inégalités sociales de santé, c'est-à-dire des différences d'état de santé entre groupes sociaux. Un ouvrier vit en moyenne six années de moins qu’un cadre et il passera en outre une plus grande partie de sa vie avec des problèmes de santé. De même, un doublement des revenus est associé à une réduction de 43 % de la probabilité de décéder dans l'année. Ce phénomène, connu sous le nom de gradient social de santé, ne se limite à un simple effet de la pauvreté ou à une simple opposition entre manuels et non manuels. Si la mortalité des 20 % d'individus les plus pauvres est supérieure de 40 % à la moyenne, la mortalité des 20 % les plus riches est, quant à elle, de 45 % inférieure à la moyenne.

Par ailleurs, ces inégalités de santé semblent se maintenir, voire s’aggraver, depuis une quarantaine d’années, en dépit de l’amélioration de l’état de santé moyen de la population. La situation française est enfin particulièrement préoccupante. Même si des inégalités sociales de santé existent dans l’ensemble des pays européens, la France est le pays d’Europe de l’Ouest où les différences sociales de mortalité sont les plus importantes.

De nombreux facteurs qualifiés de « sociaux » expliquent ces inégalités de santé. La pénibilité du travail, la faible qualité de l’environnement, l’isolement social et de mauvaises conditions de vie et de logement sont responsables de nombreux problèmes de santé. Les problèmes de santé sont à leur tour à l’origine de ruptures professionnelles et de situations de précarité. Par exemple, le risque de se retrouver au chômage est deux fois plus élevé pour les personnes en mauvaise santé. Il y aurait ainsi une forme de cercle vicieux de renforcement réciproque des inégalités économiques et des inégalités de santé.

Les comportements à risque - consommation de tabac et d’alcool, mauvaise hygiène alimentaire, sédentarité - expliquent également une partie de ces inégalités car ils sont plus fréquemment adoptés par les personnes moins instruites et connaissant des difficultés économiques et sociales. L’importance de ces comportements fait l’objet de débat, tant sur la mesure de leur contribution aux inégalités de santé, que sur l’interprétation qu’il faut en faire. En effet, si ces comportements à risque sont librement choisis par les individus en parfaite connaissance des conséquences possibles sur la santé, les différences de santé qui en résultent ne devraient pas être considérées comme des inégalités illégitimes.

La France, un des pays d’Europe où l’accès au soin est le plus inégalitaire

Mais il n’en reste pas moins que cette part des inégalités de santé que l’on pourrait juger légitimes reste, surtout en France, très inférieure à celle des inégalités expliquées par l’influence à long terme du milieu social et familiale d’origine et qui sont reconnues comme de véritables inégalités des chances, totalement indépendantes de la responsabilité individuelle.

L’organisation des soins, et en particulier leur financement, explique aussi une partie des inégalités. Les difficultés d’accès à la complémentaire santé des plus modestes et les dépassements d’honoraires induisent un risque financier important pour les patients qui doivent faire face à des restes à charge après remboursement par la Sécurité Sociale parfois catastrophiques au regard de leur revenu disponible. Ces barrières financières sont également à l’origine de renoncement aux soins qui ne sont pas sans conséquence : la France fait partie des pays d’Europe où les inégalités d’accès aux soins sont les plus fortes, en particulier pour les soins préventifs et les soins de spécialistes, où elle est le pays le plus inégalitaire, et il a été montré que les difficultés d’accès aux soins et les renoncements aux soins qui en découlent sont clairement un facteur de dégradation de l’état de santé.

Les inégalités sociales de santé ne sont pourtant pas une fatalité. En effet, celles-ci sont aujourd’hui plus réduites dans certains pays, comme le Royaume-Uni ou les Pays-Bas qui se sont engagés depuis plus d’une dizaine d’années dans des politiques très globales s’attaquant à l‘ensemble des causes de ces inégalités tout en impliquant fortement les professionnels de santé, en particulier les généralistes, dans la poursuite de cet objectif. Il s’agit donc à présent à la France de mettre en place des politiques ambitieuses pour réussir à atteindre son objectif de réduction des inégalités de santé.

Florence Jusot Economiste, Université de Rouen et Université de Paris Dauphine

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Florence Jusot Economiste, Université de Rouen et Université de Paris Dauphine

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