Le financement du système social

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Par Marc Albert Chaigneau Publié le 24 novembre 2013 à 4h09

Dans la presse et dans les discours, il n’est question, pour l’avenir du système social, que de « rétablir » un équilibre financier. Rogner sur les dépenses, accroitre les recettes. Rien d’autre n’est envisagé.

Or, le principe du système social est la solidarité. Un paramètre financier peut-il être adapté à mesurer la solidarité ? Personnellement, j’en doute. Et il faut croire, bien que cela n’apparaisse pas dans leurs discours, que nos édiles en doutent aussi, si l’on en juge par la récente unanimité du rejet du projet de réforme des retraites.

Qu’est-ce que la solidarité ? La mise en commun de certains biens et de certains services, en vue de satisfaire les besoins de ceux qui ne peuvent y faire face.

L’entraide en est la forme la plus courante et accomplie, telle qu’elle existe dans de nombreuses familles et cercles d’amis. Accompagnement, garde d’enfants, partage de repas, accueil pendant les vacances … Qui ne se mesurent pas selon un paramètre financier.

De nombreuses actions charitables, telles que celles menées par le Secours Catholique, les Petites Sœurs des Pauvres, l’Armée du Salut, mais aussi ce que l’on appelle curieusement des ONG, en faveur de la recherche ou de l’entraide internationale, reposent bien plus sur le dévouement des membres que sur un financement.

Il existe, aujourd’hui en France, environ quatre millions de personnes dépourvues d’emplois et qui, dans la plupart des cas à leur corps défendant, ne participent pas à la richesse nationale. Environ quinze millions de retraités et à peu près autant d’élèves et d’étudiants, n’y participent plus non plus ou fort peu.

Pourquoi ?

Il y a plusieurs raisons, mais la principale, admise comme « a priori » par la quasi-totalité de la population, des hommes politiques et des médias, serait que les tâches accomplies à titre gracieux par les uns ou par les autres, tendrait à « détruire » des emplois qui pourraient être rémunérés. Nuisant ainsi à l’économie, aux entreprises, à l’état et au système social.

Cette idée est erronée et fallacieuse. Dans le langage populaire, elle s’exprime par la formule usée jusqu’à la corde : « Toute peine mérite salaire. » Dans ce cas, plutôt que de repeindre sa cuisine ou de changer ses plaquettes de freins soi-même, il serait plus favorable à la société de faire accomplir ces tâches par des professionnels salariés.

Comparons ces deux situations : Dans les deux cas, les travaux sont faits et la richesse est créée. Mon expérience m’a appris que pour des travaux simples, peinture, pose de papier peint ou de moquettes, parquets, menuiserie, petits travaux de plomberie, de mécanique, ceux réalisés par des professionnels n’étaient pas toujours de meilleure qualité que ceux des amateurs. Que lorsque l’on travaille pour soi-même, l’on y met le plus souvent un soin particulier que ne mettent pas toujours les professionnels.

Dans leurs cas, leur travail détermine des coûts supplémentaires, administratifs, de gestion, facture, comptabilité, fiscalité, charges … Qui ne déterminent aucune « création de richesse », au mieux la redistribution d’une partie du coût.

Dans la plupart des cas, ceux qui se consacrent à ces « bricolages », n’auraient pas les moyens financiers nécessaires à la réalisation des mêmes travaux par une entreprise.

Donc, si on compare, un même budget utilisé de l’une et l’autre manière, la « création de richesse » sera supérieure s’il est utilisé dans le bricolage, plutôt que versé à une entreprise.

Cet exemple est simple, peut-être trop, mais il reste caractéristique de la réalité même dans des systèmes très élaborés. La « grande distribution » s’en est rendue compte et en a tiré la leçon, notamment en matière de maraichage, puisque la stratégie actuelle consiste à s’approvisionner localement plutôt que de continuer, comme il a longtemps été d’usage, de passer des marchés globaux sur de grandes quantités. Il semble que les gouvernements soient encore loin de cette prise de conscience.

La réduction des tâches administratives, si elle tend à réduire les coûts et favoriser la création de richesse, a également pour conséquence de supprimer des emplois, ou d’éviter d’en créer. Même si les données statistiques tendent à faire croire le contraire, il est clair que depuis Les Trente Glorieuses, la population moyenne s’est appauvrie. Dans les années soixante-dix, un ouvrier qualifié dans une petite entreprise de mécanique, à Argenteuil ou se trouvait mon cabinet, avait une vie de petit bourgeois, s’achetait un pavillon, avait une jolie voiture, s’offrait une bon restaurant une fois par semaine, payait les études de ses enfants. Cette catégorie sociale a disparu. Celle qui l’a remplacée a difficilement les moyens de s’acheter un petit appartement, une petite voiture, ne fréquente plus les bons restaurants et ne finance plus les études de ses enfants avant la retraite, sauf à faire de gros sacrifices sur son train de vie.

Et ceci est dû au développement des tâches administratives, à l’augmentation de la fiscalité et des charges sociales qui n’ont aucune « création de richesse » en contrepartie, et renchérissent ainsi la satisfaction de tous les besoins de la population.

L’exposé du problème, comme toute question bien posée, montre la solution.

Il est d’abord nécessaire de réduire, autant que faire se peut, au minimum (et pas au maximum) les tâches qui ne contribuent pas, directement ou indirectement, à la création de richesse. Nombreuses sont celles qui sont destinées à assurer la sécurité. Elles sont nécessaires, c’est certain, notamment dans les domaines alimentaire, pharmaceutique ou le bâtiment, mais les groupes de pression qui les exploitent en font des « fromages ». Développant leurs services au-delà du nécessaire ou même de l’utile, les facturant, dès qu’ils sont rendus obligatoires, à des prix abusifs et injustifiés.

Renoncer à la plupart, peut-être la totalité, des « subventions ». De multiples exemples ayant montré que ce système était nuisible, tendant toujours à favoriser des activités non rentables au détriment d’activités qui pourraient l’être, qu’elles empêchent d’émerger ou de se développer. Ce qui constitue, à mes yeux, une forme de concurrence déloyale. Il est clair que la France n’est pas la seule à pratiquer ces subventions, officiellement ou de façon déguisée. Mais la solution n’est pas dans la surenchère.

Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exposer, transférer le financement du système social du « coût du travail » sur d’autres bases, le plus possible indépendantes des choix de gestion est la solution la plus favorable. A ce titre, je ne vois toujours pas quelle autre base saurait être plus favorable que le chiffre d’affaire réalisé en France. Les récents exemples « d’optimisation fiscale et sociale » de sociétés internationales profitant de la concurrence fiscale et sur les charges sociales, montrent que seule cette solution pourrait s’avérer efficace. En outre les entreprises perdraient l’intérêt qu’elles ont actuellement à faire appel à de la main d’œuvre étrangère, puisqu’elles auraient à acquitter les mêmes charges sociales qu’en faisant appel à la main d’œuvre locale.

Bien que ces exemples constituent des éléments de solution, qu’ils permettent d’orienter le système dans une direction plus favorable que celle actuellement recherchée, ces mesures ne sont pas susceptibles d’apporter une solution globale et cohérente à l’équilibre du système social car elle n’en respectent pas la nature et le fondement.

Celui-ci étant la solidarité, celle-ci ne peut s’exprimer que par une contribution de tous et de chacun au système. Ce n’est pas le cas à l’heure actuelle. Alors que la totalité de la population en bénéficie, une petite partie de celle-ci y contribue : Ceux qui exercent dans ce domaine, les salariés et entreprises qui financent. La grande source du déséquilibre se trouve là. La raison de son maintien, au-delà des raisons historiques, est la volonté de maintenir le paramètre financier comme seule référence. Comme je l’ai relevé en début d’article, ce paramètre est inadapté.

La seule solution pour en sortir étant d’instituer une contribution sociale, sorte de service civique, au sein duquel chacun aurait à contribuer aux fonctions sociales en fonction de ses compétences et désirs, des besoins en se coordonnant avec son entourage.

La mise en œuvre d’une telle solution serait compliquée, demanderait de nombreuses réformes, en commençant par celle des mentalités, en commençant par la prise de conscience qu’un droit ne peut exister sans obligation équivalente et que le fondement et le corollaire de la liberté est la responsabilité. Celle-ci consistant à assumer toutes les conséquences de ses actes et à réparer les dommages causés.

Dans les années soixante, au cours de mes études de droit, on annonçait déjà la future faillite du système social, l’augmentation des dépenses, la réduction des recettes. Aujourd’hui nous y sommes, le démantèlement s’amorce, la réduction, voire la suppression de certaines prestations, la fermeture de services, d’hôpitaux … Qui sont la conséquence de la soumission au paramètre financier, qui ne peut aboutir qu’à la disparition du système social.

Quel choix ferons-nous ? Pour ce qui me concerne, je suis prêt à consacrer quelques heures par semaine au système social pour assurer sa survie.

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Marc Albert Chaigneau a été conseil de sociétés et avocat d'affaires, puis responsable juridique pendant 35 ans. De 1974 à 1998, il procède ainsi à des centaines d'analyses de sociétés, les suivant depuis la création jusqu'à la liquidation, en passant par les fusions, cessions, restructurations. Cette expérience l'a conduit à analyser méticuleusement la société dans laquelle nous vivons. Son dernier essai De la révolution à l'inversion*, publié en janvier 2014 aux éditions Edilivre propose un nouveau projet de réforme de la société. Un modèle préférable à la révolution en ce qu'il ne nécessite ni violence, ni destruction, mais seulement l'inversion d'un certain nombre de nos comportements. Inverser les comportements, pour cela inverser les raisonnements, les analyses, les rapports personnels et professionnels en se basant sur le principe de subsidiarité. Avec cet ouvrage, l'auteur nous donne les clefs pour la mise en œuvre d'une véritable démocratie : la démocratie directe, dont beaucoup avaient rêvé, mais à laquelle ils avaient renoncé, la croyant impossible à mettre en œuvre. Il nous montre comment elle serait accessible, mais nous prévient qu'elle ne le sera jamais qu'à des citoyens responsables.  

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