Peut-on sortir du nucléaire ?

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Par Bertrand Barré Modifié le 29 novembre 2022 à 10h09

Le projet de transition énergétique soumis au Parlement comporte notamment l'objectif de réduire à 50% la production française d'électricité d'origine nucléaire, à l'horizon 2025. Ceci soulève deux questions contradictoires : Pourquoi réduire ? Pourquoi ne pas sortir complètement du nucléaire « à l'Allemande » ? Et la seconde question en entraîne une autre : Peut-on, en France, sortir du nucléaire ? La réponse honnête à cette dernière question est : « Oui, mais... ». Oui, on peut sortir du nucléaire,

• Mais pas rapidement

• Mais avec une augmentation significative du coût de l'électricité

• Mais en augmentant encore nos importations de combustibles fossiles, qui pèsent déjà lourd sur notre déficit commercial

• Mais en augmentant nos émissions de gaz à effet de serre au lieu de les réduire

• Mais en augmentant notre dépendance énergétique

• Mais en abandonnant toute ambition d'exportations dans cette branche de haute technologie.

Voyons un peu chacun de ces « mais ». L'énergie nucléaire fournit aujourd'hui 75% de notre électricité : il est évident que l'on ne peut pas rapidement la remplacer, quelle que soient les sources de substitution. Ce n'est pas le cas de l'Allemagne où le nucléaire fournissait seulement 22% avant les arrêts décidés par Angela Merkel au lendemain de Fukushima, et l'Allemagne ne sera complétement sortie qu'en 2022.

L'intention affichée par le gouvernement est de remplacer essentiellement le nucléaire par des sources d'électricité renouvelables. Une analyse de la Cour des comptes parue en 2012 et remise à jour en 2014 démontre que seule la grande hydraulique produit une électricité moins chère que le nucléaire. Nous savons bien qu'il n'y a plus de site hydraulique très prometteur en France, et que l'acceptation publique des grands barrages n'est pas meilleure que celle des centrales nucléaires. L'éolien est plus cher que le nucléaire en place aujourd'hui, et le solaire, beaucoup plus cher

Le nucléaire de demain, à sûreté et robustesse renforcées, sera plus cher que le nucléaire d'aujourd'hui, et certains prétendent qu'il sera plus cher que l'éolien. C'est oublier que les coûts de l'éolien ne comprennent pas les surcoûts liés à son intermittence : nécessité d'investir dans des centrales à combustible fossile destinées à le remplacer quand le vent est insuffisant, et démultiplication des réseaux de transport et de distribution de l'électricité. Ces surcoûts, dont le nucléaire fait l'économie, sont très significatif : En 2012, l'OCDE les évaluait à 40 € par MWh si la part de l'éolien et du solaire dépassait 30%. A titre de comparaison, le coût total du nucléaire réévalué en 2014 par la Cour des comptes est de 60 € par MWh.

En Allemagne, les ménages paient leur électricité deux fois plus cher que les ménages français. C'est la tendance qui nous menace en cas de sortie du nucléaire. On pourrait se dire : Tant mieux ! Cela incitera à économiser l'énergie ! Mais ce serait faire bon marché de la précarité énergétique qui affecte de plus en plus de nos concitoyens.

Comme l'éolien et le solaire sont intermittents, il faudra brûler des combustibles fossiles, surtout du gaz (à la différence des Allemands qui ont augmenté leur consommation de charbon et de lignite, ce charbon de qualité inférieure). Ceci grèvera notre balance des paiements, déjà très déficitaire : la facture d'importation de pétrole et gaz est déjà supérieure à 60 milliards d'euros par an et du même ordre de grandeur que notre déficit commercial. Il faut savoir que les deux tiers du coût de production d'électricité à partir du gaz viennent du prix du gaz lui-même, alors que l'uranium importé pour produire l'électricité nucléaire ne représente que moins de 5% du coût de sa production.

Cette montée du gaz détériorera encore notre dépendance énergétique, que le nucléaire a permis de ramener de75% en 1973 à 50% depuis plus de vingt ans, augmentant de ce fait notre vulnérabilité vis-à-vis des importations.

Il va de soi que ce recours aux fossiles, en complément indispensable des renouvelables intermittents dès lors que la part de ceux-ci devient importante dans le « bouquet» électrique, entrainera inéluctablement une augmentation de nos émissions de gaz à effet de serre. Aujourd'hui, grâce au nucléaire et à l'hydraulique, la France est l'un des plus bas émetteurs de GES parmi les économies développées. Dans l'Union Européenne, seule la Suède fait mieux que nous, et pour les mêmes raisons, alors qu'Allemagne et Danemark émettent considérablement plus par habitant, du fait de leur consommation de charbon.

Enfin, le nucléaire est l'un des rares secteurs hi-tec où la France fait très bonne figure. La sortie du nucléaire signerait la fin de cette situation.

En une phrase : la sortie du nucléaire est possible, mais ça ne veut pas dire qu'elle est souhaitable !

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Bertrand Barré est Professeur émérite INSTN, Enseignant à Sciences-Po/PSIA

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