Subventions de la filière bois : Billion Dollar Baby ?

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Par Rédaction Modifié le 7 février 2018 à 15h59
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910 millions d'eurosLes subventions annuelles de la filière bois

Le bois de construction, largement subventionné, se révèle largement moins performant en termes de sécurité ou d’impact écologique que ne le laisse croire le discours dominant.

L’idée que la forêt française est menacée et qu’il faut aider en priorité le bois, notamment de construction, vanté comme bon pour le bilan carbone et peu gourmand en énergie, mérite d’être vérifiée. Relativisons d’abord le danger de déforestation : la surface globale de nos forêts a doublé en l’espace de 150 ans dans notre pays. Même en Ile-de-France, 10 000 hectares de forêts se sont développés depuis 50 ans. Dans un pays où 54% des forêts sont exploitées, 30% non exploitables et 16 % déjà vouées à l’exportation (rapport PIPAME de l’Agreste), il est d’ailleurs permis de se demander s’il existe déjà de réelles possibilités d’augmenter la récolte de bois.

Dans notre pays, le soutien public à la filière bois est accepté comme une évidence depuis le Grenelle de l’Environnement, qui se proposait de mobiliser la ressource forestière (à l’époque déficitaire de 6 milliards d’euros, second poste de déficit après les hydrocarbures).

Après l’émotion suscitée par la tempête de 1999, puis celle de 2009 dans le Sud-ouest (qui fut rapidement consolée par une aide globale d’un milliard d’euros…), le secteur forestier a toujours été largement subventionné, comme s’il s’agissait d’une évidence pour l’emploi et l’écologie. En 2015, la Cour des Comptes notait que la filière bois était subventionnée à hauteur de 910 millions d’euros par an, mais critiquait la cohérence et la pertinence de ces aides. Pour la décennie 2016-2026, le « programme national de la forêt et du bois » voté en 2014 définit une politique forestière privée et publique destinée à développer les coupes de bois et à augmenter notamment l’usage de ce matériau pour la construction.

La stratégie ainsi engagée vise d’abord à développer la commande publique pour « favoriser le réflexe d’utilisation du bois ». Il s’agit parallèlement d’encourager le recours à l’énergie d’ici 2023 dans le cadre de la Programmation Pluriannuelle de l’Énergie. De plus, l’État alloue 28 millions d’euros au fonds stratégique d’investissement pour le bois, en plus des fonds alloués par l’Europe, les régions, la Banque Publique d’investissement, et la Banque Européenne d’Investissement notamment, dans la perspective de moderniser totalement la filière en amont.

Après Stéphane le Foll, ministre de l’agriculture qui a largement soutenu la filière du bois construction, Emmanuelle Cosse a lancé en 2017 une Alliance nationale bois de construction rénovation », accord entre les Régions de France, l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) et les acteurs de la filière, pour lancer une campagne en faveur des « avantages qui s’attachent à l’usage du matériau bois dans la construction ». Il y a donc une continuité dans le soutien à la filière, ce qui témoigne largement de l’efficacité de son action de lobbying auprès des pouvoirs publics.

Pourtant, l’efficacité de ces subventions en termes de préservation de l’emploi, surtout local, est sujette à caution. Ainsi, selon une étude de la FNB sur le marché français des sciages, 60 % des sciages destinés à la construction sont importés, ce qui ne contribue pas non plus à diminuer les frais énergétiques, écologiques et financiers de son transport. Si ce transport est d’en moyenne 100 kilomètres entre la forêt et la scierie et 500 entre la scierie et le chantier, il augmente considérablement pour les tonnes de bois importées parfois de fort loin : Russie, Brésil, Indonésie, Canada, Finlande... La FNB note par ailleurs (*) une tendance au creusement du fossé entre l’offre et la demande sur certains segments de bois français : les stocks de « gros bois » s’accumulent alors que la demande qui augmente est celle des bois spéciaux d’ingénierie, pour la production de CLT ou Cross Laminated Timber. Les importations ne risquent donc pas de diminuer dans un avenir proche, sachant que réorienter la production prend environ une décennie en sylviculture.

Même le fameux bilan carbone du bois est à reconsidérer. À cause de ce transport, bien sûr (une tonne de bois venue de d’Europe du nord implique, par exemple, un transport qui dégage un « coût invisible » de 230 kg de CO2 selon l’ADEME) mais aussi, en aval. Réputé peu consommateur d’énergie fossile pour sa production (à l’exception du bois-papier qui demande beaucoup d’eau et d’énergie), le bois est en réalité fortement pénalisé si l’on prend en compte le facteur transformation et transport. Et qui s’ajoutent au fait évident que le bois qui a consommé du CO2 pendant sa croissance, doit, si l’on considère tout son cycle de vie, finir par brûler ou se décomposer, en redégageant - chez nous ! - le gaz carbonique emprisonné.

D’autres arguments militent en faveur d’une plus grande objectivité : une fois mis en place en construction, le bois des parois est, par exemple, peu isolant pour les habitations ; là encore, un coût indirect existe, puisqu’il faut du chauffage ou de la climatisation énergivores pour compenser cette faible capacité à conserver la chaleur ou la fraîcheur suivant les saisons. De même, les traitements chimiques du bois indispensables à sa préservation (insecticides, fongicide, traitements pour ignifuger, vernis...) sont tous sauf neutres. Certains sont même considérés comme cancérigènes par l’Agence de Protection de l’environnement américaine et par l’OMS. Le bois émet aussi des Composés organiques volatiles ou COV, unanimement reconnus dangereux pour la santé.

Qui dit bois de construction dit aussi déchet de construction, puisqu’il y aura un jour démolition ou travaux : or une grande partie de ces déchets est classée comme dangereuse et donc non recyclable. Beaucoup d’éléments du débat ont donc été pour le moins négligés. Manifestement, les groupes d’influence ont fait un remarquable travail d’argumentation et de communication qui, pour le moment, n’a pas rencontré d’opposition féroce parmi nos élus, à commencer par les plus écologistes d’entre eux.

(*) https://www.lemoniteur.fr/article/comment-les-entreprises-specialisees-dans-le-bois-veulent-ameliorer-leur-competitivite-35185036

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