Cognac : des diversifications qui mobilisent les savoir-faire historiques

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Par Etienne Fouqueray et Emmanuel Nadaud Publié le 21 août 2021 à 6h58
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45 dollarsUn Cognac superpremium se vend 45 dollars.

Les connaissances et les savoir-faire accumulés grâce au cognac ont permis aux acteurs locaux de mener depuis les années 2000 des stratégies de diversification payantes à travers deux axes. Premier axe, la production d’autres spiritueux haut de gamme. Deuxième axe, le développement de nouveaux produits ou de nouvelles prestations en valorisant l’expérience acquise avec le cognac.

Une diversification cohérente vers les autres spiritueux et la naissance de Spirits Valley

En réponse aux crises et pour anticiper les cycles à la baisse du marché du cognac, les acteurs, internes et externes au territoire, ont mené des stratégies de diversification en développant des gammes de spiritueux haut de gamme, autres que le cognac : vodka, gin, whisky, brandy, liqueur etc. Ce développement s’appuie sur la mobilisation des savoir-faire ancestraux mobilisés dans le cadre de la production de cognac, notamment ceux relatifs à la distillation et vieillissement. Le développement des spiritueux autres que le cognac connaît depuis une forte croissance sur le territoire, entraînant avec lui l’ensemble de la filière.

Les premières initiatives ont vu le jour dans les années 1980 : la liqueur Alizé, à base de cognac, puis Hpnotiq, un spiritueux issu d’un assemblage de vodka, de cognac et de jus de fruit créé par un américain en partenariat avec la maison Merlet. Ces boissons, qui existent toujours, ont connu un succès limité, mais ont le mérite d’avoir apporté une inspiration nouvelle sur le territoire. Deux success stories ont ensuite montré le potentiel de savoir-faire cognaçais pour la fabrication de spiritueux haut de gamme : la vodka Grey Goose produite depuis 1997 « qui se vend aujourd’hui à plus 50 millions de bouteilles dans le monde » et la vodka Cîroc, une vodka produite à partir de raisins.

La vodka Grey Goose a été élaborée comme un produit de luxe par le milliardaire américain Sidney Frank qui s’est associé à un maître de chai de la maison de Cognac Henri Mounier. L’intuition de son fondateur est qu’il n’existait pas de vodka haut de gamme à destination du marché américain. Sidney Frank, « une sorte de Steve Jobs des spiritueux, un petit génie du marketing, qui avait réussi à faire d’une marque de liqueur allemande “Jägermeister” un produit international », a cherché à capitaliser sur le prestige de l’image française et des savoir-faire du Cognaçais. Face au succès, Grey Goose a attiré les investisseurs et la marque est devenue la propriété du groupe Bacardi en 2004.

La vodka Cîroc a été créée par la maison Villevert, une maison de spiritueux qui est une émanation d’un portail de vente de vins et spiritueux sur internet EuroWineGate créé par Jean-Sébastien Robicquet, un oenologue et distillateur. Au début des années 2000, Jean-Sébastien Robicquet expérimente des distillations de vins. Ses recherches aboutissent à la création de la vodka Cîroc, en collaboration et pour le compte du groupe Diageo. La Maison Villevert a depuis développé plusieurs alcools haut de gamme premium : vodka, gin, cognac etc.

Le développement de ces produits a mis en lumière les savoir-faire présents sur le Cognaçais et l’exigence en matière de qualité qui permet aux productions locales de se positionner sur les créneaux premium et superpremium sur les marchés mondiaux (le premier désigne les spiritueux vendus entre 22,5 et 30 dollars, le second désigne les spiritueux vendus entre 30 et 45 dollars).

À partir de là, les petites maisons de Cognac ont pris conscience qu’elle pouvait diversifier leur gamme avec un portefeuille plus large (gin, vodka, whisky, liqueur, brandy etc.). C’est le cas, par exemple, de la maison de Cognac Ferrand qui a créé le Gin Citadelle dès 1996, puis s’est diversifié dans la production de liqueur (liqueur Curaçao, liqueurs de fruits) et dans la production de rhum (la maison Ferrand fait notamment vieillir des rhums des Caraïbes en fûts de cognac). D’autres produisent aussi du whisky comme la société Bellevoye. La maison Bache-Gabrielsen produit un brandy, une eau-de-vie de vin, plus simple que le cognac, sourcé à partir de différents raisins provenant d’ailleurs en Europe. Le prix de revient est beaucoup moins cher et constitue un produit d’entrée de gamme pour certains marchés.

Cette stratégie de diversification est principalement le fait des petites maisons de Cognac. Les grandes maisons, du fait de leur appartenance à de grands groupes mondiaux de spiritueux qui comptent déjà dans leur portefeuille d’autres spiritueux, ne s’inscrivent pas dans cette stratégie.

En revanche, la crise du cognac des années 1990 et le développement de nouveaux spiritueux sur le Cognaçais ont permis une prise de conscience collective sur le territoire de la capacité des acteurs à se diversifier vers d’autres produits et d’autres marchés. Cela a fait naître ou a accéléré une stratégie de diversification pour les entreprises du territoire à travers des produits qui s’inscrivent dans une logique de « spécialisation cognitive » du territoire.

C’est ainsi que de nouvelles activités ont émergé. On peut citer le vinaigre Beaume-de-Bouteville ou le décor sur verre de l’entreprise Bernadet pour des produits aussi divers que des parfums ou de la lessive. La trajectoire des entreprises du Cognaçais est, à ce titre, particulièrement intéressante. Historiquement majoritaire, la part du chiffre d’affaires des entreprises du packaging, de la valorisation du cognac et de l’accompagnement de la viticulture réalisée avec les maisons de négoce du cognac a diminué et est, certaines fois, devenu minoritaire. La tonnellerie Taransaud, par exemple, qui ne travaillait que pour les maisons de négoce de Cognac (et surtout Hennessy) ne réalise aujourd’hui que 25% de son chiffre d’affaires sur le Cognaçais. Ce rééquilibrage est lié à une stratégie de diversification de produits (vers les fûts à vins pour Taransaud) qui a permis une diversification des marchés, y compris à l’international. Les activités, y compris les plus spécifiques comme la tonnellerie ou la fabrication d’alambics, ont su se diversifier et trouver des débouchés en dehors du Cognaçais.

Ceci est un extrait du livre « Angoulême-Cognac : appréhender la diversité des territoires industriels » écrit par Etienne Fouqueray et Emmanuel Nadaud paru aux Éditions Presses des Mines. Prix : 12 euros. Reproduit ici grâce à l'aimable autorisation des auteurs.

« Angoulême-Cognac : appréhender la diversité des territoires industriels » d'Etienne Fouqueray et Emmanuel Nadaud

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Docteur en économie, Étienne Fouqueray exerce en tant que chercheur indépendant pour le compte d’acteurs publics et privés. Ses travaux portent sur l’analyse des dynamiques économiques territoriales, la modélisation de l’impact économique territorial des activités, et l’évaluation des politiques territoriales d’emploi et de formation. Il est membre de la Fédération Territoires de l’Université de Poitiers et chercheur associé au laboratoire CRIEF de la Faculté de Sciences Économiques de Poitiers. Emmanuel Nadaud est économiste, dirigeant de la société NadEm et chercheur associé à la Fédération Territoires de l’Université de Poitiers. Docteur en sciences économiques, il est spécialisé sur les questions de développement territorial et de gouvernance.

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