Transport stratégique : quand le privé ne fait finalement plus le poids…

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Par Hervé Duval Modifié le 21 avril 2021 à 11h45
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La volonté de l’armée française de retrouver sa souveraineté en matière de transport stratégique, en s’appuyant avant tout sur ses moyens patrimoniaux, A400M et A330 MRTT, a notamment pour conséquence d’écarter progressivement les affréteurs privés de ce marché.

Ces dernières années, la France s’est engagée sur plusieurs théâtres d’opérations extérieurs, souvent éloignés de l’Hexagone : Irak, Afghanistan, Centrafrique, Sahel… Pour projeter ses hommes, ses blindés, ses armes et ses munitions, l’armée française a besoin d’une capacité de transport à longue portée, rapide et à grande échelle. Au cours de la dernière décennie, elle a ainsi largement utilisé des gros-porteurs russes ou ukrainiens de type Antonov 124, capables d’acheminer une charge de 120 tonnes. Pour le seul lancement de l’opération Serval au Mali en 2013, l’armée de l’air a ainsi affrété 115 vols d’Antonov 124 en à peine deux mois. Des avions auxquels elle a eu accès par le biais du contrat Salis (Solution intérimaire pour le transport aérien stratégique) dans le cadre de l’OTAN, mais surtout en s’appuyant sur un affréteur privé, ICS (International Chartering Systems), via un marché dit « à bons de commande ».

Priorité aux moyens patrimoniaux

Entre 2011 et 2017, grâce à ses relations en Ukraine et en Russie, et à des tarifs défiant toute concurrence, ICS s’est ainsi imposé comme le principal acteur des ponts aériens de l’armée française. Mais en dépit des services rendus et appréciés par le passé, cette période est désormais révolue pour des raisons à la fois politiques, réglementaires et administratives.

D’abord, la France veut retrouver sa souveraineté en matière de transport stratégique et mettre fin à sa dépendance à la Russie et à l’Ukraine dans ce domaine. Une dépendance pointée du doigt depuis plusieurs années par des parlementaires et des journalistes. Pour recouvrer son autonomie, elle peut aujourd’hui s’appuyer sur la montée en puissance de ses flottes d’avions de transport A400M et de ravitailleurs multi-fonctions A330 MRTT.

De plus, suite à l’arrivée d'auditeurs externe au ministère des Armées, les appels d’offres sont désormais calibrés de façon à privilégier le recours à ces moyens patrimoniaux, mais aussi au contrat Salis, même si ces solutions ne sont pas les plus économiques. Déléguer le transport stratégique de l’Armée française à une PME privée, dont le dirigeant cultive des contacts privilégiés avec des décideurs russes ou ukrainiens, est désormais considérée comme un système trop « artisanal » et trop « opaque » par les cabinets d’audit.

Cette nouvelle donne laisse ainsi peu de place aux affréteurs privés, dont les missions devraient se réduire de plus en plus à l’avenir. ICS en a d’ailleurs tiré toutes les conséquences en se retirant de ce marché. Quant au nouveau contrat signé il y a plus d’un an avec son remplaçant, Avico, il n’est toujours pas opérationnel. Et l’appel d’offres, lancé en octobre 2020, sur l’affrètement des troupes françaises en Afrique de l’Ouest (Barkhane) – un marché détenu jusqu’ici par Bolloré – n’a toujours pas de lauréat désigné – il a été classé « sans suite », avant d’être relancé…

L’A400M et l’A330 MRTT, pivots de la capacité de projection française

Si l’Armée française amorce ce virage politique, c’est qu’elle peut désormais compter sur de nouveaux moyens patrimoniaux de transport stratégique : l’A400M Atlas et l’A330 MRTT Phénix. Avion de transport militaire de nouvelle génération, l’Airbus A400M a été conçu pour réaliser l’ensemble des missions liées au transport stratégique et tactique, notamment les liaisons inter et intra-théâtre, les posers d’assaut sur terrains sommaires, l’aérolargage de personnel et de matériel, le ravitaillement en vol, le soutien logistique des forces ou les évacuations sanitaires. Il est capable d’intervenir en première ligne en milieu contesté, au cœur d’un dispositif complexe et connecté. Sa montée en puissance vient combler un déficit de l’Armée française en matière de capacité de projection sur des théâtres d’opérations extérieurs.

Selon le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, « les moyens aériens doivent être capables de projeter une force de 1.500 hommes à 7.000 ou 8.000 kilomètres en quelques jours », avec ses équipements et une autonomie suffisante. Ce qui représente une masse totale à acheminer d’environ 5.000 tonnes ! L’A400M doit ainsi jouer un rôle majeur pour atteindre ces objectifs de projection à longue distance. Il permettra également à la France d’accroître sa capacité de transport tactique, c’est-à-dire sa mobilité sur les théâtres d’opérations. Les pneumatiques à basse pression et à large surface au sol de l’A400M lui permettent en effet d’opérer sur des terrains non préparés comme des pistes en terre.

Equipé de quatre turbopropulseurs et d’une capacité d’emport de 37 tonnes, cet avion peut notamment transporter du fret sur palettes, des véhicules et des blindés légers, ainsi que des hélicoptères rotor démonté – mais pas des chars lourds, contrairement à l’Antonov An-124 russo-ukrainien ou au Boeing C17 américain. La soute de l’A400M peut accueillir par exemple neuf palettes militaires standard, ou 116 soldats avec leur équipement, ou encore 66 civières et une équipe médicale de 25 personnes. En mission militaire, il peut affréter deux camions de 5 tonnes et deux canons de 105 mm, ou trois véhicules blindés de transport de troupes, ou un véhicule de lancement Patriot avec ses missiles, ou encore deux hélicoptères d’attaque Tigre.

Située sur la base aérienne 123 d’Orléans, la flotte d’A400M de l’armée française compte aujourd’hui 17 appareils, et doit passer à 25 unités d’ici 2025. Une nouvelle capacité propre de transport stratégique complétée par le développement de la flotte d’A330 MRTT – trois appareils aujourd’hui, mais douze d’ici 2023, et trois de plus ensuite... Cet avion ravitailleur est en effet également capable d’assurer des missions de transport médicalisé, mais aussi de transport stratégique de personnels et de fret. L’A330 MRTT peut projeter, par exemple, un plot de deux à quatre chasseurs, avec ses mécaniciens et leur lot de maintenance.

Selon le ministère des Armées, ces deux appareils « constitueront le cœur de la capacité en avions de transport stratégique, qui comprendra en 2028 un ensemble complémentaire et cohérent de 35 A400M et 15 MRTT ». Une base qui doit permettre à la France de retrouver toute sa souveraineté pour se projeter sur des théâtres d’opérations lointains.

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Hervé Duval, conseil juridique, Droit des affaires / Droit du travail - Conseil et contentieux - France et International. Recherches et veille juridiques, rédaction de notes sur des sujets touchant au droit pénal des affaires et notamment aux pouvoirs d’investigation des autorités judiciaires et des autorités administratives indépendantes.

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