RATP : faire payer le juste prix des transports au lieu de les financer par impôts

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Par Jacques Bichot Modifié le 27 juin 2014 à 5h14

Quelques députés socialistes ont déposé un amendement à la loi de finances rectificative pour 2014 visant à instituer une taxe de séjour de 2 € par nuitée dans les hôtels d'Ile-de-France. But de cet impôt : faire participer les touristes au financement des transports en Ile-de-France. Il pourrait rapporter 140 millions par an, contre 60 environ pour les taxes de séjour actuellement prélevées au profit des communes de la Région qui utilisent cette possibilité. Le Gouvernement ne serait pas contre.

Il est normal que les touristes, comme les résidents, financent les transports en commun qu'ils empruntent, mais pourquoi utiliser à cette fin une taxe plutôt que le prix du ticket et de l'abonnement ? Les tarifs de la RATP sont notoirement insuffisants : à 1,37 € le voyage (prix du ticket par carnet de dix) l'usager ne paye guère plus de la moitié du prix de revient. Serait-il scandaleux de lui demander 2,50 € ? Pour quelle raison utilise-t-on l'impôt pour financer une bonne partie de ce qui devrait être à la charge du client ? Faire payer le prix coûtant peut conduire des associations de consommateurs ou autres à s'intéresser de plus près à ce coût : craint-on qu'elles ne viennent fourrer leur nez dans le statut privilégié du personnel de la RATP, qui en explique une partie ?

Le mystère est soigneusement entretenu sur le point de savoir d'où viennent les recettes de la RATP autres que les achats d'abonnements et de tickets. Le rapport financier de cet organisme est en effet remarquablement sibyllin en la matière. Il fournit tous les renseignements possibles concernant ses opérations financières : ses filiales à l'étranger, ses "lease américains" et ses "Lease suédois", ses "swaps de flux" et ses "swaps de variabilisation cappés LT", etc. Il fournit même le détail des honoraires versés aux commissaires aux comptes. Mais s'agissant du chiffre d'affaires, il indique simplement 4,4 milliards de "produits du transport", dont 2,3 milliards de "recettes voyageurs" sur les réseaux RATP, charge au lecteur d'imaginer d'où vient le complément, soit quand même 2,1 milliards, légèrement plus que les honoraires des commissaires aux comptes ! Ces 2,1 milliards contiennent probablement une forte proportion d'apports publics financés par l'impôt et par les emprunts de l'État ou de la ville, mais combien au juste, mystère et boule de gomme ! Il est merveilleux de voir ainsi une société de transport de personnes pratiquer la maxime "circulez, il n'y a rien à voir" en ce qui concerne son cœur de métier ...

L'obscurité des comptes de la RATP et le dépôt d'amendement cité précédemment correspondent à la même confusion, soigneusement entretenue, entre recettes et taxes. La philosophie sous-jacente peut se résumer ainsi : peu importe d'où vient l'argent, il faut le faire affluer à l'organisme prestataire de services. Cette philosophie (ou plutôt idéologie) qui nous mène droit dans le mur sévit en France à une échelle gigantesque : c'est elle qui fait remplacer les cotisations sociales par des impôts, comme si c'était la même chose de payer une prime d'assurance qui permet de bénéficier d'une couverture sociale, ou de se faire prélever des sous par le fisc. La TVA sociale, qui fait un retour dans le programme de "thérapie de choc libérale" que vient de lancer François Fillon, en est une manifestation : présenter comme une mesure libérale l'étatisation accrue de la sécurité sociale témoigne du haut niveau de confusion mentale atteint par une partie de la droite et du patronat ! Taxe de séjour, taxe de transport imposée aux entreprises dans la plupart des agglomérations urbaines françaises (sans que le MEDEF en réclame la suppression !), financement fiscal de la sécurité sociale : tout cela relève du même méli-mélo conceptuel – un méli-mélo qui explique une bonne partie de la stagnation économique, du sous-emploi et des déficits (public et extérieur) de notre pays et de quelques autres.

Pourquoi une accusation si grave ? Parce que, quand le prélèvement fiscal et le recours à l'emprunt public remplacent le paiement par le consommateur ou l'usager, le fonctionnement de l'économie est perturbé. Ce n'est pas vrai seulement pour les pays riches : comme nous le disent beaucoup d'économistes, les gouvernements des pays pauvres retardent leur développement en subventionnant par démagogie (déguisée en souci des pauvres) les produits alimentaires et les carburants. Dans les pays développés, et en particulier en France, la manipulation des prix par les subventions publiques, c'est-à-dire par la substitution de l'impôt et du déficit public au paiement du juste prix, fausse les choix des agents économiques. Les prestations logement, par exemple, facilitent la hausse excessive des loyers et du prix de l'immobilier. Le subventionnement des intermittents du spectacle via l'assurance-chômage conduit les entrepreneurs de spectacles à multiplier les CDD au lieu de gérer correctement leur personnel. Les subventions accordées à certaines formes de loisirs (en général culturels ou sportifs) orientent indûment les ménages dans telle ou telle direction en fonction des préférences gouvernementales. Etc.

Bref, le recours à l'impôt et au déficit pour abaisser les prix de certains biens et services très en dessous de ce qu'ils coûtent à produire est une atteinte à la fois à la démocratie et à l'efficacité économique. Premièrement le couple subvention / impôt coûte cher : aux frais de transaction commerciaux s'ajoutent des frais administratifs qui doublent ou triplent la dépense de travail consacrée non pas à produire, mais à faire rentrer l'argent dans les caisses des producteurs ou vendeurs ; on gaspille ainsi des ressources. Deuxièmement, le financement fiscal de nombreux biens et services permet à une partie de la population de vivre à peu près correctement en travaillant peu, et donc en payant peu d'impôts et en percevant des allocations sociales, au crochet de ceux qui travaillent davantage. L'assistance se généralise, l'offre de travail se réduit et la production par habitant fait de même. Troisièmement, les impôts dépassent le seuil de tolérance aux prélèvements obligatoires sans contrepartie, ce qui amène les gouvernants à miser de plus en plus sur le déficit public, avec tous les problèmes qui en résultent lorsque la dette publique devient excessive aux yeux des agences de notation et des agents qui sont sollicités pour la porter. Quatrièmement, le financement par impôt et subvention déresponsabilise les gestionnaires : ce n'est plus le client qu'ils servent en cherchant un bon rapport qualité/prix, mais le financeur public qu'ils courtisent.

Laisser les usagers des transports en commun payer le coût réel de ces services, au lieu de ponctionner fiscalement entreprises, touristes et contribuables locaux, fait partie de l'aggiornamento dont ont besoin nos économies minées par la confusion mentale qui sévit en haut lieu. Pour dynamiser nos sociétés vieillissantes, il faut que la règle soit d'acheter au juste prix, et non de payer des taxes pour compenser l'insuffisance des prix de vente. L'échange, marchand mais aussi non marchand , doit se développer à nouveau, au détriment des formules bureaucratiques.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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