Le rachat de Twitter par Elon Musk : un pari audacieux gagé par une transformation profonde du réseau de micro-messagerie

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Par Josse Roussel Publié le 9 mai 2022 à 5h05
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86%Le modèle économique de Twitter repose largement sur la publicité à hauteur de 86%.

Une plateforme très influente

Le rachat de Twitter par l’homme le plus riche du monde, Elon Musk, pour un montant de 44 milliards de dollars a créé une onde de choc qui va bien au-delà de la sphère économique. C’est que le réseau social fondé par Jack Dorsey a acquis une influence considérable parmi les élites culturelles, politiques et journalistiques, en dépit d’une taille somme toute limitée. Si les 200 millions d’utilisateurs font pâle figure en comparaison de Meta – Facebook – ou de Tik Tok, l’importance de Twitter comme vecteur d’influence est considérable.

C’est en effet le réseau de choix des décideurs économiques, des leaders d’opinion, des journalistes et des politiques. Twitter est en mesure d’imposer un récit sur l’actualité en fonction des tendances que son algorithme génère. Depuis quelques années le réseau social a mis en place une politique de modération des Tweets allant jusqu’à la suppression de comptes et l’exclusion définitive de la plateforme, à l’instar du 45éme président des Etats-Unis, Donald Trump.

Accusée de bâillonner la liberté d’expression

Cette politique est vigoureusement contestée par le dirigeant de Tesla et SpaceX puisqu’elle représente à ses yeux une entrave manifeste à la liberté d’expression. Il considère que Twitter est devenu un forum digital, une agora numérique, et qu’en conséquence la liberté d’expression y doit être la moins contrainte possible. La seule limite à la liberté d’expression selon le nouveau propriétaire de Twitter est la loi du pays dans lequel le service sera offert. Ainsi, Twitter ne limitera plus la liberté d’expression au-delà de ce qui est autorisé par le cadre légal en vigueur.

C’est bien là l’un des axes de réforme de Twitter qu’Elon Musk compte mener à bien, mais ce n’est certainement pas le seul. Il s’agit également de débarrasser le réseau de micro-messagerie des « bots » - un bot est un logiciel qui contrôle un compte Twitter et qui se fait passer pour un véritable utilisateur – souvent utilisés pour des fraudes, et d’inclure de nouvelles fonctionnalités telles que la correction de Tweets anciens. Le milliardaire Américain entend également rendre l’algorithme de Twitter public afin d’apporter une totale transparence sur la manière dont les tendances se construisent et de rétablir la confiance vis-à-vis des utilisateurs. Celle-ci a été sérieusement ébréchée par le soupçon de manipulation de l’algorithme par Twitter afin de mettre en avant ou au contraire de rabaisser certaines tendances pour des raisons politiques ou culturelles. L’écho des messages portés par des personnalités conservatrices aux Etats-Unis serait donc délibérément limité alors qu’au contraire les argumentaires des personnalités proches de la mouvance démocrate serait amplifié.

Un modèle économique à renouveler

Le modèle économique de Twitter, aujourd’hui reposant largement sur la publicité à hauteur de 86%, doit être revu en profondeur. Cette dépendance aux revenus publicitaires représente une faiblesse car elle fragilise l’entreprise en cas de retournement de conjoncture puisque les revenus publicitaires sont orientés à la baisse dans un environnement économique dégradé. La dynamique du chiffre d’affaires de Twitter est donc tout à fait similaire à un groupe de média plutôt qu’à une société technologique. Une société d’édition logicielle par exemple peut augmenter ses revenus sur la base d’une croissance organique des ventes. Pour Twitter, il s’agit de monétiser l’audience ce qui pousse l’entreprise à modifier son algorithme afin de mettre en avant les Tweets les plus polémiques et les plus clivants à l’image de ce que pratique Facebook.

L’audience est en effet d’autant plus impliquée et engagée dans les fils de discussions que la polémique est vive. Cet engagement de l’audience est bien entendu vecteur de revenus publicitaires accrues en tout cas jusqu’à un certain point. Si la polémique est trop forte et qu’elle entraîne des réactions indignées elle peut au contraire faire fuir une partie des annonceurs qui ne souhaitent pas être associés à des messages véritablement toxiques pour leurs marques. On comprend dès lors que parmi les raisons qui ont poussé Twitter à renforcer les règles de modération il y a la volonté de ne pas se mettre à dos les annonceurs.

Elon Musk souhaite donc réduire la dépendance de Twitter aux revenus publicitaires afin de s’orienter vers un modèle hybride qui combine publicité et abonnement à l’instar de Spotify. Twitter a lancé en novembre 2021 une formule d’abonnement, baptisée « Blue », en option pour 2,99 dollars mensuel sur les marchés américains et australiens. Cette option permet notamment d’effacer très facilement les tweets. Pour le milliardaire américain, il faut offrir des services beaucoup plus attractifs permettant par exemple de corriger des Tweets qui ont déjà été publiés. Twitter pourrait également être à la base d’un système de paiement en cryptomonnaie.

Twitter doit également devenir rentable ce qui nécessite, au-delà de la croissance du chiffre d’affaires engendrée par un service d’abonnement, de réduire les coûts de manière drastique. Elon Musk a annoncé qu’il allait supprimer les rémunérations du conseil d’administration et licencier une partie significative du personnel de Twitter.

Une prise de risque élevée

Cependant, le défi à relever est immense. Pour boucler le financement de l’acquisition, Elon Musk a emprunté 25 milliards de dollars ce qui va mécaniquement augmenter la charge de la dette de Twitter. Selon les estimations les intérêts d’emprunt vont passer de 50 millions de dollars par an à près de 850 millions de dollars annuel. La charge de la dette va donc être multipliée par 17 ! Rappelons que Twitter a dégagé des pertes en 2021 notamment en raison du règlement d’un contentieux avec plusieurs actionnaires pour près de 809,5 millions de dollars. Le retour à la profitabilité sera donc difficile même si la tendance récente est positive puisque l’ampleur des pertes a été réduite en passant de 1,2 milliards de dollars en 2018 à 221 millions de dollars en 2021.

Une croissance vigoureuse du chiffre d’affaires notamment tirée par un nouveau service d’abonnement optionnel associé à une réduction des coûts drastiques sont indispensables pour amener le réseau social sur le sentier de la profitabilité.

C’est le pari qu’Elon Musk a décidé de relever.

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Josse Roussel est professeur à la Paris School of Business. Docteur en sciences de gestion de l'université Paris-Dauphine et habilité à diriger des recherches (HDR) de l’université de Paris-II Panthéon Assas, ses recherches portent sur la finance et les politiques monétaires, la numérisation du management et le capital humain. Il est l'auteur de Vers l'entreprise numérique, Gualino éditeur, 2005; d’ Economie et Management de l’Entreprise, L’harmatan, 2011; d’Action Rationnelle et Convention de Capital Humain, Editions Universitaires Européennes, 2012; Misère de la Finance, L’harmattan, 2014 et de Le Capital Humain: Théorie et Applications, Editions Universitaires Européennes, 2019. Il a publié des articles de recherche dans de nombreuses revues académiques à comité de lecture telles que The Journal of Developing Areas, International Journal of Emerging Markets, International Journal of Business and Social Science, Human Resource Planning, The Journal of European and Industrial Training, E-Journal of Digital Enterprise, Entreprise et Humanisme, Management & Avenir, Confluences Méditéranée, Vie & Sciences de l’Entreprise et La Revue d’Economie Financière.    

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