La visite de François Hollande fait couler beaucoup d’encre. Entre intérêts économiques et exigences démocratiques soulevées par de nombreux lobbies, le président français sera très observé alors qu’il se déplace à Moscou, mercredi 27 février, pour de nombreuses réunions au sommet.
Quelques projets en cours
Au programme de ces quelques heures en Russie : de l’économie et de la diplomatie. Sur tous ces points, la France et la Russie trouveront de nombreux points de désaccords, parfois historiques, qu’il faudra manier avec délicatesse afin de parvenir à quelques terrains d’entente indispensable pour la France. En termes économiques, cette visite russe pourrait bien se conclure par l’arrivée d’investisseurs russes intéressants pour la France en crise. Lassée de voir la Russie se tourner vers l’Italie et l’Allemagne lorsqu’il s’agit de commercer avec l’Europe, la France veut marquer des points. Pourtant, elle est bien mal partie.
En 2006, le groupe russe du milliardaire Alexeï Mordachov, grand acteur du secteur de l’acier pour l’automobile, avait tenté de s’allier au groupe Arcelor, avant de se faire doubler par l’indien Mittal. La cause : le patron du groupe avait joué de politique en actionnant quelques lobbies autour de cette fusion. Les Russes avaient à l’époque très mal vécu de passer après les Indiens et aujourd’hui, cet évènement n’a pas été oublié.
La Russie rancunière
Pourtant, François Hollande semble décidé à repartir sur de bonnes bases avec son homologue Vladimir Poutine et dès 9h30 (6h30, heure de Paris), le président français accompagné de plusieurs chefs d’entreprise français, des membres de la Chambre de commerce franco-russe. Dans l’après-midi, après un déjeuner de travail avec le président Poutine, les deux chefs d’Etat sont attendus pour une rencontre avec des membres de la communauté d’affaires franco-russe. Aujourd’hui, les investissements russes en France sont encore peu nombreux, malgré quelques exceptions. Mais la France compte bien attirer les riches investisseurs russes et près d’une trentaine de projets seraient actuellement en cours de signature.
La Russie accusée de bloquer la résolution du conflit syrien
Mais visiter la Russie ne peut pas être dénué de sens et derrière l’économie, les dossiers internationaux seront bien entendu au cœur des enjeux de cette visite. Sur de nombreux points, la France et la Russie ont montré leur désaccord. En premier lieu, la Syrie. Au Conseil de sécurité de l’ONU comme sur la scène internationale, la Russie joue, depuis deux ans de conflit, le rôle d’allié du régime de Bachar al-Assad. A plusieurs reprises, la Chine et la Russie ont opposé leur véto à une résolution contraignante pour le régime syrien et ces deux acteurs sont souvent tenus pour responsables du blocage de la crise syrienne.
Alors que la France a toujours soutenu l’opposition syrienne, la Russie a joué la carte du pragmatisme et a toujours mis en avant les risques et conséquences de la chute du régime de Bachar al-Assad. Si la Russie a, depuis plusieurs mois, montré qu’elle n’était pas attachée à la personnalité de Bachar al-Assad, elle affirmé néanmoins que la chute brutale du régime pourrait conduire à la partition du pays et à l’arrivée d’islamistes radicaux au pouvoir.
Les lobbies des droits de l’Homme en marche
Au dossier syrien sont venues s’ajouter d’autres tensions qui ont opposé les deux pays. Les Français, ministres compris, n’ont pas épargné la Russie de Vladimir Poutine lors des affaires des Pussy Riot ou Gérard Depardieu, parmi d’autres. En France, les divers lobbies des droits de l’Homme ont fait de la Russie leur première cible et depuis plusieurs jours, les déclarations se succèdent pour exhorter François Hollande à se faire l’apôtre de la démocratie dans une Russie souvent qualifiée de dictature.
Les tribunes se succèdent
Dans une tribune publiée dans le quotidien Libération, la présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, Souhayr Belhassen, le président de la Ligue des droits de l’Homme, Pierre Tartakowski, la président d’Amnesty International-France, Geneviève Garrigos et le président de l’association Russie-Libertés, Alexis Prokopiev, ont enjoint le président français à renouveler un appel lancé le 25 décembre 2011, alors qu’il était encore candidat à la présidentielle.
« Le 25 décembre 2011, François Hollande, alors candidat à la présidence de la République, appelait Vladimir Poutine à « prendre toute la mesure de l’exigence démocratique » demandée aux autorités russes par les dizaines de milliers de manifestants qui défilaient, défiant le froid et le régime à Moscou. A cette occasion, il avait déclaré : « La Russie doit ainsi prendre toute la place qui lui revient dans les équilibres européens et dans la construction d’une communauté internationale fondée sur les principes du respect des droits de la personne, des libertés publiques, de l’indépendance des médias et de l'état de droit auxquels elle a souscrit. »
Nous espérons que les échanges entre les deux hommes, cette semaine, n’écarteront pas la nécessaire « exigence démocratique » que M. Hollande réclamait en 2011, » ont déclaré les quatre auteurs de la tribune.
Des libertés civiles bafouées
« Depuis la dernière rencontre entre M. Hollande et M. Poutine, en juin 2012 à Paris, la situation ne s’est malheureusement pas améliorée en Russie. Bien au contraire, plusieurs ONG indépendantes soulignent un recul important – en termes de libertés civiles et politiques – des droits humains et de la liberté d’expression. Les arrestations d’opposants politiques, suivies de procès inéquitables et de condamnations iniques, se sont multipliées au cours de l’année. Plusieurs manifestations ont été interdites ou très limitées. La pression s’est accrue sur les médias avec plusieurs changements dans les équipes dirigeantes de différents journaux, » poursuivent-ils avant d’ajouter, « Nous savons que les échanges avec le régime russe sont cruciaux pour les relations économiques, commerciales et diplomatiques de la France et de l’Union européenne. Pour autant, nous demandons de ne pas oublier « l’exigence démocratique » qui est chère au président de la République. Il est extrêmement important de faire comprendre au pouvoir en place en Russie qu’il est urgent de libérer les prisonniers politiques qui croupissent dans les prisons […] Il est aussi indispensable de montrer à Vladimir Poutine que la France et la communauté internationale sont fermes sur leurs positions en demandant le respect des libertés fondamentales en Russie. »
Soutenir une intervention de l’ONU en Syrie
L’organisation Human Rights Watch, dans une déclaration publiée mardi 25 février, a également interpellé le président Hollande afin qu’il envoie un message clair à son homologue russe. « Le président de la France, François Hollande, devrait exhorter son homologue de Russie,Vladimir Poutine, à renoncer à la répression de la société civile actuellement menée par son administration et à l'érosion des droits humains. »
Pour l’ONG, François Hollande devrait « également presser les autorités russes d’agir face au lourd tribut payé par la population civile dans le cadre du conflit en Syrie, notamment en soutenant une intervention du Conseil de sécurité des Nations unies afin qu’il impose un embargo sur les armes destinées au gouvernement syrien, saisisse la Cour pénale internationale (CPI) de la situation en Syrie et exige que la Syrie autorise l'aide humanitaire à entrer dans le pays. »