Le nucléaire français menacé par sa dépendance à la Russie

Le nucléaire a longtemps été le fer de lance de l’indépendance énergétique française. Pourtant, derrière son rôle central dans la production d’électricité, des défis majeurs mettent aujourd’hui cette filière sous pression. La guerre en Ukraine, les tensions géopolitiques et les lacunes industrielles nationales exposent la France à des fragilités inédites, remettant en question sa capacité à rester souveraine dans ce secteur stratégique.

Ade Costume Droit
Par Adélaïde Motte Publié le 24 janvier 2025 à 8h04
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nucléaire, edf, centrale, livret A, épargne, CDC - © Economie Matin
86,9%Le nucléaire représente 86,9 % de la production d'électricité d'EDF

Depuis les années 1970, la France a bâti un parc nucléaire d’une efficacité remarquable. Ce modèle repose notamment sur un cycle du combustible dit « fermé ». Contrairement à d’autres pays qui se contentent de stocker les combustibles usés, la France s’est dotée d’une stratégie permettant de les retraiter. Cette méthode offre deux avantages essentiels : réduire les déchets radioactifs et réutiliser une partie des matières pour produire de nouveaux combustibles, comme le MOX, qui alimente aujourd’hui 10 % des réacteurs français. Cependant, si ce système est un exemple d’innovation, il dépend d’une étape clé réalisée à l’étranger : l’enrichissement de l’uranium de retraitement.

Actuellement, l’uranium usé est envoyé en Russie pour y être ré-enrichi. Cette opération se déroule dans l’usine de Seversk, exploitée par l’entreprise publique Rosatom. Ce partenariat est stratégique pour la filière nucléaire française, car seule cette usine dispose des capacités techniques nécessaires pour effectuer la totalité de l’opération. Une fois ré-enrichi, cet uranium revient en France pour alimenter certains réacteurs.

Depuis le début du conflit, les sanctions internationales imposées à Moscou n’ont pas touché le secteur nucléaire civil, en raison de son importance pour de nombreux pays européens. Toutefois, cette situation pourrait changer. Le transport de ces matières sensibles entre la France et la Russie est un point particulièrement vulnérable. Ces échanges dépendent de navires russes spécialisés, qui sont assurés par des compagnies elles-mêmes sous pression des sanctions occidentales. Elles ont d’ailleurs déjà été ciblées par des sanctions américaines et britanniques. Si ces assureurs étaient ciblés par de nouvelles sanctions de l’Union européenne, cela bloquerait toute la logistique nécessaire au recyclage du combustible français. Cette perspective inquiète les acteurs du secteur, car une rupture de cette chaîne entraînerait une accumulation des stocks d’uranium usé en France, déjà estimés à près de 30 000 tonnes sur le site de Tricastin. Mais outre l’accumulation d’uranium et ses risques, cette situation entraînerait une hausse généralisée des coûts de l’ensemble de la filière nucléaire et un risque pour la production d’énergie.

En parallèle, la France doit composer avec ses propres limites industrielles. Bien qu’elle dispose d’une expertise reconnue, certaines étapes critiques du cycle nucléaire ne peuvent être réalisées sur son territoire. L’usine Georges-Besse II à Tricastin, par exemple, assure l’enrichissement de l’uranium naturel, mais elle n’est pas équipée pour traiter l’uranium de retraitement. Cela oblige EDF et ses partenaires à externaliser cette étape, renforçant une dépendance à des partenaires étrangers.

La question des technologies de pointe, comme les réacteurs à neutrons rapides, est également au cœur des discussions. Ces réacteurs, capables de valoriser intégralement l’uranium appauvri et de recycler plusieurs fois les combustibles usés, représentent une solution prometteuse pour réduire les déchets tout en augmentant l’efficacité du cycle. La Russie exploite déjà ce type de réacteur avec le modèle BN-800, tandis que la France, autrefois en avance dans ce domaine, a arrêté ses projets dans les années 1990 et 2010, notamment le réacteur Superphénix. Relancer un tel programme nécessiterait des investissements massifs, mais offrirait une véritable autonomie technologique et logistique à la filière nucléaire du pays.

Si la question survient aujourd’hui, c’est que la guerre en Ukraine a agi comme un révélateur des fragilités françaises. Les tensions internationales et les hausses du prix de l’uranium, qui a atteint 100 dollars la livre en 2024, accentuent l’urgence de trouver des solutions durables. Si la France veut conserver son indépendance énergétique, elle doit investir pour combler ses lacunes industrielles et technologiques. L’annonce récente d’Orano, qui prévoit d’augmenter les capacités d’enrichissement de Tricastin d’ici 2028 grâce à un investissement de 1,7 milliard d’euros, est une avancée, mais elle ne résout pas tous les problèmes. Il faudra également repenser les infrastructures de retraitement et de recyclage, et relancer des projets pour sécuriser le cycle du combustible.

Au-delà des questions techniques, la dimension géopolitique est incontournable. La dépendance française à la Russie pour le recyclage de l’uranium est un risque stratégique, dans un contexte où les relations entre l’Europe et Moscou se dégradent. Diversifier les partenaires internationaux pourrait être une solution, mais cela nécessiterait des années de négociations et de nouvelles infrastructures.

Pour autant, le nucléaire reste une pièce maîtresse du paysage énergétique français. Il assure aujourd’hui plus de 70 % de la production d’électricité du pays et contribue à ses objectifs climatiques grâce à ses faibles émissions de gaz à effet de serre. Mais pour que cette filière continue de jouer ce rôle central, il est impératif de garantir son autonomie. Cela passe par une mobilisation collective : des investissements publics et privés, un soutien politique clair, et une coopération renforcée entre les acteurs industriels.

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Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

2 commentaires on «Le nucléaire français menacé par sa dépendance à la Russie»

  • HARTMANN Didier

    Vous êtes mal renseignés : l’usine GB2 à Tricastin dispose des autorisations pour enrichir de l’uranium de retraitement sur quelques lignes. Ce qui manque à la France, c’est l’étape de conversion de l’URT de U3O8 en UF6, qui était en partie réalisé par Areva jusqu’à la fin des années 1990, mais ces installations sont définitivement arrêtées.

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  • Bairanguer

    Évidemment la France fait connerie sur connerie pourquoi tourner le dos à la Russie à cause de l’Ukraine ? Ça nous apporte quoi ! Rien ! On se tire une balle dans le pied ! La Russie n’est pas pire que les USA qui pourrissent la planète avec leur libéralisme honteux et leurs idées libertaires suicidaires n’oublions pas que ce pays n’à pas d’histoire si ce n’est qu’il n’est composé à la base d’aventuriers et de rébus de la société qui à entériner un génocide commencé par Christophe Colomb…

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