Le vote du Parlement européen autour du paquet omnibus a déclenché un séisme politique et réglementaire. En modifiant en profondeur les obligations de devoir de vigilance et de reporting imposées aux entreprises, l’Union européenne recompose ses priorités.
Omnibus : l’Europe revoit à la baisse le devoir de vigilance

Le 13 novembre 2025, les députés ont adopté la position du Parlement sur le paquet omnibus, une réforme structurante destinée à réduire la charge réglementaire supportée par les entreprises dans l’Union européenne. Ce vote, attendu depuis des semaines, survient après un rejet initial et une recomposition des équilibres politiques. Il redéfinit le périmètre du devoir de vigilance dans un contexte où le débat sur la compétitivité et la responsabilité environnementale occupe une place centrale.
Omnibus : une réforme pensée pour simplifier, mais qui redéfinit le devoir de vigilance
Le paquet omnibus est présenté par la Commission européenne en février 2025 avec une ambition affichée : alléger les exigences pesant sur les entreprises tout en maintenant un cadre cohérent pour la transition durable. Les dispositions proposées réduisent sensiblement le nombre d’entreprises soumises à la CSRD. Désormais, seules les sociétés dépassant 1 000 salariés et 450 millions d’euros de chiffre d’affaires net doivent publier un reporting complet. Selon des documents officiels du Parlement, il s’agit de concentrer l’obligation sur les acteurs les plus structurés et de diminuer les obligations administratives, ce qui modifie déjà l’équilibre général de la réglementation.
De la même manière, la CSDDD, pilier du devoir de vigilance européen, est profondément remaniée. Le texte adopté limite son champ aux entreprises de plus de 5 000 salariés ou réalisant plus de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires. Une zone intermédiaire, la « landing zone », impose certaines obligations dès 1 750 salariés et 450 millions d’euros. Pour Jörgen Warborn, négociateur du groupe PPE, cette orientation est assumée. Il déclare que « nous avons remis la compétitivité à l’agenda et montré que l’Europe peut être à la fois durable et compétitive », selon son intervention reprise par Euractiv.
Le vote : un basculement politique soutenu par l’extrême-droite
Le premier épisode majeur de ce dossier survient le 22 octobre 2025. Les députés rejettent alors le mandat de négociation initial : 309 voix pour, 318 contre et 34 abstentions. Ce rejet, inhabituel pour un texte de ce type, signale l’existence d’un clivage profond autour de l’omnibus, les écologistes, une partie des socialistes et des libéraux refusant un allègement jugé excessif du devoir de vigilance.
Moins d’un mois plus tard, tout bascule. Le 13 novembre 2025, le Parlement adopte sa position finale, avec 382 voix pour, 249 contre et 13 abstentions. Selon plusieurs observateurs, ce revirement devient possible grâce à une alliance inédite entre le PPE et plusieurs formations d’extrême-droite. Ce rapprochement constitue, pour Euractiv, « la coordination la plus significative à ce jour entre le centre-droit et la droite radicale ». Il rompt avec les pratiques habituelles du Parlement où un « cordon sanitaire » empêchait jusqu’ici ce type d’accords.
Une directive omnibus qui réduit le périmètre de responsabilité des entreprises
Au-delà de sa dimension politique, le vote omnibus reconfigure profondément le devoir de vigilance. La réduction du périmètre du reporting extra-financier exclut désormais un grand nombre d’entreprises initialement concernées. Les acteurs de taille intermédiaire, souvent impliqués dans des chaînes de valeur étendues, ne devront plus détailler leurs impacts environnementaux et sociaux. Pour les ONG spécialisées, cela constitue une régression importante. Certaines rappellent que ces obligations permettaient de documenter des risques parfois invisibles dans les premiers rangs de la sous-traitance.
La révision de la CSDDD suit la même logique. En concentrant la diligence sur les grandes structures de plus de 5 000 salariés, l’Union réduit mécaniquement son influence sur les violations potentielles situées en amont des chaînes. Plusieurs analyses soulignent que les entreprises ne seront plus tenues d’établir systématiquement des plans de transition climatique, affaiblissant ainsi la portée environnementale du dispositif. Cette transition est particulièrement préoccupante pour les organisations de protection de l’environnement. WWF Europe alerte que les lois « qui offraient espoir, sécurité et promesse d’un avenir plus durable » se trouvent vidées de leur substance. L’organisation y voit un recul symbolique, mais aussi opérationnel, dans un contexte où la visibilité des impacts globaux est indispensable.
Cette réduction de portée a également des implications économiques. En diminuant la pression réglementaire, l’omnibus cherche à favoriser la compétitivité internationale des entreprises européennes. Toutefois, certains spécialistes du devoir de vigilance estiment que cette stratégie fragilise l’effet d’entraînement de l’Union sur les normes mondiales. En se désengageant partiellement de ses ambitions initiales, l’Europe pourrait réduire son rôle de référence en matière de durabilité.
Un futur incertain à l’approche des trilogues
Pour les entreprises, l’issue du vote omnibus apporte un soulagement immédiat. Le périmètre plus restreint limite les reporting chronophages et concentre les efforts de conformité sur les organisations les plus importantes. Cependant, cette simplification ne supprime pas la nécessité de surveiller les risques au sein des chaînes de valeur. Les États membres devront transposer les dispositions finales, ce qui pourrait entraîner une fragmentation encore plus marquée si les trilogues aboutissent à un compromis hybride.
