Le virage brut de l’OPEP+ vers une réduction de sa production

La réduction de la production de pétrole brut décidée par l’OPEP+ n’aurait pas dû prendre les marchés de court, malgré un calendrier surprenant. Cette baisse intervient dans un contexte d’offre excédentaire sur le marché pétrolier alors même que la demande mondiale montre des signes de ralentissement. Le budget intérieur de l’Arabie saoudite repose sur l’hypothèse d’un prix du baril de brut de 75 USD environ, et à la suite de récentes turbulences financières, les investisseurs ont redirigé leur attention vers les perspectives de récession aux États-Unis, ce qui a entraîné un glissement du cours du pétrole.

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Par Stéphane Monier Publié le 13 avril 2023 à 5h00
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60 DOLLARSLe prix du pétrole russe a été plafonné à 60 dollars le baril.

En mars 2023, le cours du Brent a chuté à 73 USD/baril, son niveau le plus bas depuis décembre 2021, reflétant les craintes de voir l’instabilité du secteur bancaire éroder la croissance mondiale et la demande d’énergie. Le mois dernier, le gouvernement américain a annoncé son intention de libérer du pétrole brut de sa réserve stratégique au deuxième trimestre 2023, ce qui a exacerbé une offre excédentaire, tandis que le gouvernement français a puisé dans ses réserves pour contrer l’impact des grèves. La production mondiale de pétrole brut se maintient autour de 100 millions de barils par jour (bpj) depuis mi-2022.

L’OPEP+, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole plus la Russie, a annoncé le 2 avril une réduction volontaire de sa production de pétrole de 1,15 million de bpj, effective dès le mois de mai 2023 jusqu’à la fin de l’année. La moitié de cette réduction sera effectuée par l’Arabie saoudite, qui a qualifié cette décision de « mesure de précaution visant à soutenir la stabilité du marché pétrolier ». Depuis cette annonce, le cours du pétrole a bondi à quelque 85 USD/baril avant de reculer à environ 80 USD/baril. Le consensus des analystes concernant le prix du brut le situe désormais autour de 93 USD/baril à fin 2023. Notre estimation est de 90 USD/baril.

En pratique, le cartel pourrait avoir du mal à mettre en œuvre ces réductions. Pas plus tard qu’en octobre 2022, l’OPEP+ a annoncé une diminution de sa production de deux millions de bpj, mais n’en a concrétisé que la moitié environ. En raison d’investissements insuffisants, la production de certains membres du groupe, dont l’Irak, est déjà inférieure à leurs quotas. La Russie, le membre « plus » de l’OPEP, a réduit sa production de 300 000 bpj en mars, alors qu’elle s’était fixé un objectif de 500 000 bpj. En conséquence, les marchés estiment que cette récente réduction décidée par l’OPEP+ se traduira par une baisse nette de la production plus proche de 700 000 bpj, ce qui signifie un total d’environ un million de bpj en moins affluant de l’OPEP+ vers le marché pétrolier dès le mois de mai.

La récente tourmente bancaire nous a rappelé que ce qui se passe dans la Silicon Valley ne reste pas dans la Silicon Valley. Les crises ont toujours un impact sur les marchés pétroliers. Dernièrement, les marchés ont craint que le stress bancaire ne ralentisse encore l’économie mondiale, affaiblissant ainsi la demande de pétrole. Les répercussions de la pandémie de Covid ont été un exemple spectaculaire de revirement de la demande, poussant le prix du baril de brut à un sommet de 122 USD en juin 2022. Comme lors de la grande crise financière de 2008, ces prix ont clairement fait reculer la demande de pétrole brut.

Le défi des ventes à découvert

Entretemps, l’Organisation a indiqué que les positions spéculatives de vente à découvert sur le pétrole, pariant sur une baisse du prix du brut, s’étaient accumulées au point que même la nouvelle d’un tassement des livraisons n’était pas parvenue à faire bouger les prix. L’OPEP+ a déjà été confrontée à cette situation. En septembre 2020, le prince Abdulaziz bin Salman Al Saud, ministre saoudien de l’énergie, avait promis que les investisseurs vendant à découvert sur le marché pétrolier « souffriraient l’enfer ». À l’époque, le Brent se négociait autour de 43 USD/baril.

L’OPEP+ s’efforce de maintenir les prix dans une fourchette relativement étroite. Le prix « plancher » relativement élevé d’environ 80 USD/baril suggère que le cartel cible un prix du pétrole entre 80 et 90 USD/baril, une fourchette fiscalement viable pour l’Arabie saoudite, tout en évitant la destruction de la demande. Le budget du pays et les projets visant à réduire la dépendance de son économie à l’égard du pétrole supposent un prix moyen du brut à long terme d’environ 75 USD/baril. Les marges de raffinage, c’est-à-dire la différence entre le prix du brut et celui des produits raffinés, ont diminué tout en restant relativement élevées, entre 25 et 30 USD/baril.

Le 5 avril 2023, trois jours après l’annonce de l’OPEP+, l’agence de notation Fitch a relevé la note de crédit de l’Arabie saoudite de « A » à « A+ », avec une perspective stable, en raison de l'amélioration significative du budget et de la balance externe et de « certains signes » indiquant que sa dépendance à l’égard des recettes pétrolières s’améliore. Grâce à la hausse du cours du pétrole, l’Arabie saoudite a affiché un excédent budgétaire en 2022, le premier depuis 2013.

Néanmoins, si l’offre pétrolière des pays non membres de l’OPEP devait augmenter, la décision du cartel visant à réduire la production de brut pourrait provoquer la répétition des erreurs politiques des années 1980. À l’époque, après une série de chocs pétroliers, l’Organisation avait dû abandonner ses efforts de diminution de la production, qui avaient stimulé l’offre de pétrole chez ses rivaux, y compris les États-Unis. Actuellement, l’OPEP+ représente un peu moins de 40% de la production mondiale de pétrole, alors que ses membres détiennent jusqu’à 80% des réserves mondiales. Pourtant, il semble probable qu’avec le « pic de production pétrolière » attendu ces prochaines années (les estimations varient), la production américaine de schiste ait déjà atteint son maximum, tandis que de nombreux autres producteurs de pétrole ont sous-investi dans les sites de production. Aujourd’hui, l’OPEP+ doit faire face à des défis très différents, du fait que les économies s’efforcent de réorienter leur consommation d’énergie vers des solutions plus durables.

« Non constructif »

Historiquement, la demande de pétrole était considérée comme un indicateur important des perspectives de croissance économique mondiale. La réaction immédiate des marchés suite à la décision de l’OPEP+ a été de s’inquiéter de ses conséquences sur la lutte contre l’inflation. La secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, a qualifié cet acte « de non constructif à un moment où il importe de maintenir les prix de l’énergie à un niveau bas ». Cependant, nous ne pensons pas qu’une légère hausse du prix du pétrole puisse enrayer la tendance désinflationniste mondiale, à moins qu’ils ne s’approchent des 100 USD/baril. La trajectoire des marchés du travail constitue un facteur beaucoup plus important dans le combat contre l’inflation.

D’un point de vue macroéconomique, à moins que l’économie mondiale ne doive confronter d’autres sources d’instabilité durant 2023, la persistance de l’inflation américaine dans les services et un marché de l’emploi très tendu suggèrent que la Réserve fédérale maintiendra sa politique monétaire restrictive, entraînant un ralentissement de la croissance et une hausse du chômage, ce qui se traduira par des épisodes récessifs plus tard dans l’année.

C’est pourquoi nous maintenons des expositions neutres au risque, à un panier diversifié de matières premières et au secteur de l’énergie dans les portefeuilles de nos clients. Les entreprises du secteur de l’énergie font face à un changement structurel dans un contexte d’accélération de la transition durable. À court terme, la décision de l’OPEP+ de baisser sa production de pétrole devrait favoriser des valorisations plus attractives, et nous continuons à suivre de près les conditions sur le marché de l'énergie.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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