Santé : réduire le bruit des avions, décibel par décibel

Les progrès réalisés dans l’aéronautique promettent d’aider un jour de nombreuses personnes à mieux dormir, en Europe comme ailleurs.

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Par Horizon Publié le 18 février 2024 à 20h00
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147 MILLIARDS €La pollution sonore coûte 147 milliards d'euros chaque année à la France.

Mi-décembre 2023, une manifestation organisée en Irlande a montré à quel point la population souffre du bruit causé par les avions commerciaux. Les manifestants se sont rassemblés devant les bureaux du comté où l’Autorité aéroportuaire de Dublin (DAA) devait discuter d’un projet d’expansion.

«Wrong way DAA!» (la DDA a tout faux) scandaient les manifestants

Des temps difficiles

Ces réactions sont monnaie courante en Europe, alors que les aéroports cherchent à accroître leurs activités et que les riverains demandent que des efforts soient faits pour réduire les nuisances sonores liées au décollage et à l’atterrissage des avions de ligne. En septembre, l’aéroport de Schiphol, aux Pays-Bas, a dû réduire ses vols en raison de problèmes de bruit, au grand dam des compagnies aériennes qui ont vu leurs résultats financiers chuter.

Cette tension entre les intérêts commerciaux et ceux de la population a incité des chercheurs à étudier des moyens de faire en sorte que les avions puissent voler plus silencieusement. Avec quelque 30 000 vols par jour en Europe, prévenir les problèmes de santé est une des principales motivations des équipes de recherche.

«Les avions font beaucoup de bruit, surtout au décollage mais aussi à l’atterrissage», a déclaré le docteur Werner Haase, consultant allemand en aéronautique et expert en aérodynamique, titulaire d’un doctorat de l’Université technique de Berlin. «Si vous dormez et qu’un avion passe au-dessus de votre maison, c’est très gênant. L’impact social de ce type de bruit est assez élevé.» 

Même si les avions sont devenus environ 75 % plus silencieux au cours des trente dernières années et si le transport routier génère beaucoup plus de bruit que l’aviation, l’augmentation du trafic aérien a entraîné des nuisances sonores qui gênent un grand nombre de personnes.

En Europe, 22 millions de personnes souffrent d’une «importante gêne chronique» due au bruit ambiant, notamment à celui des avions, selon la Commission européenne, qui cite des troubles associés tels que les maladies cardiovasculaires, le stress et les acouphènes. 

Elle indique que 12 000 décès prématurés sont causés chaque année par une exposition prolongée au bruit ambiant et que 12 500 écoliers souffrent de difficultés d’apprentissage en raison du seul bruit des avions. 

Selon l’Organisation mondiale de la santé, la pollution sonore est la deuxième cause environnementale de problèmes de santé après la contamination de l’air.

Par le biais de son «plan d’action zéro pollution» mis en place en 2021, la Commission a pour but de réduire de 30 % la part des personnes gênées de façon chronique par le bruit des transports au cours de cette décennie. 

Volets et becs de bord d’attaque

Un projet financé par l’UE intitulé INVENTOR souhaite rendre les atterrissages moins intrusifs pour les riverains des aéroports. Ses recherches portent sur le train d’atterrissage, les volets arrière et les becs avant des ailes.

Lorsqu’un avion approche d’un aéroport, le train d’atterrissage est sorti et les volets et les becs sont déployés pour augmenter la portance à basse vitesse, d’après le docteur Eric Manoha, chef de l’unité de recherche en aéroacoustique computationnelle à l’ONERA, un centre de recherche aérospatiale français. 

«Les avions amorcent progressivement leur descente en empruntant un itinéraire standardisé», a-t-il expliqué. «Cela signifie qu’ils survolent constamment les mêmes habitations à basse altitude.»

M. Manoha dirige le projet INVENTOR, qui a débuté en mai 2020 et se poursuivra jusqu’à fin octobre 2024.

Réunissant les grands avionneurs européens Airbus et Dassault et le fabricant de trains d’atterrissage Safran Landing Systems, il s’intéresse au bruit produit par les volets et les becs des ailes ainsi que par le train d’atterrissage.

Si les moteurs d’avion sont une importante source de pollution sonore au décollage, rendre les volets, les becs et le train d’atterrissage plus silencieux peut contribuer à améliorer considérablement la situation en phase d’approche et d’atterrissage, moment où les moteurs sont moins bruyants.

«Environ 30 à 50 % du bruit produit par un avion durant ces phases de vol provient de la cellule, et non du moteur», a ajouté M. Manoha.

Flux d’air

L’équipe INVENTOR teste et prévoit de proposer à l’industrie aéronautique une série de modifications de conception visant à réduire les niveaux de décibels.

La première consiste à placer une structure poreuse passive devant le train d’atterrissage afin de modifier le flux d’air interagissant avec la structure et d’atténuer le bruit produit. 

Une autre solution consiste à installer sur le train d’atterrissage un dispositif actif qui détournerait le flux d’air. Ceci aurait pour effet de créer un «rideau d’air» qui, une fois encore, réduirait le bruit émis.

Le train d’atterrissage doit également être pris en compte lorsqu’on tente de réduire le bruit des volets sortis à l’atterrissage et au décollage pour augmenter la portance et la traînée. 

«Le sillage du train d’atterrissage impacte les volets », a expliqué M. Manoha. «Cela génère du bruit.»

L’équipe du projet place un matériau poreux sur le volet pour réduire le bruit généré par l’air qui circule autour de lui. Elle étudie aussi les possibilités de réduire le bruit des becs en utilisant des matériaux poreux, ainsi que le bruit généré par les dispositifs mécaniques utilisés pour déployer les becs.  

Moins de décibels

Pour obtenir des avions plus silencieux, il faudra cumuler les effets de différentes améliorations de ce type et non adopter une seule d’entre elles.

À titre d’exemple, la dernière génération d’avions à fuselage étroit génère entre 75 et 80 décibels lors de l’atterrissage. 

«Nous visons une réduction de un à trois décibels par élément de la cellule», a déclaré M. Manoha. «Chaque pas en avant est un progrès.»

Quoi qu’il en soit, les riverains des aéroports européens devront encore patienter. Bien que certaines technologies puissent être installées sur les avions existants, une réelle amélioration ne pourra être constatée qu’au moment de la commercialisation de la prochaine génération d’avions de ligne.

Bruit de moteur

Un autre projet financé par l’UE, lui aussi dirigé par M. Haase, et qui vient de s’achever, a abordé le problème de manière plus large. 

Intitulé DJINN, le projet a amélioré les méthodes de simulation utilisées par les constructeurs aéronautiques pour prédire le niveau de bruit de leurs avions. Mené de juin 2020 à novembre 2023, il a fait appel à des méthodes numériques avancées et un calcul haute performance pour prédire les écoulements de fluides et améliorer les performances aérodynamiques et acoustiques des avions. 

Ses résultats aideront les constructeurs d’avions à expérimenter plusieurs options de conception pour réduire le bruit.

«Ces méthodes sont devenues plus précises que celles utilisées actuellement par l’industrie pour calculer le niveau sonore», a déclaré M. Haase. «C’est quelque chose que réclame l’industrie car elle veut améliorer ses équipements.»

Contrairement à INVENTOR, le projet DJINN a étudié le bruit généré à la fois par les moteurs et la cellule. Il a pour cela impliqué les constructeurs de moteurs d’avion Rolls-Royce et Safran Aircraft Engines.

Capots moteur

L’un des changements possibles envisagés par l’équipe du projet DJINN est de donner une forme irrégulière à la sortie du moteur. Il a été démontré lors d’essais que les capots dentelés réduisent le bruit des moteurs d’avion. Ils équipent d’ailleurs déjà certains modèles de Boeing. 

Jusqu’à présent, Airbus n’a pas souhaité équiper ses appareils de capots moteur dentelés, invoquant un manque d’efficacité à réduire le bruit. 

D’autres options, comme l’utilisation de volets poreux, existent pour réduire le bruit.

«Tous ces dispositifs ont leurs avantages et leurs inconvénients», a déclaré M. Haase. «Reste à savoir lequel est préférable.»

Quoi qu’il en soit, même si les changements apportés aux avions eux-mêmes ne sont pas encore pour demain, MM. Haase et Manoha sont optimistes quant aux perspectives de réduction des nuisances sonores générées par les avions, compte tenu des progrès réalisés dans la recherche. 

Dans ce contexte, le secteur du transport aérien a de plus en plus intérêt à introduire des changements rapides car les aéroports européens calculent de plus en plus les frais d’atterrissage et de décollage en fonction des niveaux de bruit des avions.

Cette pratique est le résultat de l’un intérêt croissant pour les questions environnementales et des manifestations publiques telles que celle organisée le mois dernier en Irlande. 

«Le bruit des avions perturbe la vie quotidienne de certaines personnes», a déclaré M. Manoha. «Les nouvelles technologies peuvent nous aider à réduire ce problème.»

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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