T+1 : le prochain stress test des asset managers français

Après les États-Unis en 2024, l’Europe a fixé la date : 11 octobre 2027. À partir de ce jour, toutes les transactions en actions et obligations devront être réglées en T+1, au lieu de T+2.

Julien Meyfret
By Julien Meyfret Last modified on 8 octobre 2025 6h28
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T+1 : le prochain stress test des asset managers français - © Economie Matin
0,3%L'OCDE a revu à la hausse de 0,3% la croissance mondiale pour 2025.

À première vue, un simple ajustement technique. Dans les faits ? Un bouleversement complet des équilibres de change (FX). Les asset managers français, fortement dépendants des flux internationaux et de leurs custodians, sont les plus exposés.

Le risque n'est pas seulement opérationnel. Il s'agit avant tout de gouvernance et de responsabilité fiduciaire.

1. Le nouveau paradigme T+1

Passer de 48 heures à moins de 24 heures transforme radicalement la mécanique post-trade :

• Compression du temps de couverture : la fenêtre pour exécuter les ordres FX se réduit à quelques heures.

• Dépendance aux cut-offs des custodians : le moindre décalage devient critique.

• Décalages horaires : un trade US exécuté en fin de journée doit être couvert avant que les confirmations ne soient disponibles.

Moins de temps, plus de risques.

Pourquoi le FX est-il au cœur du dispositif ? Parce qu'il est le point de passage obligé qui conditionne l'ensemble de la chaîne post-trade :

• **Collatéral management** : Un fail FX retarde la livraison de titres, ce qui déclenche des appels de marge imprévus et désorganise la gestion du collatéral.

• **Souscriptions/rachats** : Les délais de règlement des fonds (T+2/T+3) ne s'alignent plus avec le T+1 des titres. Un retard FX bloque les rachats et impacte la liquidité.

• **Valorisation des fonds** : La NAV dépend de la capacité à couvrir les positions à temps. Un slippage FX de quelques points de base se répercute directement sur la performance.

• **Gestion de trésorerie** : Les cash buffers des UCITS (5-10%) deviennent insuffisants si les flux FX ne sont pas anticipés avec précision.

En résumé : le FX n'est pas un sujet isolé. C'est le goulot d'étranglement qui, s'il dysfonctionne, désorganise l'ensemble de la chaîne opérationnelle et fiduciaire.

2. Un vendredi après-midi chez un asset manager

16h30, Paris. Votre trader confirme un achat d'actions US de 50M$. Lundi est férié aux États-Unis. Votre custodian exige l'instruction FX avant 18h pour respecter les cut-offs CLS.

Problème : votre middle-office attend encore la confirmation du broker. Votre procédure habituelle ? Attendre la confirmation, puis lancer le FX. Sous T+2, vous aviez jusqu'au lendemain matin. Sous T+1, vous avez 90 minutes.

Les questions opérationnelles concrètes :

• Qui prend la décision de couvrir sans confirmation formelle ?

• Quel niveau de risque votre Compliance accepte-t-elle ?

• Que se passe-t-il si la confirmation arrive différente de l'ordre initial ?

• Combien coûte une couverture d'urgence à 17h55 avec des spreads élargis ?

**Et ce n'est que le scénario simple.** En réalité, sous T+1, vous devrez également gérer les exécutions partielles : votre ordre de 50M$ ne se remplit qu'à hauteur de 35M$ en fin de journée. Couvrez-vous les 35M$ immédiatement, ou attendez-vous le fill final demain ? Si vous attendez, vous prenez un risque FX overnight. Si vous couvrez maintenant et que les 15M$ restants ne s'exécutent jamais, vous avez une position FX orpheline à dénouer. **Sous T+2, ces ajustements se faisaient le lendemain matin avec visibilité complète. Sous T+1, vous décidez à l'aveugle, en temps réel, avec des spreads de fin de journée.**

Ce scénario, anecdotique en T+2, deviendra quotidien en T+1. Et il se reproduira sur chaque trade international, chaque vendredi avant un jour férié, chaque fin de trimestre.

La vraie question : vos procédures opérationnelles sont-elles documentées pour ces cas ? Vos équipes savent-elles qui décide, à quel coût, avec quelle autorisation ?

3. Les risques concrets pour les asset managers

Type de risque Conséquence post-T+1 Impact chiffré
Fails de règlement Hausse mécanique du risque d'échec, déjà autour de 6-8% sur les actions en zone euro (Banque de France) Expérience US : passage de 2% à 5% de fails
Coûts & performance Slippage accru, couverture forcée, impact sur la NAV 3-5 bps supplémentaires sur 1Md€ = 300-500k€/an
Réglementaire L'AMF et l'ESMA scruteront la capacité à limiter les fails et à documenter la préparation Pénalités CSDR + obligation de reporting
Réputation Perte de crédibilité face aux clients institutionnels et contreparties Risque de redemption  + perte de mandats institutionnels

4. Le FX au centre de la feuille de route européenne

La feuille de route publiée en juin 2025 par l'ESMA et la Commission européenne est claire¹ :

• Les acteurs de marché doivent planifier avec leurs custodians ou tiers pour exécuter et régler leurs transactions FX dans les temps.

• L'augmentation des règlements partiels devrait impacter les besoins FX.

• Les flux FX hors PvP doivent réduire le risque de règlement conformément au FX Global Code.

• Les transactions FX doivent être transmises à CLS avant minuit (jour de trade).

• La réduction du cycle nécessitera l'automatisation et l'élimination des interventions manuelles.

• Les cycles de règlement des fonds (T+2/T+3) risquent de ne pas s'aligner avec le T+1 des titres.

Chaque point met en lumière une réalité simple : les process manuels et les approches traditionnelles seront insuffisants.

5. Le gap entre stratégie et exécution

Le constat terrain : la plupart des asset managers ont déjà lancé des analyses d'impact globales. Les grands cabinets de conseil réalisent un travail essentiel en cartographiant l'ensemble des impacts T+1 : réglementaire, IT, opérations, risques, conformité.

Ces analyses sont indispensables. Elles offrent une vision stratégique complète et identifient les priorités au niveau de l'organisation.

Mais ensuite ? Une fois le diagnostic global posé, comment traduire ces recommandations en actions opérationnelles concrètes, notamment sur le point critique du FX ?

Les cabinets produisent des feuilles de route stratégiques. Vos custodians affirment qu'ils seront prêts. Entre les deux, il reste une question : qui s'assure que VOS cut-offs, VOS workflows, VOS équipes sont réellement alignés et testés ?

Exemple concret : votre analyse d'impact recommande "d'automatiser les instructions FX" et "de revoir les SLA avec les custodians". Recommandations parfaitement pertinentes. Mais concrètement :

• Quelle solution technologique pour votre volume et votre complexité spécifique ?

• Quel délai d'implémentation réaliste avec vos équipes actuelles ?

• Quel plan B si l'automatisation n'est pas prête pour octobre 2027 ?

• Comment documenter l'indépendance opérationnelle vis-à-vis de votre custodian pour répondre aux exigences fiduciaires ?

C'est précisément là qu'intervient le besoin d'une expertise opérationnelle spécialisée : transformer le diagnostic stratégique en playbook exécutable, tester les procédures concrètes, et documenter la préparation pour les régulateurs et investisseurs.

Les deux approches sont complémentaires, pas concurrentes. L'une donne la direction, l'autre assure l'exécution. Et sur un sujet aussi technique que le FX post-trade, l'exécution fait toute la différence.

6. Pourquoi une approche complémentaire est nécessaire

Les diagnostics globaux T+1 sont essentiels pour identifier l'ensemble des impacts organisationnels. Mais le FX, par sa nature technique et sa criticité opérationnelle, nécessite une expertise spécialisée complémentaire :

• Les cut-offs avancés des custodians créent des contraintes opérationnelles spécifiques au FX.

• Les infrastructures de marché (CLS, PvP, settlement) requièrent une connaissance pointue des mécaniques de règlement.

• La dimension "market structure" du FX (spreads, liquidité, timing) impacte directement les coûts et la performance.

L'enjeu : disposer d'une expertise qui fait le pont entre le diagnostic stratégique global et l'exécution opérationnelle quotidienne sur le segment FX.

Vos fournisseurs vous diront qu'ils sont prêts. Mais qui audite et documente VOTRE préparation opérationnelle spécifique, celle que les régulateurs et vos clients vous demanderont de prouver ?

7. La responsabilité fiduciaire : non délégable

Le T+1 impose aux asset managers une obligation claire : démontrer qu'ils maîtrisent le risque FX.

• Les régulateurs jugeront la préparation, pas les promesses.

• Les boards et clients demanderont : "Quelles preuves avez-vous que vous étiez prêts ?"

Votre custodian peut être prêt. Votre cabinet de conseil peut avoir identifié tous les risques. Mais si VOS procédures opérationnelles ne sont pas documentées, testées et validées, c'est VOTRE responsabilité fiduciaire qui est engagée.

Le fiduciaire ne se délègue pas. C'est un devoir quotidien qui engage la gouvernance et la réputation.

8. Préparer l'impact FX : bonnes pratiques émergentes

Les méthodologies qui commencent à se déployer s'articulent en trois volets :

1. **Audit Fiduciaire FX Readiness** : scorecards détaillées et documentation formelle pour les régulateurs et investisseurs. Pas un rapport théorique, mais un stress-test de VOS process réels avec VOS équipes.

2. **Custody FX Playbook** : révision des SLA, cut-offs, standing instructions et automatisation pragmatique. Qui décide quoi, quand, à quel coût, avec quelle autorisation.

3. **Exploration de solutions émergentes** : tests, stress-tests et panorama neutre des options FX pour évaluer la robustesse opérationnelle. Indépendance vis-à-vis de vos fournisseurs actuels.

L'enjeu est simple : disposer d'une méthodologie indépendante et documentée, capable de prouver que l'asset manager a anticipé et pris en charge le risque FX.

### Focus France :

• 5 000 Md€ d'encours gérés (AMF, 2024)

• 40% investis à l'international → forte dépendance au FX

• Settlement fails zone euro : 6-8% (Banque de France)

• UCITS : 5-10% de cash buffer → inefficience amplifiée sous T+1

Le T+1 n'est pas un horizon lointain mais un compte à rebours. Dès 2026, régulateurs et clients demanderont des preuves concrètes de préparation.

**Le marché n'a pas encore perçu l'ampleur du sujet. Quand il le fera, ce sera une course aux derniers parachutes.**

Les asset managers qui stress-testent leurs workflows FX maintenant auront un avantage net sur ceux qui découvriront les problèmes en production.

La fenêtre pour anticiper se ferme. 11 octobre 2027, c'est dans 24 mois. Mais la préparation opérationnelle prend 12-18 mois.

**Les acteurs préparés dicteront leurs termes. Les autres les subiront.**

Les asset managers français doivent documenter leur maîtrise du risque FX et démontrer qu'ils ont agi.

Message central: vous restez responsables. Le fiduciaire ne se délègue pas. Entre le rapport de votre cabinet et la réalité opérationnelle de vos équipes, qui fait le pont ?

**Notes**

¹ EU T+1 Industry Committee, "High-level Roadmap to T+1 Securities Settlement in the EU", 30 June 2025. Disponible sur : https://www.esma.europa.eu/sites/default/files/2025-06/High-level_Roadmap_to_T_1_Securities_Settlement_in_the_EU.pdf

Julien Meyfret

Fondateur d'Outpost Synergy Partners

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