La Cour des comptes dénonce le poids budgétaire croissant des politiques de gratuité des transports en commun. Derrière une image attractive, ces dispositifs financés par les impôts locaux et le versement mobilité pèsent lourdement sur les finances publiques, tout en affichant des résultats mitigés sur l’écologie et la justice sociale.
Les transports en commun gratuits coûtent trop cher, la Cour des comptes alerte

Le 15 septembre 2025, la Cour des comptes a publié un rapport intitulé La contribution des usagers au financement des transports collectifs urbains. L’étude passe au crible la gratuité dans les transports en commun, en analysant ses conséquences financières, sociales et environnementales. Selon les magistrats financiers, l’enthousiasme affiché par certaines collectivités masque des effets coûteux et souvent décevants.
Le coût réel de la gratuité pour les transports en commun
La Cour des comptes rappelle d’abord que les recettes tarifaires couvraient 41 % des dépenses de fonctionnement des transports collectifs urbains en 2019. Ce taux monte à 45 % en Île-de-France, mais tombe à 33 % dans les villes de province, et même à 18 % dans les petites agglomérations de moins de 100 000 habitants. Autrement dit, l’usager ne finance directement qu'une part limitée du service, le reste reposant sur la collectivité.
Chaque déplacement en bus, tram ou métro coûte en moyenne 3,55 €, mais l’usager ne paie qu’environ 0,76 à 0,79 € une fois déduites les aides des employeurs. Le solde est pris en charge par les impôts locaux et le versement mobilité, une taxe pesant sur les entreprises de plus de 11 salariés. Or, quand une ville rend son réseau gratuit, ce sont ces financements publics qui compensent les pertes de recettes, ce qui peut représenter plusieurs millions d’euros par an.
Des exemples concrets dans les villes françaises
À Montpellier, où la gratuité totale est effective depuis fin 2023, le coût annuel pour la métropole atteint environ 30 millions d’euros. Une somme financée par une hausse du versement mobilité et par le budget général, ce qui alimente les critiques de la Cour des comptes. Selon l’institution, cette politique bénéficie davantage aux ménages déjà utilisateurs des transports en commun qu’aux automobilistes.
La situation est similaire à Dunkerque, pionnière de la gratuité intégrale depuis 2018. Là, la fréquentation a bien augmenté de 60 % dans les premiers mois, mais les magistrats relèvent que l’essentiel des nouveaux trajets correspond à des déplacements supplémentaires, et non à un report massif de la voiture vers les bus. Le coût annuel de la gratuité est estimé à 15 millions d’euros pour l’agglomération.
À Niort, la Cour a observé une hausse de fréquentation modeste, de l’ordre de 10 %, alors que la perte de recettes tarifaires a atteint 2,5 millions d’euros par an. Le rapport estime que cet argent aurait pu être investi dans l’amélioration de l’offre ou la modernisation de la flotte, plutôt que dans une gratuité peu incitative pour les automobilistes.
Des bénéfices sociaux limités et mal ciblés
La Cour critique également le ciblage social de la gratuité dans les transports en commun. Elle observe que les dispositifs profitent souvent à l’ensemble de la population, y compris aux ménages aisés, alors qu’ils pèsent sur les finances publiques locales. « La gratuité n’est pas toujours l’outil le plus efficace pour favoriser la mobilité des publics vulnérables », note le rapport, qui plaide plutôt pour des réductions ciblées et un meilleur accès aux tarifs sociaux.
En outre, la juridiction financière souligne la complexité administrative de certains dispositifs. Dans plusieurs villes, les réductions pour jeunes, chômeurs ou personnes âgées nécessitent des démarches lourdes, ce qui freine leur accès aux bénéficiaires. Ainsi, une part importante des publics précaires ne profite pas réellement des aides prévues, tandis que les classes moyennes et supérieures bénéficient gratuitement des transports en commun financés par les impôts locaux.
Une efficacité écologique remise en question
L’un des objectifs affichés de la gratuité est d’inciter au report modal, c’est-à-dire convaincre les automobilistes de laisser leur voiture au profit des bus ou trams. Mais selon la Cour des comptes, l’effet est largement surestimé. Les expériences de Montpellier, Dunkerque et Niort montrent que la hausse de fréquentation provient surtout des usagers existants ou de nouveaux déplacements, et non d’un basculement massif de la voiture vers les transports en commun.
Dans certaines villes, la gratuité des transports en commun a même entraîné une surcharge des lignes sans augmentation correspondante de l’offre, dégradant la qualité de service. La Cour met en garde contre un « effet boomerang » : en attirant de nouveaux passagers sans financer suffisamment de véhicules ou de conducteurs, les collectivités risquent de détériorer l’attractivité du réseau.
Le financement des collectivités sous pression
Pour compenser la perte de recettes liée à la gratuité des transports en commun, les collectivités doivent recourir à deux leviers : le budget général et le versement mobilité. Ce dernier, payé par les entreprises, a déjà été relevé à plusieurs reprises. En 2024, son taux maximal a encore augmenté, mais la Cour avertit qu’il ne peut pas constituer une source illimitée.
Dans les métropoles, où les besoins en investissement sont élevés (tramways, renouvellement de bus électriques, infrastructures), détourner des ressources pour financer la gratuité des transports en commun peut compromettre la modernisation nécessaire. « La soutenabilité financière n’est pas assurée », insiste le rapport. À long terme, la qualité de service pourrait se dégrader si les collectivités privilégient l’effacement de la contribution des usagers plutôt que l’amélioration de l’offre.
