L’alourdissement de la dette des entreprises menace la reprise économique.

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Par Laurent Denis et Anthony Vallet Modifié le 6 avril 2020 à 14h11
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25%Le prêt garantit par l'Etat peut atteindre 25% du chiffre d'affaires de l'entreprise.

Le Prêt Garanti par l’Etat (PGE) sauvera-t-il les TPE choquées économiquement de plein fouet par la crise sanitaire dite du « COVID-19 » ?

Alors que le soutien aux Salariés passe par la prise en charge directe de leurs revenus par l’État, ce dernier a choisi l’augmentation de la dette et les reports de charges pour soutenir les entreprises et les indépendants. Ce manque d’audace dans le traitement du volet économique de la crise constitue une menace lourde pour la reprise économique. D’autant que l’accès aux prêts, dont la décision est laissée à la seule initiative des banques, compromet l’effectivité de la mesure. Une large part du muscle économique français est en voie de disparition brutale et rapide. Sans aucun doute, la priorité suprême va à la crise sanitaire et au soutien matériel immédiat aux Soignants et aux Malades. Pour autant, au-delà des effets d’annonce et des mesures de pure communication, la nature spécifique de la crise économique qui s’engage plaide pour le soutien financier direct aux entreprises, afin de protéger le tissu économique et de lui conférer toute l’élasticité nécessaire à une prompte reprise, le moment venu.

Le Prêt Garanti par l’Etat, solution efficace sur le papier.

Les Très Petites Entreprise (TPE) font battre le pouls de notre économie. D’après l’Insee, les TPE et les PME représentent 99,9% des entreprises françaises. La plupart des entreprises sont des TPE ; elles emploient moins de dix salariés et réalisent moins de deux millions euros de chiffre d’affaires, pour environ trois millions d’établissements dans notre territoire. Plus de la moitié de ces TPE n’ont aucun salarié ; souvent, le chef d’entreprise est seul à bord.

Ces TPE et PME nationales produisent chaque année environ 1/3 du chiffre d’affaires total des entreprises françaises ce qui représente environ 1 300 milliards d’euros. Ces TPE contribuent, à elles seules, à 9% du Produit Intérieur Brut (PIB) français, principalement dans le secteur de la construction, de la restauration et de l’hébergement : trois activités durement touchées par la crise sanitaire.

Les TPE et les PME françaises emploient près de la moitié de la masse salariale en France (49% des 14 millions d’actifs). Pour les TPE, cela équivaut à 20% de la masse salariale.

Ces TPE, déjà affaiblies par la crise sociale (« des gilets jaunes ») il y a un peu plus d’une année, puis par le mois et demi de grèves pour les retraites en fin 2019 disposent-elles de la capacité à surmonter ce nouveau coup dur ?

Toute crise grave nécessite des mesures et sollicite une communication publique auto-satisfaite, souvent excessive. Il ne serait même plus loisible de critiquer cette action. Depuis quelques jours, nous sommes abreuvés de publicité glorifiant le Prêt Garanti par l’Etat. Le gouvernement et les banques nous annoncent, à coup de messages carrés, que cette solution garantit la survie d’une partie voire de la totalité des entreprises françaises.

En premier lieu, la solution du prêt magique est largement ouverte. Toutes les entreprises françaises y ont théoriquement droit. "Il y en aura pour tout le monde, il n’y aura pas de rationnement. Mais nous traiterons les entreprises les plus en difficulté en priorité", assure pour sa part Thierry Laborde, directeur général adjoint de BNP Paribas, au micro d'Europe 1 le 23 mars 2020.

Ensuite, le prêt en question est tout simplement un trait de génie. "C'est un dispositif simple, massif et inédit, monté en quelques jours par l’Etat, les banques et avec le support de la BPI. L’idée c’est d’offrir à toutes les entreprises trois mois de chiffre d’affaires sans remboursement pendant un an, et avec la possibilité d’étaler le remboursement ensuite jusqu'à cinq ans", poursuit Thierry Laborde (Source : https://www.europe1.fr/economie/absence-de-garantie-montant-duree-le-patron-de-la-bpi-detaille-le-systeme-des-prets-3957214)

Quelle est la réalité de ces annonces ? surtout pour des petites entreprises dont certaines subissent un chiffre d’affaires réduit à néant, depuis le début du confinement ?

Sous l’angle de l’analyse financière classique, l’idée du prêt peut paraître séduisante. En effet, ce financement répond aux deux besoins résultant d’une baisse de chiffre d’affaires :

  • le besoin de financement à court terme : le chiffre d’affaire ne rentre pas et les charges sont toujours présentes. Même si les entreprises peuvent en reporter une partie, la dette demeure ; il faudra tôt ou tard la payer. Le PGE déblocable rapidement et remboursable avec un différé de douze mois permettra de couvrir ce besoin. Première mission : accomplie !
  • le besoin de financement à moyen ou à long terme : sans grande surprise, de nombreux économistes le disent, l’année 2020 sera évidemment également une catastrophe économique ; les entreprises auront d’énormes difficultés à dégager des bénéfices cette année. Ceci aura une conséquence négative immédiate sur leurs fonds propres. Le PGE entrera alors dans sa phase d’amortissement et deviendra une dette financière à plus d’un an (remboursable entre 1 et 5 ans). Cette dette financière permettra de gonfler les fonds propre des entreprises et ainsi limiter la baisse violente de ce ratio financier qui est essentiel pour le financement du cycle d’exploitation de nos entreprises françaises. Seconde mission : accomplie !

De nombreuses entreprises françaises sont exclues du Prêt Garantie par l’Etat, seule solution proposée pour sauvegarder l’économie.

Mais il reste une troisième question primordiale : celle de l’endettement. Elle ne peut être écartée, même par les discours martiaux. Les entreprises auxquelles ce prêt sera accordé par les banques auront-elles la capacité de rembourser cette nouvelle dette, supplémentaire, dans une année ? alors qu’elles sont, pour beaucoup d’entre elles, déjà fortement endettées (spécialement les jeunes TPE, de moins de trois années d’âge) ?

En termes purement financiers, leurs capacités d’autofinancements permettront-t-elle de rembourser, dans de bonnes conditions, ce prêt ? dont le montant peut atteindre, pour certaines entreprises, plusieurs centaines de milliers d’euros ?

La réponse de l’analyse financière est, là encore, implacable : leur capacité de remboursement à une année ne permettra pas de faire face à la dette supplémentaire souscrite pour passer la première année du choc économique.

Les établissements de crédit prêteurs, « les banques », reçoivent une obligation de mise en garde envers les emprunteurs professionnels (initialement : Cour de cassation, Civ. 1ère du 12 juillet 2005 n°03-10921 ou Cour de cassation, Com. du 13 septembre 2017 n°15-20294 ou encore, Cour de cassation, Com. du 7 février 2018 n°16-12808). Cette obligation particulière, propre au crédit, est due par le prêteur à l’emprunteur « non averti », en « regard de ses capacités d’endettement et du risque de l’endettement né de l’octroi du prêt », selon la formulation fameuse. La preuve de la présence des conditions de mise en garde revient toutefois à l’emprunteur, ce qui est frontalement contraire aux principes généraux du droit civil (il revient à celui qui doit une obligation d’en prouver la délivrance conforme).

En définitive, le prêteur doit s’assurer que la capacité de remboursement de l’emprunteur permettra d’absorber correctement toutes les charges nées de l’endettement, incluant le nouveau concours. Ceci passe par des travaux usuels d’analyse financière : capacité d’autofinancement à une année, structure financière, grands équilibres et niveau du fond de roulement requis par l’exploitation, pendant toute la durée du prêt et lorsque le Prêt Garanti par l’Etat entrera dans la phase d’amortissement du capital.

Les Intermédiaires bancaires, ou IOBSP, reçoivent des obligations proches ou similaires. Indépendants des banques, leurs conseils peuvent être précieux pour aider les entreprises à passer cette épreuve. Rappelons, avec la propension des crises à susciter des arnaques, que les Intermédiaires bancaires autorisés à exercer sont nécessairement immatriculés au Registre national des Intermédiaires tenu par l’ORIAS.

L’étape n°2 du processus d’obtention du PGE est très clair à ce sujet : « après examen de la situation de l'entreprise (critères d'éligibilité), la banque donne un pré-accord pour un prêt. »

Conclusion : les critères d’octroi du Prêt Garanti par l’Etat sont inchangés. Ce sont les critères juridiques et économiques habituels, ceux du « temps de paix », qui régissent l’attribution de ces crédits.

« Toutes les TPE » pourront, sans doute, solliciter le PGE ; mais toutes seront bien loin d’y accéder. Beaucoup d’entre elles (combien ne sont pas éligibles à la solution miraculeuse, unique, vantée par la communication nationale ? devront trouver d’autres solutions pour absorber la baisse ou l’anéantissement de leur chiffre d’affaires. Mais quelles solutions ? Elles ne sont pas présentées.

Le Prêt Garanti par l’Etat, une solution maladroite et de trop faible portée.

Il s’ensuit de ce qui précède la notable insuffisance de la solution proposée. Sans soutien financier direct, un grand nombre d’entreprises françaises vont disparaître dans les prochains mois, dans des proportions variant avec la durée et avec l’ampleur de la crise économique.

Un tissu économique n’est pas seulement un ensemble de titres de propriétés privées. Il présente une dimension collective, une forme de bien commun. C’est dans cet espace que nous puisons des emplois, de la croissance, des moyens de consommation.

La crise présente doit faire progresser et aider à transformer la vision de l’entreprise privée et, surtout, le bien précieux que représentent, pour une nation, une cohorte d’entreprises et d’entrepreneurs.

Cette crise économique présente bien des côtés inédits. Elle n’est pas causée par des fautes bancaires, par des errements d’établissements de crédit prestigieux doublés d’insuffisances de leur contrôle, comme en 2008. Elle ne provient pas d’une défaillance conceptuelle du droit économique. Elle vient directement de la glaciation économique causée par une pathologie humaine.

Face à la nature inédite de la crise économique, les solutions économiques doivent faire preuve d’imagination et surtout d’anticipation. L’Etat doit être beaucoup plus agressif et imaginatif dans ses propositions. Les « petits patrons » n’y arriveront pas seuls ; la survie de leurs activités est fondamentale pour notre économie. Certains occupent des fonctions essentielles dans la chaîne économique élémentaire : alimentation, sécurité, logistique, distribution. Les reports de charges sociales sont à remplacer par des annulations, des effacements. Le chômage partiel ou technique devra certainement être couvert à 100% (84% actuellement). L’impôt sur les sociétés prélevé en 2020 doit être annulé. La dette publique n’aura pas de plus belle utilité.

Enfin, l’accès effectif des entreprises aux solutions théoriques doit être assuré. La méthode habituelle consistant à créer des gouffres entre les dispositifs et leur mise à disposition effective doit, plus que jamais, céder le pas devant les impératifs historiques qu’adresse la situation présente.

L’efficacité des mesures exceptionnelles de sauvegarde des entreprises doit être évaluée, à haute vitesse. Le Prêt Garanti par l’Etat ne donne lieu à aucune statistique, à aucun retour, à aucune information quantifiée ou précise. Alors que tout le discours public revendique « la transparence » et la mise à disposition des informations permettant d’en évaluer les effets réels.

L’impératif de calendrier est également grand. Nous n’avons pas le temps d’attendre, de soupeser, de tergiverser.

La question du portage de l’économie française, pour favoriser sa préservation et son re-démarrage rapide, est la seule économiquement essentielle. Les méthodes d’hier n’offrent qu’une faible utilité dans la crise présente. Les entreprises d’assurance et les établissements bancaires devraient prendre leurs parts dans l’accompagnement des entreprises en étant, à leur tour, beaucoup plus inventifs dans les solutions apportées à leur clients professionnels. Mais ils ne peuvent constituer la clé de voûte de la réponse nationale.

Les TPE françaises sont la priorité de notre économie : faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour que cette crise sanitaire ne se transforme pas, dans quelques mois, en crise économique et sociale irrémédiable.

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Maître Laurent Denis (www.endroit-avocat.fr) pratique et enseigne le Droit. Il exerce spécialement dans les domaines des crédits et de l'intermédiation bancaire, ainsi qu’en formations juridiques. Anthony Vallet est expert en financement d’entreprise et Consultant (www.athena-cp.fr). Il conseille directement des TPE et des PME et dispense des formations en financement.

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