Arkéa : un projet d’indépendance insensé

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Par Laurent Latapie Publié le 14 mai 2019 à 16h44
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7%En 2016, le nombre de banques a baissé de plus de 7%.

OPINION

Le projet de désaffiliation de la banque bretonne vis-à-vis du Crédit Mutuel fait courir de graves risques au groupe, à ses salariés et à ses sociétaires.

Depuis bientôt cinq ans, le PDG de la banque bretonne Arkéa, Jean-Pierre Denis, se débat contre vents et marées pour libérer son entreprise de la tutelle de la Confédération nationale du Crédit Mutuel (CNCM). En cause, selon lui, un excès de centralisation de la part du Crédit Mutuel, qui entraverait le développement d'Arkéa et menacerait directement ses quelque 10 500 salariés – contre toute évidence : jamais la banque bretonne ne s'est aussi bien portée que dans le giron de la CNCM, multipliant son bénéfice de 154 à 428 millions d'euros entre 2009 et 2017, et aucun projet de licenciements n'ayant été annoncé par l'organe central.

Obstiné, Jean-Pierre Denis, que ses adversaires soupçonnent de vouloir laver par sa quête d'indépendance son échec à s'emparer des rênes de la CNCM, a refusé en 2016 la « main tendue » par Nicolas Théry, le nouveau patron de l'organe central. Faisant, de facto, primer ce qui s'apparente de plus en plus à une aventure personnelle sur l'intérêt et l'unité d'un groupe bancaire dont les valeurs mutualistes l'ont pourtant protégé lors de la crise de 2008. À moins que des considérations plus terre à terre, comme sa rémunération, multipliée par quatre entre 2009 et 2016 pour atteindre le montant de 1,6 million d'euros, ne rentrent en ligne de compte dans cet homérique conflit entre hommes d'affaires.

Une indépendance dénuée de sens stratégique et financier

Tout laisse, en effet, à penser que cet interminable divorce bancaire n'est que le reflet d'animosités bien humaines, tant l'indépendance d'Arkéa est dépourvue de sens sur les plans stratégique et financier. Ce sont les propres syndicats de la banque qui, à l'unisson, l'affirment : « le projet porté par les dirigeants demeure dans un flou juridique et ne lève aucune incertitude sur le devenir économique et social du groupe », a ainsi écrit dans un communiqué l’intersyndicale CFDT-SNB-UNSA en octobre dernier, les représentants du personnel exprimant leurs craintes pour l’emploi, s'alarmant d'une « dégradation du dialogue social » interne et s’étonnant de « ne bénéficier pour leur analyse économique que de scénarii résolument optimistes, mais ne tenant pas compte de paramètres essentiels comme le coût de refinancement, la possible dégradation de la notation bancaire, les incertitudes concernant les besoins en fonds propres ou encore la concurrence de nouvelles agences Crédit Mutuel » s'établissant en face des vitrines d'Arkéa – la CNCM ayant l'obligation, de par son statut mutualiste, de couvrir l'ensemble du territoire français.

Ces risques n'ont rien de fantasmes syndicaux. Ils sont admis, noir sur blanc, dans le « document de référence actualisé » que la direction d'Arkéa a été sommée de transmettre à l'Autorité des marchés financiers (AMF) à la fin de l'été dernier. « Le projet de désaffiliations tel qu’envisagé par Crédit Mutuel Arkéa est inédit et particulièrement complexe à réaliser. La situation liée au projet de désaffiliation du Groupe Crédit Mutuel Arkéa de l’ensemble Crédit Mutuel est complexe et des incertitudes et des risques associés existent », est-il écrit, la missive mentionnant également les « enjeux commerciaux liés à la perte de la marque ''Crédit Mutuel'' », « la perte du bénéfice de l'agrément bancaire » pour ses caisses locales, par ailleurs incapables de continuer d’émettre des parts sociales en cas de désaffiliation – parts sociales qui sont pourtant « une source de financement essentiel » pour le groupe – ou encore les risques liés « aux calculs prudentiels » et « à l'accord des autorités de contrôle » du secteur.

Les autorités de contrôle tirent la sonnette d'alarme

De la Banque de France à la Banque centrale européenne (BCE), en passant par l'Autorité bancaire française (APCR) et l'AMF, tous les régulateurs du secteur bancaire se sont, en effet, prononcés contre le projet d'indépendance porté par Jean-Pierre Denis et la direction d'Arkéa, jugé « d'une validité juridique douteuse ». À ce titre, il convient de rappeler que le Tribunal de l'Union européenne a estimé, dans une récente décision, que le Crédit Mutuel est un groupe uni autour de son organe central, rejetant en décembre 2018 le recours déposé par Arkéa, qui contestait la mise en place par la BCE d'une surveillance prudentielle consolidée par l'intermédiaire de la CNCM. Assurant la solidarité entre ses filiales, la CNCM dispose également du pouvoir d'adresser des instructions à la direction de ces établissements affiliés, a encore rappelé le Tribunal.

L'heure n'est pas à la sécession bancaire

Si Jean-Pierre Denis parvenait néanmoins à ses fins, son projet s'inscrirait à rebours de la tendance à la consolidation des banques européennes. Le secteur, qui souffre encore des conséquences de la crise des subprimes, est en effet très fragmenté, avec des établissements disposant de fonds propres insuffisants pour faire face aux tempêtes financières. Rien qu'en 2016, le nombre de banques a baissé de plus de 7% et, entre 2008 et 2016, la masse bancaire au sein de l'Eurozone a diminué d'un quart. Dans le secteur de la banque comme dans celui de l'assurance, l'heure n'est donc pas à la sécession, mais, au contraire, au regroupement.

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Laurent Latapie, avocat au barreau de Draguignan, docteur en Droit économique et des Affaires, et expert en droit bancaire.

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