Comment gérer la dépendance ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 2 octobre 2018 à 11h44
Seniors

L’ouverture d’une concertation sur la « réforme de la dépendance » pour préparer une « loi sur l’autonomie » est une démarche certainement pleine d’intentions louables. Malheureusement, le dicton est souvent vrai qui dit l’enfer pavé de bonnes intentions.

La dépendance est à cheval sur la retraite et l’assurance maladie

Depuis de nombreuses années, des voix s’élèvent pour réclamer une assurance dépendance, comme s’il était évident que ce problème requière la mise en place de nouvelles structures : une nouvelle branche de la sécurité sociale, ou des assurances privées dont les primes seraient en partie prises en charge par l’Etat ou la sécurité sociale. Partant de telles prémisses, il est probable que l’on débouchera sur une gabegie analogue à celle qui caractérise la superposition de l’assurance maladie publique et de complémentaires-santé privées. Comment éviter la mise en place d’une nouvelle usine à gaz ? En réfléchissant un peu !

On peut devenir dépendant très jeune, et même naître dépendant, mais le vocabulaire employé est alors plutôt celui de l’invalidité. Jetons donc un coup d’œil sur ce que dit de l’assurance invalidité le classique Droit de la sécurité sociale publié par Dalloz. Dupeyroux, Borgetto et Lafore écrivaient dans l’édition 2011 : « De nombreux systèmes d’assurances sociales ont assimilé l’invalidité à une sorte de vieillesse anticipée, regroupant les deux risques dans la même branche de la sécurité sociale. Mais la conception française la considère plutôt comme une maladie prolongée. »

Le texte de ces éminents juristes révèle un point sensible : il existe des risques qui sont à cheval sur les domaines couverts par les deux grandes « branches » que sont la vieillesse et la maladie (ou la santé). La dépendance des personnes âgées fait typiquement partie de ces risques « à cheval » sur ces deux grandes branches. Les deux sont impliquées. L’important est donc de savoir qui doit faire quoi.

La dépendance des personnes âgées doit être financée par la branche vieillesse et traitée par la branche maladie

S’agissant ici de personnes du « quatrième âge », leur entretien et les soins qu’exige leur état relèvent clairement de la prise en charge des « anciens », c’est-à-dire d’un organisme (unique, si le Haut-commissariat dirigé par JP Delevoye va au bout de sa mission) en charge des retraites par répartition. Certains retraités restent autonomes jusqu’à leur heure dernière, tandis que d’autres ont besoin d’une assistance pour une forte proportion des actes de la vie courante. Cela relève économiquement de la partie assurantielle d’un bon système de retraites : de même qu’un tel système gère l’aléa correspondant à la diversité des âges au décès, de même serait-il logique qu’il prenne en charge financièrement l’aléa relatif aux problèmes de santé et à la perte d’autonomie des retraités.

Les soins et autres services prodigués aux retraités sont financés par les actifs, qu’il s’agisse d’une thérapie pour un cancer, de l’accompagnement nécessité par la maladie d’Alzheimer ou du « care » que requiert une incapacité à faire soi-même des actes de la vie courante (se laver, manger, se déplacer, etc.). Il serait donc logique que leur financement vienne des cotisations vieillesse, charge à France retraites (nom commode pour désigner l’organisme qui remplacera nos trois douzaines de régimes) de transférer les sommes nécessaires à France santé (ou à « France maladie », si l’on préfère cette dénomination).

Nul besoin, donc, d’une assurance dépendance spécifique venant ajouter aux organismes sociaux une extension de l’inutile Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). La cotisation vieillesse doit logiquement financer les dépenses liées aux problèmes de santé et de dépendance des retraités. Le recul de l’âge moyen de départ en retraite devra naturellement être mis à contribution : le quatrième âge, celui de la dépendance, ne peut être convenablement traité sans écraser les actifs sous les cotisations sociales ou les impôts que si la sécu cesse d’offrir de trop longues vacances à des sexagénaires parfaitement capables de travailler.

Concrètement, la branche santé devrait organiser et mettre en œuvre les services de « care » destinés aux personnes dépendantes, comme elle organise et met en œuvre les soins aux malades et accidentés de tous âges. Simplement, le financement de ces services doit provenir du bon endroit : de la branche famille quand il s’agit de PMA, de surveillance de la grossesse, d’accouchement, et de soins aux mineurs ; de la branche vieillesse quand les bénéficiaires sont des retraités.

Autrement dit, mettons de l’ordre dans nos organismes de protection sociale et dans le financement de leurs activités, réorganisons-les selon une vraie logique économique, et les problèmes seront autrement faciles à résoudre que si nous continuons à entasser les institutions et à magouiller les financements sans réfléchir plus loin que le bout de notre nez.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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