De la décision en matière de sécurité sociale 

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Par Jacques Bichot Publié le 10 mars 2018 à 5h00
France Politique Securite Sociale Gouvernements
4,4 milliards €Le déficit de la Sécurité sociale a atteint 4,4 milliards d'euros en 2017.

Les hommes politiques et les citoyens devraient se poser la question suivante : quelles décisions sont-elles du ressort des administrations de sécurité sociale, quelles décisions relèvent-elles de l’autorité réglementaire (principalement le ministère dit actuellement « des solidarités et de la santé »), et quelles décisions devraient-elles appartenir au législateur ?

Mais les hommes politiques ne se penchent guère sur cette question, car ils considèrent (sauf exception) comme allant de soi que l’Administration, l’Exécutif, et a fortiori le Parlement, peuvent court-circuiter ceux qui ont reçu mission de gérer nos systèmes de protection sociale.

La formule qui me paraît la plus à même de procurer à la population française des services de bonne qualité à un coût raisonnable est aux antipodes de cette ingérence permanente des autorités publiques de différents niveaux : mieux vaudrait que les décisions de simple gestion soient prises par les gestionnaires (donc, dans le cas examiné ici, les cadres dirigeants de la sécurité sociale, ou de telle ou telle de ses branches, ou de chaque hôpital, etc.) plutôt que par les pouvoirs publics. Certes, il conviendrait en contrepartie que ces gestionnaires, surtout quand ils sont de haut niveau, soient sanctionnés s’ils font des bêtises, par le ministère lorsque ce n’est pas une affaire très importante, ou par le Parlement si la bêtise est vraiment de grande envergure.

Pourquoi cela ? Parce que les décisions relatives à des problèmes spécifiques, par exemple les traitements appropriés pour telle maladie, sont généralement plus pertinentes quand elles sont prises par des personnes qui connaissent bien ces problèmes, du fait qu’ils ont à les traiter en permanence.

Des arrêtés réglementent le moindre détail de la gestion de l’assurance maladie

Concrètement, regardons le journal officiel. Dans celui du 8 mars 2017, jour où j’écris ces lignes, la partie « décrets, arrêtés, circulaires » comporte une rubrique « Ministère des solidarités et de la santé » où figurent 19 arrêtés. Lisons le premier : « Arrêté du 18 janvier 2018 modifiant la liste des spécialités pharmaceutiques agréées à l’usage des collectivités et divers services publics. » Remarquons tout d’abord le retard pris par cette publication au JO du 8 mars : il résulte vraisemblablement d’un encombrement des services, débordés par les décisions qu’ils ont à préparer, discuter, rédiger, et finalement publier au JO.

Mais surtout, comptons le nombre d’arrêtés du même tonneau : rien que pour les spécialités pharmaceutiques, il y en a sept ; pour les appareillages (par exemple des stimulateurs cardiaques ou une sonde de défibrillation), il y en a six. Pour des « listes prévues à l’article L.5126-4 du code de la santé publique » ou à l’article L.165-1 du code de la sécurité sociale, il y en a quatre. Faut-il vraiment que ce soit le ministère, plutôt qu’un responsable bien identifié appartenant au staff de l’Assurance maladie, qui décide quels médicaments ou quels appareillages peuvent être pris en charge ? Quand des cadres de haut niveau ne sont plus censés être que les exécutants des consignes édictées par les fonctionnaires de l’avenue Duquesne, peut-on espérer une gestion de bonne qualité ?

L’Etat réglemente ce qui devrait relever des gestionnaires …

Il est difficile d’être sur tous les fronts. Un chef des armées doit se concentrer sur la stratégie ; s’il cherche à décider lui-même, depuis son quartier général, les missions confiées à chacune des centaines d’unités opérationnelles engagées sur le terrain, il sera débordé, réagira dans bien des cas avec un retard qui coûtera la vie à de nombreux hommes, et in fine la guerre sera perdue à cause d’une mauvaise structure de commandement.

Le principe de subsidiarité est valable dans la plupart des domaines, pour la sécu comme pour une grande entreprise ou pour l’armée. Il signifie : laisser une grande liberté de manœuvre, dans le cadre d’une stratégie d’ensemble, à ceux qui sont sur le terrain ; compter sur leur intelligence et leur motivation ; agir en permanence de façon à développer cette intelligence et cette motivation ; pour cela, stimuler la capacité d’initiative au niveau local, et distribuer à bon escient blâmes et félicitations, punitions et récompenses.

Un bel exemple relatif au principe de subsidiarité figure dans les évangiles : c’est la parabole des talents. Le maître confie des sommes rondelettes, mais différentes, à trois subordonnés, charge à eux de les faire fructifier comme ils l’entendront. Le moment venu, il regarde avec eux ce qu’ils en ont fait : deux d’entre eux ont doublé leur capital, il les promeut à de plus grandes responsabilités. Le troisième n’a pris aucune initiative et restitue ce qu’il n’a pas cherché à faire fructifier : il est renvoyé. C’est ainsi que l’Etat devrait agir vis-à-vis des gestionnaires de la sécurité sociale : leur confier de vraies responsabilités, promouvoir ceux qui les exercent avec compétence et dévouement, et dire aux autres de se reconvertir.

… mais il ne fait pas son travail

Le problème est que les pouvoirs publics français ne savent assez, ni faire confiance, ni fixer les règles du jeu dont ils sont responsables. L’actuel président de la République semble vouloir enfin effectuer une réforme systémique des retraites par répartition, en passant de trois douzaines de régimes (système ingérable) à un seul, doté de règles efficaces : c’est bien ! Mais ne vendons pas la peau de l’ours, et regardons ce qu’ont fait les présidents, les gouvernements et les parlements français pendant plusieurs décennies : ils ont pris ou voté des décisions relevant typiquement des gestionnaires (modification des valeurs de quelques paramètres de commande, comme les deux âges légaux de la retraite et le nombre de trimestres d’assurance requis pour accéder au taux plein avant le second âge légal) ; et ils n’ont rien fait de ce qui était leur responsabilité à eux (le remplacement de règles et de structures stupides par des règles et des structures correspondant bien au problème à résoudre, à savoir l’organisation d’un échange équitable entre générations successives).

La sagesse des nations dit : « chacun son métier, et les vaches seront bien gardées ». Depuis des décennies, en France, les vaches sont mal gardées parce que, en haut lieu, personne ne fait ce qui devrait être son métier : le Parlement ne légifère pas, il pond des textes majoritairement inutiles et pour beaucoup nuisibles ; le Gouvernement ne gouverne pas, il prépare (ou plutôt, fait préparer) les textes à faire voter par le Parlement et se désintéresse du fonctionnement de ses propres services. L’arrivée d’un nouveau Président et d’une nouvelle majorité à l’Assemblée pourrait certes changer la donne mais, dit encore la sagesse des nations, « chat échaudé craint l’eau froide ».

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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