[BEST OF] Produire en Chine devient trop cher : délocalisation et relocalisation de la production

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Par Captain Economics Publié le 23 juillet 2016 à 5h00

Selon Patrick Artus, directeur de la recherche économique de Natixis, le coût salarial unitaire en Chine pourrait rejoindre le coût salarial unitaire des pays de la zone euro d'ici seulement 5 ans ! (source : "A-t-on tiré toutes les conséquences de la hausse des coûts de production en Chine ?"). Pour le dire plus simplement, dans seulement 5 ans, une entreprise française pourrait ne plus avoir aucun avantage à délocaliser sa production en Chine pour baisser ses coûts de production ! Les salaires en Chine seront toujours inférieurs aux salaires en France, mais en prenant en compte : (1) la hausse du salaire net réel en Chine, (2) la hausse des charges sociales en Chine, (3) l'inflation en Chine (4) l'appréciation de la monnaie chinoise (le yuan) et (5) la productivité, le coût de production par unité en Chine (en euros ou en dollars) augmente très rapidement depuis une vingtaine d'années, et même trop rapidement pour de nombreuses entreprises. Un processus de relocalisation ou de délocalisation vers de nouveaux pays à bas coûts de main d'oeuvre est donc en marche.

"Mais Captain' tu craques totalement, ça ne coûte rien de produire en Chine !". Cela ne coûte toujours pas très cher il est vrai, mais la variation du salaire horaire dans l'industrie manufacturière en seulement quelques années est tout de même impressionnante. Selon le dernier rapport du Bureau of Labor Statistics "China's manufacturing employment and hourly labor compensation, 2002-2009", le salaire horaire en $ a triplé entre 2002 et 2009... Oui oui vous avez bien lu : triplé ! En 2002, le salaire horaire dans l'industrie, charges comprises et en $ (donc en prenant en compte le taux de change USD/RMB, avec RMB = Renminbi pour la monnaie chinoise) était de 0,60$ de l'heure ; en 2009, il était de 1,72$ !

Comme expliqué dans l'introduction, il y a différents effets expliquant cette forte hausse. Tout d'abord, les salaires nets augmentent en Chine (croissance économique + forte demande en travailleurs peu qualifiés = hausse des salaires). Dans le même temps, les charges augmentent assez fortement, passant de 23% environ du salaire en 2002 à 35% du salaire en 2009. Et enfin, le renminbi (ou le yuan... same same), s'est apprécié assez fortement face au dollar : 1$ = 8,27 yuans en 2002, contre 1$ = 6,83 yuans en 2009 (vous avez moins de yuans avec 1 dollar, donc le yuan s'apprécie et le dollar se déprécie). Actuellement, 1$ équivaut à 6,11 yuans, donc l'appréciation du yuan continue.

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Alors (1) oui, les salaires restent faibles dans l'absolu (1,13 $ par heure, ce n'est clairement pas grand chose), (2) oui, la protection sociale est toujours assez désastreuse en Chine et (3) oui, le yuan reste sous-évalué grâce à la politique de change de la Banque Centrale de Chine. Mais pour une entreprise américaine, le coût de la main d'oeuvre a été multiplié par 3 en 7 ans, et dans le même temps, les gains de productivité ne permettent pas du tout de compenser cette hausse du coût de la main d'oeuvre ! Le coût salarial unitaire, qui prend donc en compte l'évolution de la productivité et l'évolution du salaire nominal (et donc en réalité LA variable importante pour une entreprise) augmente en Chine d'environ 8% par an (à la louche, augmentation du salaire nominal d'environ 15% par an, et augmentation de la productivité d'environ 7%). La graphique ci-dessous montre cette relation, et le fait que le coût salarial unitaire en Chine rattrape rapidement le coût salarial unitaire aux USA (graphique de droite, source : "Les Etats-Unis, future Chine ?")

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Mais alors, cela veut dire que la production va revenir en France et à nous le plein-emploi ? Non, pas vraiment ! Bien que certains mouvements de relocalisation vers les pays développés soient envisageables, nous allons assister principalement à de nouveaux mouvements de délocalisation, de la Chine vers des pays où le coût de la main d'oeuvre est toujours très bas. Il y a en effet de nombreux pays d'Asie où le coût de la main d'oeuvre, charges comprises, est bien inférieur à celui de la Chine (encore une fois, il ne faut cependant pas oublier de prendre en compte la productivité). Mais quels sont ces pays ? Toujours avec comme source le Flash Eco de Patrick Artus cité en introduction, le salaire horaire moyen dans l'industrie le plus faible se trouve actuellement ... au Cambodge : 0,25$ ! Mais dans de nombreux pays, comme au Vietnam, au Bangladesh ou en Inde, le salaire horaire reste tout de même deux à trois fois inférieur au salaire horaire de la Chine (alors qu'en 2002, les écarts étaient plus faibles).

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Et la France et les autres pays dans tout cela ? Le tableau suivant, issu du rapport du BLS "International Comparisons of Hourly Compensation Costs in Manufacturing, 2012" montre le salaire moyen dans l'industrie (en $) dans la grande majorité des pays développés. Encore une fois (3ème répétition, mais c'est ultra-important et trop souvent oublié), il faut considérer la productivité pour obtenir le coût salarial unitaire si l'on veut parler de compétitivité. On retrouve les Philippines tout en bas, ce qui nous permet de faire le lien entre le tableau de Natixis ci-dessus (1,90$ en 2010) et le graphique du BLS (2,10$ en 2012).

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Conclusion: La Chine va devoir changer de modèle économique, pour passer d'une économie "bas de gamme" basée sur le faible coût du travail avec une croissance basée sur les exportations (via un taux de change sous-évalué) à une économie "moyen de gamme" tirée par la demande intérieure et l'émergence d'une classe moyenne. De nouveaux pays de "délocalisation" vont donc émerger (Cambodge, Bangladesh, Vietnam...à ; et une fois que les coûts de production seront trop élevés dans ces nouveaux pays, de "nouveaux nouveaux" pays de délocalisation apparaîtront (le tour de l'Afrique ?).

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Doctorant en économie à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et professeur d'économie à l'IESEG Paris, Thomas Renault est le créateur du site Captain Economics, un blog ayant pour but de démystifier l'économie, en abordant cela sans prise de tête ni prise de parti.  

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