Le génie français n’est pas mort : Le nouveau Google est français #2

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Par Jean-Baptiste Vallet Modifié le 23 octobre 2015 à 8h48
Randhindi
3 millions €Rand Hindi a réussi à lever 3 millions d'euros pour lancer son projet : Snips.

Chapitre 2 : Le nouveau Google

Et c’est là que le destin s’en mêle. Un collègue informaticien évoque la Singularity University. Sur le site, ce programme de formation sponsorisé par Google et la Nasa a l’air bien, très bien même. Le problème, c’est que le délai de candidature est passé. Rand Hindi fait alors du Rand Hindi, et arrache au forceps un entretien qu’il passe - décalage horaire aidant - au sortir d’une soirée arrosée, passablement éméché, et à l’issue duquel il est retenu parmi les 80 jeunes “très hauts potentiels scientifiques” mondiaux (comprendre les “plus hauts potentiels scientifiques mondiaux”). Direction San Francisco. C’est là que tout s’éclaire. C’est là que le test de nutrition qu’il avait mené pendant son doctorat refait surface. A l’époque, au tout début de sa thèse, il voulait juste comprendre comment arrêter de fumer sans prendre du poids. Comme ça, juste parce que la question le taraudait. Il avait alors entrepris des recherches en la matière et constaté qu’il n’y avait pas d’explication claire sur le régime à tenir pendant la phase de sevrage. S’il n’y avait pas d’explication claire, c’est que peut-être il y avait moyen de créer son propre régime, de customiser sa nutrition en fonction de sa biologie.

Et Rand Hindi de mesurer son corps pour lui adresser le régime essentiel à son bien-être. Pour rappel, on est en 2007 et la notion de quantified self (la mesure de ses données personnelles) n’est alors même pas encore un concept. Pendant des mois donc, Rand traqua le moindre de ces faits et gestes, du temps qu’il passait à dormir, au nombre de pas qu’il effectuait chaque jour, en passant par ses activités sexuelles et sportives, ou la teneur en calories de ses repas. Tout. Pour tester sa théorie, il effectua même un régime inversé, où il atteint à dessein 105 kg, pour montrer qu’avec la donnée (la data), on pouvait retrouver son poids normal. Au final, il décela les aliments que son corps ne pouvait pas digérer, et élimina de son alimentation le superflu. L’expérience s’était révélée concluante.

Mais dans la Baie de San Francisco, cette expérience prenait une toute autre résonance. Au point d’engendrer un projet de vie. Si depuis tout petit, il refusait tant de croire les autres, s’il ne faisait que suivre sa propre loi, c’est bien parce que ces autres - ceux qui avançaient des idées - ne lui offraient pas une démonstration tangible et objective du bien-fondé de leur croyance. Leur résolution trop partielle des problèmes rencontrés éveillait son scepticisme, sa rebellitude. Or, l’analyse de la donnée, elle, permettait une résolution objective de ces problèmes. Sa voie se traçait d’elle-même, il se ferait évangélisateur du pouvoir de la donnée. Bientôt, le retour sur Paris se profila. A la fois, subi avec la fin du programme Singularity University, et voulu, puisqu’il y avait manifestement un problème de fit culturel avec les américains de la Côte Ouest, trop orientés business, pas assez authentiques. De fait, à l’hiver 2010, il revint en France pour finir sa thèse, et se lancer.

Tout se fait alors assez vite, en quelques semaines, Rand rencontre ses deux associés. Maël, Corps des Mines, veut quitter la haute administration pour faire dans sa vie des choses qui ont du sens, et, Mickael, PhD en maths à Cambridge, est prêt à tout lâcher pour inventer les nouveaux territoires de l’intelligence artificielle. Ensemble, ils créent SNIPS. Avec une vision: résoudre par la data les problèmes urbains. Ca développe sous Scala et Python, ça pond de l’algorithme, ça sue du machine learning. Bref, ça bosse. D’abord sur un projet de prédiction de places de parking disponibles dans les rues de Paris et de New York en fonction de l’heure de la journée, l’application Parkr. Puis, viennent Suntherapy pour mesurer les endroits les plus ensoleillés de Paris en fonction de l’heure de la journée, Retailflow pour prédire l’affluence dans les bureaux de postes parisiens, Safesignal & RiskContext pour mesurer la probabilité d’un risque d’accident en fonction du moment de la journée, du lieu, des conditions météo, de laproximité avec un bar, ou des effets saisonniers sur la densité routière, Flux pour mesurer les densités routières et anticiper les flux automobiles, et Tranquilien pour prédire l’affluence dans les réseaux de transport SNCF, et évaluer la capacité pour un usager de trouver une place assise dans un train.

Autant d’applications qui permettent à SNIPS de crédibiliser son savoir-faire, de tester ses modèles mathématiques, et de mesurer l’impact que peut avoir le machine learning dans le quotidien des gens. L’argent rentre, l’équipe grossit, les clients affluent. Vous pensez vraiment que l’histoire va s’arrêter là ? Que Rand Hindi et ses acolytes vont juste continuer à vendre des applications prédictives et empocher l’argent ? Si c’est le cas, vous n’avez rien compris au personnage. A sa détermination. C’est un jusqu’au boutiste, rappelez-vous. Alors si je vous dis que Rand et ses associés ont, en mars 2014, fait le choix de rompre avec leurs opportunités commerciales à court terme pour se recentrer sur la recherche en intelligence artificielle, et leur vision à long terme, vous serez surpris ?

Pour l’équipe de SNIPS, tout part du principe que dans un monde ultra digitalisé, où il y aura 50 milliards d’objets connectés (ce qui sera le cas d’ici 2020), si on ne rend pas les objets plus intelligents, ceux-ci esclavagiseront l’individu. C’est en rendant les machines intelligentes, c’est à dire en les créant capables de contextualiser les besoins des individus, capables d’interagir entre elles pour intervenir auprès de l’humain uniquement au moment où il y aura un besoin, que l’on pourra assurer sa tranquillité. Sinon, sans intelligence dans ces machines, l’humain se fera constamment bipper par ses différents devices, et la vie pourrait bien vite ressembler à un enfer numérique. Aujourd’hui, aucun objet qu’il soit frigidaire, télévision, tablette, montre connectée, thermostat, pèse personne ou smartphone n’a d’intelligence. Chacun de ces devices dits connectés ne répond qu’à des interfaces statiques: c’est juste l’humain qui interagit avec lui.

SNIPS veut pouvoir prédire l’utilisation qui va être faite d’un device, anticiper l’application que l’utilisateur souhaiterait ouvrir, et même plus loin, déceler l’information recherchée à l’intérieur de l’application. Pour le dire simplement, SNIPS veut révolutionner la recherche d’information. Autant dire, à terme, remiser au placard la recherche d’information telle qu’aujourd’hui on la connait, à la Google."

Extraits de "Le Génie français n'est pas mort !", de Jean-Baptiste Vallet. Ed. Cherche-midi

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Jean Baptiste Vallet conseille des entreprises et des fonds d’investissements dans leur stratégie digitale. Il est par ailleurs professeur en stratégie digitale dans des MBA en France et aux États-Unis.

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