L’État actionnaire a-t-il encore un avenir ?

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Par Marc Pelletier Modifié le 29 novembre 2022 à 9h23
Impot Revenu Prelevement Source Patron Taux Syndicats Bercy
28 milliards d'eurosC'est la somme perdue par l'État actionnaire lors de la crise de la Covid

L’affaire est entendue, l’État est lourdement endetté, et encore plus depuis près d’un an et ses tentatives de sauvetage de l’économie à coups de dizaines de milliards d’euros. Mais cet endettement, il le doit aussi à une très mauvaise gestion de ses actifs et des entreprises dont il est actionnaire, et ce depuis de nombreuses années. Une gestion plus rationnelle est nécessaire et cela passe peut-être par le recours à des partenariats public-privé plus nombreux.

L’État actionnaire, une histoire récente contrariée ?

De prime abord, la question paraît politiquement incorrecte, mais, en y regardant de plus près, elle n’est pas dénuée de sens, loin de là, d’autant que les critiques à l’encontre de l’État actionnaire ne sont pas nouvelles. Déjà, en 2003, le rapport Douste-Blazy/ Diefenbacher dressait un constat accablant du rôle de l’État en tant qu’actionnaire : coordination et suivi limités, contrôle tatillon mais défaillant, procédures inadaptées, moyens inadéquats… la liste des dysfonctionnements était longue et le rapport dénonçait « un État omniprésent, mais sans stratégie ». Malgré des moyens conséquents consacrés au suivi, au contrôle et à la gestion des entreprises publiques, l’État apparaissait déjà « comme étant à la fois très présent et trop souvent inefficace ».

Il faut reconnaître qu’avec 1751 sociétés contrôlées directement ou indirectement, dont 89 sur lesquelles il exerce un contrôle direct en tant qu’actionnaire majoritaire selon les données les plus récentes de l’Insee, le portefeuille d’entreprises à participation publique constitue « un ensemble vaste et hétérogène » comme l’indiquait la Cour des comptes dans son rapport sur l’État actionnaire en janvier 2017. Energie, santé, numérique, transports, audiovisuel… l’État est présent dans de nombreux secteurs de l’économie et, dans ces conditions, il lui est difficile d’émettre un avis d’expert clair et argumenté dans chacun d’entre eux, d’où des décisions parfois hasardeuses comme en témoigne le récent couac dans l’affaire Véolia-Engie-Suez.

Le 5 octobre dernier, le conseil d’administration d’Engie a accepté l’offre de rachat de 29,9% du capital de Suez par son concurrent historique Véolia. Un sérieux revers pour l’État, premier actionnaire d’Engie avec 22% du capital, qui avait pourtant voté contre cette proposition de cession, comme l’a fait savoir le ministère de l’Économie dans un communiqué. D’autant plus que la position de l’État a été combattue puis mise en minorité par le conseil d’administration d’Engie mené par Jean-Pierre Clamadieu, pourtant nommé à cette place en 2018 avec l’accord de l’État. Cette transaction conclue contre son avis illustre combien l’État actionnaire est parfois impuissant à imposer sa vision et ses choix économiques.

Un besoin d’État gestionnaire ?

En plus d’être un actionnaire inefficace, l’État endosse parfois le rôle de mauvais gestionnaire. Selon un rapport de la Cour des comptes paru il y a trois ans, les résultats comptables des entreprises du portefeuille de l’Agence des participations de l’État (APE), qui représente l’État actionnaire, se dégradent fortement, en particulier dans les sociétés détenues majoritairement par l’État. Pire, alors qu’en 2016, les entreprises du CAC 40 affichaient une croissance de 6,17%, les entreprises détenues par l’État enregistraient une chute de leurs performances de -11,5% ! Les raisons de cette situation financière préoccupante ? Selon la Cour des comptes, elle serait la conjugaison de plusieurs facteurs, notamment des résultats financiers très moyens, des contre-performances en Bourse, mais aussi des prélèvements de dividendes trop élevés affectant la capacité d’investissement de certaines entreprises ou encore des choix stratégiques et économiques malheureux, par exemple dans la gestion d’EDF et d’Areva. Et ce ne sont pas les résultats actuels qui vont arranger la situation de l’État puisque la crise sanitaire lui a fait perdre 28 milliards d’euros en Bourse : en effet, alors que son portefeuille était valorisé à 112,5 milliards en décembre 2019, il ne valait plus que 84,5 milliards six mois plus tard.

Autre secteur où l’État se révèle un bien mauvais gestionnaire : l’immobilier. Selon un rapport de la Commission des Finances du Sénat, l’État est un propriétaire milliardaire à la tête d’un patrimoine immobilier qui s’élève à 75,6 millions de m², évalués à 66 milliards d’euros. Certes, l’État vend régulièrement ses biens immobiliers, mais si les plus beaux bâtiments trouvent facilement preneur, les édifices plus modestes ne se vendent pas. Il faut dire que la politique immobilière de l’État n’est pas du tout centralisée, chaque ministère gérant ses propres biens, parfois en dépit du bon sens. Une situation jugée « pas efficace » par la Commission des Finances.

Vers une gestion déléguée et encadrée ?

Critiqué comme actionnaire, parfois non exempt de reproches en tant que gestionnaire, l’État a peut-être trouvé le bon équilibre sur certains projets en adoptant la concession. Nombre de collectivités territoriales ont fait le choix de concéder la distribution de l’eau, de l’électricité ou encore le traitement des ordures ménagères et, à quelques rares exceptions près, elles en sont satisfaites. Pourquoi l’État ne prendrait-il pas exemple sur elles, d’autant que, lorsqu’il recourt lui-même à la concession, comme c’est le cas avec les autoroutes depuis 2006, il semble en tirer des avantages sérieux ? En effet, même si elle a été abondamment critiquée, cette opération, que beaucoup ont appelée à tort une « privatisation » (en réalité, l’État n’a fait que déléguer la gestion de ses autoroutes à des sociétés concessionnaires d’autoroutes (SCA)), s’avère finalement très bénéfique pour lui sur de nombreux plans.

Déjà, au moment de la privatisation, non seulement les SCA ont versé 22,5 milliards d’euros à l’État, mais elles ont aussi repris à leur compte une dette de 20 milliards d’euros, correspondant au montant des constructions du réseau qui n’était pas encore remboursé à cette date. « Une opération financière réussie » pour l’État selon Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, auditionné devant le Sénat en juillet 2020. Par ailleurs, dans le cadre des contrats de concession, ce sont les SCA qui assument tous les risques, notamment le risque trafic. Ainsi, selon le rapport de l’Autorité de régulation des transports (ART) du 30 juillet dernier, le premier confinement a entraîné une baisse de 80% du trafic autoroutier et une perte d’environ 2 milliards d’euros pour les SCA. Imaginons que la privatisation du groupe Aéroports de Paris ait pu être menée à bien avant la crise, c’eût alors été les sociétés concessionnaires qui auraient subi les lourdes pertes, estimées à 2,5 milliards d’euros, liées à la chute du trafic aérien, et non l’État, encore actionnaire majoritaire à 50,6%. Enfin, la concession a l’énorme avantage pour l’État de faire peser la charge des investissements sur les entreprises concessionnaires, avec l’assurance de récupérer des infrastructures en bon état au terme du contrat de concession.

Ce dispositif est donc un véritable gagnant-gagnant qui permet à l’État de se désendetter, de transférer les risques et la charge des investissements, tout en ne renonçant pas à la capacité de contrôler la bonne gestion des infrastructures. Alléger le fardeau tout en gagnant en efficacité : la solution mérite d’être méditée…

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Marc Pelletier, Consultant, chef de projet en aménagement urbain éco-responsable, chargé de missions de conseil auprès d'aménageurs ou de collectivités locales, avec pour mission d'assister les élus et l'administration dans la définition et la mise en œuvre des politiques de développment durable à l'échelle des agglomérations

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