Qui a profité de l’euro ?

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Par Simone Wapler Publié le 7 octobre 2016 à 5h00
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4,5La valeur du franc a été divisée par 4,5 à l'arrivée de l'euro.

Les malheurs de Deutsche Bank ravivent les rancoeurs en Europe ; certains se réjouissent de voir le bon élève Allemagne pris en défaut.

Si l’on écoute la très grande majorité des économistes et politiciens, l’Allemagne aurait profité de l’euro. Elle se serait taillée un euro sur mesure, asphyxiant les pays du sud par une concurrence déloyale et s’achetant ainsi sa prospérité sur le dos des autres pays d’Europe. Qu’en est-il vraiment ?

L’économie est une pseudo-science. Malgré ses récents habillages mathématiques, l’économie est incapable d’être prédictive, ce qui est ce qu’on attend d’une science. Vous voulez un autre argument ? La plupart des économistes affichent une appartenance politique. C’est inquiétant. Imaginez-vous aller consulter un médecin de droite ou un médecin de gauche pour avoir un diagnostic de droite ou un diagnostic de gauche, et enfin un traitement de droite ou un traitement de gauche ? Evidemment non. La médecine traite de l’humain mais est une vraie science, contrairement à l’économie.

Une branche importante de la peseudo-science économique traite de la monnaie. Les économistes de gauche et de droite sont unanimes sur deux points : la monnaie doit être administrée, elle n’a pas besoin d’ancrage matériel. L’Allemagne aurait délibérément voulu imposer un euro trop fort, ce qui a nui à la compétitivité de ses voisins et explique les déséquilibres actuels. Les bienfaits supposés d’une monnaie faible sont une des thèses favorites des économistes qui ont les faveurs des gouvernements et des vendeurs de crédit.

L’escroquerie de la monnaie faible

Voici un petit rappel historique pour contredire cette idée. 1958 : mise en place du nouveau franc. De Gaulle (et son ministre Antoine Pinay) voulaient un franc fort qui ressemble à quelque chose, montrer à la face du monde que la France était de retour dans la cour des grands. Le “nouveau franc” français porté sur les fonds baptismaux était à parité avec le franc suisse. un NF = un FS.

De dévaluations compétitives en dévaluations compétitives, de déficits en déficits pour cause d’investissements d’avenir, la parité NF/FS juste avant l’instauration de l’euro était de… 4,50. La valeur du franc avait donc été divisée par 4,5. Depuis les années 1970, le côté suisse de ma famille parlait du “petit franc” pour désigner le franc français. Quel est le pays qui, durant ces 60 ans, a connu la plus forte expansion économique et dont les habitants ont vu leur niveau de vie le plus augmenter ? La France et son “petit franc” ou la Suisse et son franc fort supposé être une malédiction ?

Le revenu net par habitant a plus que quadruplé en Suisse entre 1980 et 2016 (les statistiques de la banque mondiale ne commencent qu’à cette date pour ce pays). Pendant ce temps, dans notre douce France jouissant d’habiles dévaluations compétitives, le revenu net par habitant a moins que triplé. Prétendre qu’une monnaie forte serait nuisible est tout simplement absurde. Soit un pays est bien géré, ses habitants sont industrieux, les capitaux sont bien alloués et tout va bien. Ce pays développe une industrie à forte valeur ajoutée. Soit un pays est mal géré, ses habitants prennent des vessies pour des lanternes, dépensent en dépit du bon sens et tout va moins bien. Le gaspillage détruit la valeur ajoutée.

L’économie consiste à échanger quelque chose contre autre chose. La monnaie n’est qu’une phase transitoire de cet échange. Imaginez qu’un Etat vous oblige à échanger vos produits et services contre des lentilles. Supposez que les lentilles soient donc la monnaie à cours forcé et légal. Par la suite, les gouvernements successifs vous indiquent que tout irait mieux pour vous si vos lentilles pouvaient être vendues moins cher à l’étranger. C’est absurde, n’est-ce pas ? En réalité, la dévalorisation de la monnaie n’est que la dévalorisation de la valeur ajoutée par le travail des habitants d’une zone monétaire. Notre gouvernement nous brade à l’étranger mais nous taxe au prix fort sur tous les biens importés qui se renchérissent. Les Allemands savent cela. Les Allemands méprisent la monnaie faible et les charlatans monétaristes qui en font la promotion.

Oui, l’Allemagne a vendu à crédit des Mercedes, des BMW, des Volkswagen, des machines-outils… Oui, des pays à tradition de “monnaie faible” se sont crus riches et lui ont acheté à crédit, croyant profiter de l’aubaine d’une “monnaie forte”. Où est la culpabilité de l’Allemagne dans le déséquilibre commercial qui s’est installé ? Depuis quand est-on “obligé d’acheter” et surtout à crédit ?

Oui, Deutsche Bank a des difficultés, est un dinosaure qui n’est pas étouffé par ses scrupules et a plongé dans tous les coups tordus de la finance (subprime, manipulations de l’euribor, du libor, des matières premières…). Oui, le bon élève Allemagne abrite ce monstre. Mais l’Allemagne n’a pas profité de l’euro, elle a simplement profité des chimères des autres pays. Une monnaie saine ne doit pas avoir besoin de cours légal et forcé pour s’imposer. Elle doit pouvoir être en concurrence avec d’autres monnaies au lieu d’être administrée dans le but de léser les populations à laquelle elle est imposée.

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Simone Wapler est directrice éditoriale des publications Agora, spécialisées dans les analyses et conseils financiers. Ingénieur de formation, elle a quitté les laboratoires pour les marchés financiers et vécu l'éclatement de la bulle internet. Grâce à son expertise, elle sert aujourd'hui, non pas la cause des multinationales ou des banquiers, mais celle des particuliers. Elle a publié "Pourquoi la France va faire faillite" (2012), "Comment l'État va faire main basse sur votre argent" (2013), "Pouvez-vous faire confiance à votre banque ?" (2014) et “La fabrique de pauvres” (2015) aux Éditions Ixelles.

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