Réformer le système financier est une urgence

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Par Pierre-Henri Leroy Modifié le 23 septembre 2020 à 14h55
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La crise du COVID semble avoir relégué bien loin la crise financière de 2008-2010. Or si l’arrosage de liquidité, de sauvetages et de subventions a sauvé la mise des établissements de crédit occidentaux, il ne faut pas ignorer que la perfusion permanente du « quantitative easing » prive le monde d’un système bancaire efficace et dynamique.

Rappelons brièvement que l’Eurosystème offre aujourd’hui un encours de 4 000 milliards de prêts bonifiés et d’actifs rachetés aux banques inscrites, soit au bas mot une subvention monétaire, donc publique, de 40 milliards chaque année pour ces acteurs privés. Au-delà de ces douceurs, que la BCE de Christine Lagarde entend augmenter sans en rendre compte vraiment, jamais dans l’histoire les banques n’ont été à ce point favorisées par leur proximité avec les États souverains.

Les conséquences de cet état de fait sont plus graves qu’il n’y paraît tant pour l’équilibre des marchés financiers que pour l’efficacité de l’immense secteur des services.

Les marchés financiers permettent en principe aux épargnants d’apporter leur épargne aux entreprises, les émetteurs. Mais, pas ou peu protégés face à la toute – puissance du lobby bancaire attiré par les opérations primaires, les épargnants et minoritaires, eux mal servis par ces mêmes banques, sont spoliés par des pratiques de détournement non sanctionnées, quand ils ne deviennent pas la chair à canon d’opérations financières douteuses. Après les excès fous et pourtant prévisibles des Madoff et Volkswagen les scandales plus récents de Renault ou Casino, couvrent une multitude de moindres cas similaires dans lesquels un patron tout-puissant, soutenu par les banques et des commissaires aux comptes, s’approprie le devenir de l’entreprise sous le regard complaisant de l’AMF et des politiques. Les contre-pouvoirs sont faibles : à preuve, face à ces formes de hold-up aucun grand investisseur ne se fait jamais connaître pour obtenir réparation de ces forfaits auprès des responsables et de leurs assureurs. Le résultat de ce déséquilibre est la disparition de l’actionnariat populaire et institutionnel, jamais défendu : dès lors, l’allocation de capital, de sang neuf aux entreprises, ne se fait pas de façon efficace puisque la politique domine les marchés.

Par ailleurs, dans l’ordre concurrentiel, l’abandon il y a trente ans en France comme aux États-Unis de la séparation historique des fonctions bancaires a permis aux établissements de crédit, qui bénéficient légitimement de la garantie de dernier ressort des États, d’entrer confortablement dans le secteur des services. Il est évidemment facile de réussir face à la concurrence quand on bénéficie de la garantie de l’État en sus d’avantages fiscaux… Ce fut, ces dernières années, le triomphe des banques dans le secteur de l’assurance, de la promotion immobilière et de la gestion d’actifs… entre autres, car les banques touchent à tout, de l’informatique, à la domotique ou au téléphone… tandis qu’elles ont gravement négligé de moderniser la gestion des dépôts, des titres et de l’allocation de crédit au point de se faire concurrencer par de multiples fin’techs…

Face à l’urgence climatique, face à l’épuisement des ressources rares de la planète, les banques ont opté pour la voie modeste et louée de l’investissement socialement responsable, une voie qui tolère agréablement le double langage. Et face au recul du multilatéralisme, seul capable de gérer nos raretés collectives, les banques et leur puissant lobby entretiennent la zizanie fiscale en soutenant et utilisant les paradis fiscaux.

Pour sortir de la crise économique engendrée par le coronavirus et gérer l’urgence climatique, il faut une économie plus efficace et juste : il faut cesser de réserver l’« helicopter money » aux banquiers privés gavés, il faut faire advenir un système bancaire responsable, revenir à la séparation des métiers. La mobilisation sur ce sujet abstrait et trop bien surveillé par les intéressés sera difficile. Mais il ne faut pas désespérer de l’honnêteté des serviteurs du bien public : il y a parfois des régulateurs et des ministres courageux ; et il y a même des banquiers honnêtes.

Pour aller plus loin

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Pierre-Henri Leroy est surtout connu par son activité pour la défense des épargnants via sa société, l’agence de conseil de vote Proxinvest. De formation française et américaine et d’expérience industrielle et bancaire, cet auteur est un spécialiste du financement et des marchés. Cofondateur de l’International Corporate Governance Network, il a été neuf ans membre de la Commission consultative de l’Autorité des Marchés Financier AMF et administrateur du Forum de l’Investissement Responsable.

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