Stop à la « taxe eSIM » : quand les opérateurs continuent de prendre leurs clients pour des pigeons

L’annonce récente d’Apple qui commercialise en France l’iPhone Air comme le premier modèle sans tiroir pour carte SIM ranime un vieux débat : celui du prix de la “fidélité” chez les opérateurs.

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By Anne-Carole Coen Published on 26 septembre 2025 4h30
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Amazed charismatic unshaven caucasian guy holding smartphone in his hand, looking at the camera in surprise with his glasses raised, shocked facial expression, isolated orange background - © Economie Matin
18000 EUROSLe prix du roaming data peut par exemple atteindre jusqu’à 18 000€ par giga en Argentine.

En effet, certains opérateurs envisagent de faire payer 10 € à leurs clients fidèles pour migrer leur carte SIM physique vers l’eSIM, tout en laissant cette transition gratuite pour les nouveaux abonnés. Gratuit pour certains, payant pour d’autres… Une idée choquante, surtout lorsqu’il s’agit de réclamer des frais alors qu’on retire un coût logistique devenu inutile.

L’eSIM est une évolution structurelle. Elle remplace une carte plastique, s’active en quelques secondes, sans transit postal ni délai. Selon Mobilise Global, en 2023 il y aurait environ 310 millions de connexions smartphone eSIM dans le monde. D’ici 2025, les prévisions parlent d’un milliard de connexions smartphone eSIM, ce qui représenterait entre 25 % et 40 % de toutes les connexions mobiles. Au-delà, le scénario de référence GSMA Intelligence projette 6,7 milliards de connexions eSIM d’ici 2030, soit environ 76 % du parc mondial de smartphones. Qu’est ce que cela signifie ? L’eSIM n’est vraiment pas un gadget mais une lame de fond technologique qui change la norme.

Facturer la migration équivaut à monétiser la suppression d’un coût – production, envoi et gestion d’une carte physique. Ce coût logistique était autrefois justifié, mais il s’efface avec l’eSIM. Le maintenir en frais induit est non seulement économiquement absurde, mais aussi moralement douteux, car ce que les opérateurs facturent en réalité n'est autre que l'ignorance du consommateur.

L’Histoire nous a déjà appris combien les rentes injustifiées peuvent durer jusqu’à ce qu’elles soient contraintes par la loi. Le roaming en est un exemple parfait. Pendant des années, les consommateurs ont payé des factures délirantes pour quelques gigas de données à l’étranger. Même si ce n’est plus le cas en Europe grâce à la directive “roam like at home”, ça reste une réalité au-delà. Le prix du roaming data peut par exemple atteindre jusqu’à 18 000€ par giga en Argentine. À titre de comparaison, le coût réel est estimé à moins de 1 € par giga.

Cette “taxe eSIM” entre dans la même logique : transformer une avancée naturelle, efficace, respectueuse de l’environnement en levier de profit. Pour quelques euros de plus aujourd’hui, la confiance se brise, la transparence se perd et la relation client s’abîme.

Les consommateurs l’ont bien compris. Un tiers des clients mobile ou internet envisagent de changer d’opérateur à la fin de leur contrat, selon une étude de Simon-Kucher en 2023*. Plus de 50 % des consommateurs disent qu’une interface en ligne insatisfaisante ou des services numériques mal conçus suffisent à les pousser vers un autre fournisseur, selon une autre étude de PwC**.

Cette dynamique ne se limite pas au secteur des télécoms : elle est partout. Dans la banque, la musique, les services numériques, ceux qui misent sur la clarté, la fluidité et le respect gagnent durablement. Ceux qui font payer des frais arbitraires perdent la loyauté, souvent davantage que quelques euros.

Apple, par ses décisions, ne laisse plus le choix : supprimer le tiroir SIM devient la nouvelle norme. L’iPhone Air montre qu’en Europe aussi, l’eSIM passera de l’exception à la règle. La question n’est pas si, mais comment, et à quel prix.
Plutôt que de s’engouffrer dans ce bras de fer où le client paye pour la transition, les opérateurs feraient mieux de supprimer tout frais de migration, d’expliquer clairement le processus, de simplifier les démarches, d’aider à la transition, de mettre en avant les bénéfices réels : rapidité, praticité, moindre empreinte plastique.

C’est un moment de vérité pour le secteur. Le terme “taxe eSIM” n’est pas qu’une formule choc : c’est un révélateur. On peut choisir soit la rente cachée, soit l’expérience transparente. L’un mène au mécontentement et à la perte de confiance. L’autre à la fidélité, la réputation, à la modernité. Il est encore temps de choisir le bon chemin.

*Simon-Kucher — “Telco switching behavior: Rising willingness to churn” (octobre 2023)

**PwC — Customer Loyalty Survey 2022

Anne Carole Cöen 3 (1)

cofondatrice de Kolet

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