Le télétravail prescrit par un médecin : une nouvelle alternative aux arrêts-maladie

L’Assemblée nationale a adopté une mesure inédite permettant aux médecins de prescrire du télétravail pour certains salariés malades. Une initiative présentée comme un levier pour réduire les arrêts-maladie, soutenir la croissance et alléger le poids économique de l’absentéisme sur les entreprises.

Ade Costume Droit
By Adélaïde Motte Published on 3 novembre 2025 10h45
Le Teletravail Prescrit Par Un Medecin Une Nouvelle Alternative Aux Arrets Maladie
Le télétravail prescrit par un médecin : une nouvelle alternative aux arrêts-maladie - © Economie Matin

Le 31 octobre 2025, la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale a voté un amendement autorisant la prescription médicale de télétravail. Concrètement, un médecin pourrait bientôt proposer à un salarié malade d’exercer temporairement son activité depuis son domicile, en accord avec l’employeur, plutôt que d’être totalement en arrêt de travail. L’objectif affiché est double : préserver la santé du salarié tout en limitant le coût croissant des arrêts-maladie pour les entreprises et pour les finances publiques. Cette évolution marque une étape importante dans la réflexion sur l’articulation entre santé, emploi et performance économique.

Un télétravail prescrit, entre prévention et pragmatisme

Pour les députés à l’origine de cette mesure, l’idée n’est pas de remettre en cause le droit à l’arrêt de travail, mais de créer une option supplémentaire, plus souple, adaptée à certaines situations médicales. Le télétravail prescrit par un médecin offrirait une alternative intermédiaire entre le repos total et la reprise complète d’activité. Il permettrait au salarié de conserver une part d’autonomie, de rester connecté à son environnement professionnel et d’éviter la désocialisation souvent observée lors des arrêts prolongés.

Selon les travaux préparatoires, cette mesure pourrait concerner les affections légères à modérées : douleurs dorsales, troubles musculo-squelettiques, fatigue passagère ou troubles anxieux. Dans ces cas, un aménagement temporaire, à domicile, faciliterait la convalescence tout en évitant une rupture totale avec l’entreprise. Les députés à l’origine du texte estiment qu’un salarié qui peut télétravailler partiellement se rétablit souvent plus vite et reprend plus aisément une activité normale.

Le poids croissant des arrêts-maladie

L’enjeu économique de cette proposition est majeur. Les arrêts-maladie représentent une charge considérable pour les entreprises et pour la Sécurité sociale. En 2024, plus de neuf arrêts sur dix étaient liés à une maladie ordinaire, et non à un accident du travail. La durée moyenne de ces arrêts s’élevait à près de dix-huit jours, soit une hausse continue depuis dix ans. Parallèlement, la fréquence des arrêts de longue durée a progressé de près de 30 % en cinq ans, sous l’effet du vieillissement de la population active et de la hausse des troubles psychologiques.

Un salarié français s’est ainsi absenté en moyenne plus de vingt-trois jours en 2024, contre douze jours en 2012. Ce doublement traduit l’intensification de l’absentéisme et ses conséquences économiques : désorganisation des équipes, perte de productivité, frais de remplacement, et coût pour l’assurance-maladie estimé à plusieurs dizaines de milliards d’euros par an. Certains économistes évaluent l’impact global des arrêts de travail, directs et indirects, à près de 120 milliards d’euros sur l’économie française.

Une mesure « gagnant-gagnant », selon ses défenseurs

Les partisans de la prescription médicale de télétravail mettent en avant une logique de bon sens. Selon eux, cette approche permettrait d’éviter les arrêts-maladie systématiques dans des situations où le salarié est apte à travailler, mais où les conditions physiques ou psychologiques exigent un aménagement temporaire. Pour un collaborateur souffrant de douleurs légères ou en période de convalescence, la possibilité de travailler à distance quelques jours peut représenter une solution équilibrée.

Les entreprises, de leur côté, y voient un moyen de préserver la continuité de l’activité et de réduire le coût de l’absentéisme. Le dispositif pourrait aussi contribuer à fluidifier la reprise après un arrêt complet, en rétablissant plus progressivement le rythme de travail. Pour l’État et les organismes sociaux, cette mesure constituerait un levier potentiel d’économies sur les indemnités journalières. Les partisans du texte affirment qu’il s’agit d’un modèle « gagnant-gagnant » : un salarié mieux accompagné, une entreprise moins désorganisée, et une collectivité moins sollicitée financièrement.

Des garde-fous indispensables pour éviter les dérives

Les débats à l’Assemblée nationale ont toutefois montré certaines réserves. Plusieurs élus, notamment issus des groupes de gauche, ont mis en garde contre un risque d’ingérence dans la relation entre le médecin et le patient. D’autres ont souligné que le télétravail ne pouvait être imposé et qu’il devait rester fondé sur le volontariat. Le texte prévoit d’ailleurs explicitement l’accord du salarié et l’éligibilité du poste avant toute mise en œuvre.

Les députés ont également insisté sur la nécessité d’un encadrement clair pour éviter les abus ou les détournements de la mesure. Certaines fonctions, notamment dans les secteurs industriels, hospitaliers ou logistiques, ne peuvent évidemment pas être exercées à distance. De plus, la prescription médicale ne devra jamais se substituer à un arrêt complet lorsque l’état de santé l’exige. Des médecins ont par ailleurs rappelé que le télétravail, s’il est mal encadré, peut accentuer certains risques psychosociaux ou retarder la guérison dans les cas de stress ou d’épuisement professionnel.

Entre responsabilité individuelle et performance collective

Cette proposition s’inscrit dans un contexte plus large de transformation du rapport au travail. Depuis la généralisation du télétravail après la pandémie, les entreprises ont gagné en flexibilité, mais aussi en complexité dans la gestion de la santé au travail. L’idée de pouvoir « prescrire » le télétravail traduit une évolution culturelle : le soin et la productivité ne seraient plus incompatibles, à condition d’en faire un usage raisonné.

Pour les salariés, ce dispositif pourrait devenir un outil supplémentaire d’adaptation, leur permettant de maintenir un lien professionnel tout en respectant leurs besoins de santé. Pour les entreprises, il s’agit d’un instrument de prévention de l’absentéisme et d’une manière de concilier performance et bien-être. Reste que son succès dépendra de la confiance accordée aux médecins, de la clarté du cadre juridique et de la capacité du monde du travail à éviter les dérives. Dans un pays où les arrêts-maladie coûtent toujours plus cher, la prescription médicale de télétravail pourrait bien ouvrir la voie à un nouveau compromis social.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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